Nous entrons donc, aujourd’hui, dans le joli mois de mai. J’ai toujours entendu dire que c’était le mois le plus beau, celui des aubépines en fleurs et du sourire de Marie. Et puis voilà qu’on fait des comparaisons. Mai 1968-Mai 2013. Le monde a changé, nous avons d’autres modes de vie, même les idéologies ne sont plus les mêmes. Avec cette nuance capitale que nous continuons à vivre d’une même trame profonde de civilisation. Étudiant, j’ai vu éclore dans le Quartier latin des barricades des conceptions de la vie dont mes enfants et mes petits enfants héritent des retombées.
C’est pourquoi je suis vraiment passionné de cette relation des jolis mois de mai à 45 ans de distance. Mai 68 mettait en procès la société de consommation. C’était un paradoxe intéressant de la part d’une génération qui avait bénéficié de tous ses avantages : niveau de vie, accès massif à l’enseignement supérieur. On était loin des privations de la guerre et de l’époque de la reconstruction. Mais c’est à cause de cette prospérité que l’on voyait autrement les choses que la génération des parents et des grands-parents. Un universitaire canadien, spécialiste de Milan Kundera, François Ricard, a pu parler de « génération lyrique », à cause de son idéalisme.
Mais voilà ! Ces jeunes gens qui voulaient renverser la société bourgeoise et capitaliste en sont devenus les meilleurs agents. Des agitateurs révolutionnaires patentés se sont convertis en managers sans complexes d’un néolibéralisme triomphant. Et le libéralisme lui-même est devenu, en même temps, allié des libertaires, participant à l’éclatement de la famille et de l’évolution des mœurs. Aujourd’hui, on n’en est plus là. La révolte de la rue s’insurge contre cette trahison des idéaux de 68, ou réfléchit à la catastrophe anthropologique à quoi a conduit une idéologie mortifère du désir. C’est une étrange métamorphose qui s’accomplit et dont nous ne savons pas encore le dernier mot. Peut-être allons-nous le savoir dans les jours qui viennent, au cours de ce mois de mai énigmatique qui change tous les signes et surprend tous les sociologues trop courts d’une modernité inaboutie.