Le gender et la vision sacramentale du corps - France Catholique
Edit Template
La justice de Dieu
Edit Template

Le gender et la vision sacramentale du corps

Copier le lien

Dans un article précédent, je pointais que notre culture, après avoir encouragé les adolescents à penser qu’ils pouvaient devenir une personne différente en changeant de marque de vêtements, les encourage maintenant à croire qu’ils peuvent devenir une personne différente en changeant d’organes sexuels comme vous changeriez de pardessus.

La façon dont les annonceurs vendent leurs articles aux adultes en devenir est celle-ci : associer leur produit à un certain personnage, la bière avec le collégien branché, le parfum ou l’habillement avec une certaine sorte de svelte mondain urbain, une voiture avec un type d’homme viril, élégant et raffiné.

Ironiquement, les presque adultes vont souvent se décrire comme « exprimant leur individualité » grâce aux objets qu’ils achètent alors que rien n’est plus loin de la réalité. Faire certains choix de consommation plutôt que d’autres est habituellement motivé par le désir de devenir semblable au modèle branché qu’on aspire à être. Donc, loin de devenir « plus individualistes », les adolescents cherchent habituellement à devenir « plus semblables aux autres ».

De telles pratiques culturelles renforcent l’illusion moderne que notre identité n’est pas quelque chose que nous recevons (de la nature, de Dieu, de la culture ou de la tradition) mais quelque chose que nous créons individuellement uniquement par nous-mêmes.

Alors que dans le passé, les jeunes gens pouvaient se voir comme appartenant ( et donc redevables) à une tradition familliale, culturelle ou religieuse, maintenant, sous l’influence du modernisme, les adolescents se voient comme s’auto-créant. Quel que soit leur passé, leurs origines, leurs parents, ils peuvent se refaire à neuf : ils peuvent « être tout ce qu’ils ont choisi d’être ». C’est leur constante obligation que de se créer eux-mêmes, apparemment ex nihilo.
Il y a du bon dans cette vision, bien sûr, étant donné que l’Eglise a toujours insisté sur l’importance de la liberté humaine. Dans un certain sens, nous nous faisons nous-mêmes par les choix que nous faisons.

Mais pourtant quelque chose manque dans cette vision : à savoir la notion d’inter-connexion et la responsabilité les uns des autres. Si je me crée moi-même ex nihilo, je ne suis redevable à personne. Je ne suis responsable que de moi-même et de mon propre projet d’auto-création. Certes, cela pourrait m’inciter à laisser les autres se débrouiller seuls dans leurs propres projets d’auto-création (quoique les cruautés de la vie ado contemporaine suggèrent le contraire) mais cela peut aussi (et c’est le plus probable) me pousser à renier toute responsabilité à leur égard.

Quand j’explique à mes élèves les astuces des publicitaires pour charmer les jeunes Américains, il n’est pas rare que l’un d’entre eux me rétorque quelque chose du genre : « Mais professeur Smith, il faut bien s’habiller. » Je lui réponds : « Bien sûr, mais ce serait mieux si, au lieu de voir nos choix de consommation comme l’expression de notre individualité, nous les voyions plutôt comme des expressions de sociabilité. C’est-à-dire, je choisis mes vêtements afin de pouvoir me fondre dans le milieu dans les situations sociales variées où je me trouverai. Je porte un costume et une cravate quand c’est approprié de le faire, et des vêtements plus décontractés quand les gens autour de moi se sentent plus à l’aise grâce à cela. Mes vêtements n’ont pas pour fonction de me définir comme étant à part et différent des autres. Je les verrais plutôt comme quelque chose qui peut me servir à me rapprocher des autres. »

Qu’en est-il si nous prenons une vision sacramentale des choses, y compris de notre corps ? Si je vois mon corps (ou mes vêtements) comme devant servir d’instrument pour exprimer mon amour de Dieu et de mon prochain ?

Jean-Paul II a fréquemment pointé qu’on ne peut pas aimer les autres – je ne peux pas me révéler à eux, me rendre présent à eux – autrement qu’avec son corps. Dans cette optique, mon corps et tout ce qui va avec pour construire ma personnalité est distinctement à moi d’une certaine façon, mais il est aussi aux autres et pour les autres. Je façonne ma personnalité dans un certain sens parce que je veux être au service des autres, capable de prendre soin d’eux.

Tout comme la modernité nous a conduit à adopter une conception de la propriété comme quelque chose qui est à moi – une chose mise à part des autres pour être à mon usage unique – de même nous avons maintenant une conception du corps et de l’identité comme une chose qui nous met à part des autres et sur laquelle ils ne doivent pas empiéter. On entend souvent les gens parler de leur corps comme étant leur propriété, dont ils peuvent user à leur gré.

Jean-Paul II suggère qu’au contraire, puisque nous sommes créés à l’image du Dieu Trinitaire, nous nous trouvons nous-mêmes en nous donnant aux autres. Alors il propose que quand nous travaillons, ce soit pour nous-mêmes mais également pour et avec les autres. Et il a ausssi insisté sur la notion de propriété privée, qui est à la fois « mienne » mais également « pour les autres ».

Le monde bohème de licence sexuelle a toujours été lié inéluctablement au monde bourgeois du capitalisme « laissez-faire ». Les deux sont basés sur une conception d’individualisme radical et d’auto-création que l’Eglise a toujours rejetée. C’est pour cela que l’enseignement authentique de l’Eglise à la fois sur la morale sexuelle et la justice sociale dérangent l’un et l’autre parti dans les débats entre individualistes conservateurs et individualistes libéraux de ce pays. C’est pour cela que conservateurs et libéraux proclament un volet de l’enseignement de l’Eglise et évitent soigneusement l’autre, alors pourtant qu’une compréhension sincère, à la fois de la morale sexuelle et la justice sociale insisterait sur le fait que les deux se basent sur la même vision sacramentale de l’ensemble de la création, dans laquelle toute chose créée, y compris nos corps et nos personnes doit être vue comme un instrument de l’amour de Dieu qui se donne.

Le grand théologien orthodoxe Alexander Schmemann a un jour écrit : « la véritable chute de l’homme est de vivre une vie non-eucharistique dans un monde non-eucharistique. »

Source : http://www.thecatholicthing.org/columns/2014/gender-and-a-sacramental-view-of-the-body.html


Randall B. Smith est professeur à l’université Saint Thomas, où il occupe depuis peu la chaire de théologie Scanlan.