Comment ne pas être troublé par la révélation de l’existence de jeunes Français, âgés de vingt-deux ans, non seulement enrôlés par l’État islamique, mais devenus bourreaux dans des exécutions complaisamment diffusées à l’attention des médias ? J’ai d’autant plus réagi à cette information qu’une des villes dont est originaire un de ces terroristes m’est familière. Mes propres enfants auraient pu côtoyer ces garçons à l’école ou au lycée. Leur itinéraire surprend par la brièveté de la « conversion » qui s’est produite en eux. Peut-on parler de conversion religieuse ? Ce n’est pas l’avis de spécialistes qui réfutent notamment le caractère musulman du phénomène. Jean-Pierre Filiu, professeur à Sciences Po Paris, déclare ainsi au Monde : « On continue de regarder comme un phénomène religieux ce qui n’est qu’un phénomène politique. (…) Plus vous aurez de culture religieuse, moins vous serez susceptible d’y adhérer. »
Mais alors, dans ce cas, le politique s’identifie à une catégorie particulière, où la teneur idéologique revêt un caractère obsessionnel, de l’ordre de la possession. Au sens où Dostoïevski pouvait mettre en scène ses Possédés. Il est vrai que la possession est à mi-chemin entre les concepts de la psychologie et ceux de la spiritualité. Comment échapper au sentiment que ce basculement dans le crime sordide n’est pas réductible à la seule pathologie clinique mais appelle une intervention extérieure que traduit très bien le terme de possession ? De même, la fascination pour la violence implique un dérèglement, qui n’est pas seulement celui de la raison ou encore « le dérèglement de tous les sens » dont parlait Rimbaud. Elle consiste en une dépossession de soi, qui est d’ailleurs facilitée par des exercices qui s’apparentent à certains jeux vidéos.
Reste qu’il y a quand même, pour organiser ce système diabolique, une réalité qui s’appelle l’État islamique et qui constitue, au XXIe siècle, l’équivalent des pires religions séculières du siècle précédent. Comment en protéger les jeunes, qui une fois encore, ne sont pas pour nous des étrangers, mais nos voisins immédiats ? Il y aurait lieu de mener à ce sujet une réflexion commune, non pour désigner des boucs émissaires, mais pour mieux aider une jeunesse vulnérable à se garder du piège infernal.
Chronique diffusée sur Radio Notre-Dame le 20 novembre 2014.
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