Évoquant hier la tragédie du Japon, j’avais laissé entre parenthèses la menace d’explosion des installations nucléaires, dont pourtant tous nos médias faisaient état, dans un climat angoissant et obsessionnel. Cela a continué hier toute la journée, et il m’est impossible d’éviter un sujet dont je me serais bien passé, je l’avoue. L’incompétence est-elle une excuse, alors que personne ne saurait être étranger, encore moins indifférent à une cause qui relève, au sens le plus fort, du bien commun ? Pour être tout à fait sincère, il n’est pas vrai que je m’abstienne de tout jugement sur la question nucléaire. Cela fait longtemps et même très longtemps, que je balance entre des pôles contradictoires à propos d’un débat toujours cinglant qui a commencé sur le terrain militaire.
D’un côté, j’étais rationnellement convaincu de l’argumentation du général Pierre Gallois, le plus brillant de nos théoriciens militaires, sur le bien fondé d’une force de frappe française. D’ailleurs, le général de Gaulle, balayant toutes les objections, emploierait tous ses efforts pour doter notre pays de l’arme nucléaire. Pourtant, j’avais dans le cœur les cris d’effroi de mon maître fraternel Georges Bernanos face aux premiers essais nucléaires dans le Pacifique et je n’ai cessé de remâcher les graves avertissements que nous assenaient les plus lucides des observateurs de notre temps, depuis l’inoubliable Günter Anders le prophète de l’obsolescence de l’homme jusqu’à un Jean-Pierre Dupuy, analyste implacable de la généalogie des catastrophes modernes.
Le nucléaire civil, même s’il est lié au nucléaire militaire obéit à un ordre différent de rationalité. N’empêche qu’il laisse planer sur la planète entière une lourde menace que les meilleures précautions ne peuvent prétendre juguler. On s’en aperçoit avec le Japon, en constatant de surcroît que de graves imprudences ont été commises sur un terrain géologique plus vulnérable que le nôtre. Nous assistons à une mobilisation mondiale des mouvements écologiques et il est impossible de ne pas les entendre, même si nos industriels se défendent aussi avec des arguments sérieux. Le principe de précaution est souvent discuté à juste titre, mais sur ce terrain là, il ne saurait être éludé !
Chronique lue sur Radio Notre-Dame le 15 mars 2011