Si l’on interrogeait le passé, on ne serait sûrement pas en faute pour retrouver un discours récurrent sur les malheurs du temps. L’historien Jacques Bainville écrivait que « tout avait toujours très mal marché ». Et cela aux époques réputées pourtant comme privilégiées et demeurant des références pour avoir atteint un certain degré de civilisation. Cela veut-il dire qu’il ne faut pas trop se laisser prendre au discours désenchanté, voire très pessimiste de certains analystes ? Je pense là très précisément à Jacques Julliard dont je lis, avec une sorte d’avidité, le carnet qu’il publie chaque premier lundi du mois au Figaro. Celui d’hier consistait en une implacable démonstration. Seul le mot de « déclassement » convient pour qualifier la situation de notre pays. La France serait en miettes, et le signe le plus alarmant de notre déchéance serait la fin de notre ambition intellectuelle.
Jacques Julliard, distingué par sa compétence d’historien dans le domaine social, lui qui connaît à fond les ressorts de notre syndicalisme, a pourtant toujours privilégié l’essor littéraire comme miroir et expression de notre excellence en général. Et il réitère aujourd’hui : « C’est une chose étrange et inédite, comme si, en perdant son esprit éducatif la France avait perdu aussi son souffle créateur. » Et de déplorer que pas un seul écrivain de la grande espèce ne soit apparu en notre temps pour permettre à notre peuple d’identifier son avenir. À la façon d’un Rabelais, d’un Molière ou d’un Balzac.
Seul le nom de Michel Houellebecq lui semble émerger, parce que, romancier, il a su rendre compte de notre état de dépression. Je serais assez d’accord sur ce diagnostic, en le complétant toutefois par un regard sur notre université gagnée par la contagion américaine à un extrémisme dévastateur pour notre fierté même d’appartenir à la culture qui nous a façonnés. Mais cela demanderait toute une explication…