Le directeur des vocations pour les Douze - France Catholique
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La justice de Dieu
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Le directeur des vocations pour les Douze

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Nous attendons de nos saints qu’ils soient saints à cent pour cent. Mais peu le sont, voire même aucun. Il y a des années, une de ces histoires « internes au Vatican » a fuité hors des murs de la cité et est devenue le paradigme des coutumes cléricales. Dans les débuts de son pontificat, le pape Jean-Paul II avait l’habitude de ne pas recevoir les religieuses qui ne portaient pas l’habit. D’une façon ou d’une autre, une religieuse américaine résolument moderne avait réussi à franchir le barrage. Le Saint-Père l’a questionnée pour vérifier si elle était vraiment une vierge consacrée. Alors il a dit : « je n’aurais pas pu le dire d’après la façon dont vous êtes habillée. J’espère que le Saint-Esprit n’a pas le même problème. » Vrai, mais peut-être un peu caustique.

Après les funérailles de Jean-Paul II, un film biographique très bien réalisé est sorti. Je l’ai revisionné le jour de sa fête. Le film revient sur ses grandes réalisations : sa jeunesse durant l’occupation nazie en Pologne ; comme jeune prêtre et évêque de Varsovie ; son influence sur le mouvement polonais Solidarnosc (Solidarité) et la chute de l’empire soviétique ; et également ses très nombreux et vraiment remarquables écrits théologiques. Cela m’a fait me sentir fier d’être catholique.

Mais on ne faisait pas mention de ses échecs ou de ses fautes, réels ou perçus comme tels. Les producteurs ne se sont pas questionnés sur la sagesse de la rencontre œcuménique d’Assise, n’ont pas mentionné sa réponse manquant peut-être de vigueur au problème de l’exploitation de la jeunesse par des prêtres homosexuels, aucune référence aux nombreuses difficultés répertoriées en lien avec les Journées Mondiales de la Jeunesse. Peut-être que rien de tout cela, et d’autres choses encore, n’est mentionné parce que nous attendons que les portraits de nos saints montrent des hommes et des femmes d’un jugement sans défaut.

L’Evangile n’a pas les mêmes scrupules. Il est toujours fascinant d’observer les qualités morales et spirituelles des hommes que Jésus a appelés à devenir ses premiers prêtres et évêques. Le Christ est venu appeler les pécheurs, et non les justes. Parmi ses Apôtres, des collecteurs d’impôts et un homme qui le trahira – un homme qui se suicidera et dont le prénom, « Judas », prendra la signification de « traître ».

Tous les Apôtres – même Jean bien qu’il se soit rapidement repris – L’ont abandonné durant Sa Passion. Et tout cela est soigneusement documenté par les Evangélistes, consigné sans amertume dans une prose aussi irénique qu’un rapport médical. Même les paroles touchantes de Saint Pierre « écarte-toi de moi car je suis un homme pécheur » préfigurent un comportement indubitablement pécheur : sa promesse risible de demeurer fidèle suivie de son triple reniement après sa fuite du Jardin des Oliviers. Pour couronner le tout, la tradition de l’Eglise ne le laisse pas en paix, nous rappelant sa couardise à travers le roman Quo Vadis qui se déroule sous la persécution de Néron. Les chemins de Dieu ne sont pas nos chemins.

Si nous nous imaginions nommé directeur des vocations pour sélectionner les Douze, nous ne serions pas tentés d’enrôler des homologues de Pierre. Faisant appel à notre piété et à notre clairvoyance, nous pourrions être tentés de suggérer qu’il y a deux hommes qui auraient mérité de figurer dans cette petite troupe d’élite. Joseph, « l’homme juste et droit », époux de Marie et père adoptif du Seigneur aurait été un candidat rêvé. Mais hélas, selon la tradition catholique, il est mort avant le début de la vie publique et du ministère de Jésus.

Cela nous laisse avec Jean-Baptiste, reconnu par le Seigneur comme « le plus grand homme né d’une femme ». Indubitablement, mon choix se serait porté sur Jean. Et au vu de ma fierté quant à l’excellence de ma sagacité (auto-proclamée) en matière financière, j’aurais certainement remarqué qu’on ne pouvait pas faire confiance à Judas pour tenir les cordons de la bourse. Si seulement il m’avait été donné la chance d’examiner dans le détail les candidats du Seigneur !

De telles considérations me remettent à l’esprit un article de journal de l’époque du concile Vatican II. Un responsable des vocations de l’ordre des Jésuite, alors présomptueux, se vantait que le taux de maintien des Jésuites, à l’époque, « était supérieur à celui des disciples ». Après cinquante ans et la réduction de l’ordre de plus de 35 000 prêtres, que reste-t-il si ce n’est la démesure de la vantardise et le fantôme d’un ordre religieux autrefois prospère ?

Nous ferions bien de considérer les conséquences d’oser nous ériger en juges du Seigneur et des Evangiles. Pierre s’y est essayé quand il a tenté de dissuader le Seigneur de se rendre à Jérusalem pour y subir Sa Passion. Il en est résulté la plus rude des réprimandes tombée des lèvres de Jésus : « passe derrière moi, Satan ! »

Le Jésuite anonyme se vantant du taux de pérennité dans son ordre aurait mieux fait de s’appliquer le taux du Seigneur : selon le taux apostolique, sur douze prêtres et évêques – même les évêques de Rome – un trahirait le Seigneur et un seul souffrirait avec Lui jusqu’à la fin. Cela donne à réfléchir d’appliquer ce ratio à mon propre apostolat, quand je plonge pour me mettre à l’abri dans les plis du manteau de la Saint Mère !

Il n’y a bien sûr rien de mal à faire usage des Saintes Ecritures, dans la bonne perspective, pour mesurer notre comportement et notre mérite. Les grands écrivains spirituels nous pressent d’utiliser notre intelligence et notre imagination pour nous placer dans les Evangiles et imiter les vertus de Jésus quand nous entendons Son appel. Nous pourrions également nous comparer aux Apôtres, à la femme prise en flagrant délit d’adultère, aux saintes femmes au pied de la Croix. Et c’est un exercice salutaire et spirituellement profitable pour nous sermonner, nous corriger – et nous réconforter – sur notre chemin.

C’était un privilège que d’être ordonné prêtre durant le pontificat de Jean-Paul II. C’était un privilège d’être témoin ou d’entendre parler de ses magnifiques actions, guidées comme elles l’étaient par la providence aimante de Dieu. Et il est instructif d’être conscient de ses faiblesses et de ses échecs. Sachant que même un grand homme a des défauts dans la cuirasse que tous peuvent voir et qu’il peut quand même être canonisé (tout comme Pierre), alors il y a de l’espoir pour moi – et pour vous.


Le père Jerry J. Pokorsky est un prêtre du diocèse d’Arlington. Il est curé de la paroisse Sainte-Catherine-de-Sienne à Great Falls (Virginie).

Illustration : « Passe derrière moi, Satan ! » par J.J. Tissot, vers 1890 [musée de Brooklyn]

Source : https://www.thecatholicthing.org/2017/01/22/the-vocation-director-to-the-twelve/