Le combat spirituel est plus rude que la bataille d’hommes, disait Rimbaud. Quelle est la stratégie du démon, et nos armes dans ce combat ?
Père Jean-Pascal Duloisy : Il faut d’abord être conscient que le démon est toujours actif et ne se repose jamais : il possède une volonté de nuisance jamais satisfaite. La lutte est quotidienne, aussi la première arme est-elle le courage. Le pape François en parle dans sa méditation du 30 octobre 2014 : « Nous sommes tous un peu paresseux dans la lutte, et nous nous laissons entraîner par les passions, par certaines tentations. (…) Mais ne vous découragez pas ! Courage et force, parce que le Seigneur est avec vous. »
Ensuite, le démon agit par la peur et l’intimidation. C’est capital chez lui. Dès lors, le combat consiste surtout à se détourner du mal, pour ne pas offenser Dieu, en demeurant dans la douceur et l’humilité. Cette dernière est d’ailleurs une arme absolue, un répulsif pour le démon, comme le chantent les chrétiens d’Orient dans l’hymne acathiste, à propos de la Vierge Marie « servante du Seigneur » : « Réjouis-toi, en qui les démons sont défaits. »
De même la douceur est-elle la béatitude de ceux qui se sentent aimés de Dieu. Quand on n’est pas doux, on adore un faux Dieu, car le démon se démasque dans toute violence.
Au final, souligne saint Paul, « les armes de notre combat ne sont pas purement charnelles » (Cor 10, 4), mais spirituelles : il est inutile et dangereux de compter sur ses propres forces ! Pour combattre le démon, certes présent dans d’autres religions, le seul vrai remède est donc le Christ, qui combat et nous protège. Tous les évangiles en attestent : « En dehors de moi vous ne pouvez rien faire » (Jn 15, 5). Il reste à l’homme d’effectuer un choix : celui d’user de sa liberté pour choisir la vie. Est-ce que j’ai bien utilisé mon âme ? Voilà la question à se poser.
Qu’est-ce qui obscurcit les consciences aujourd’hui ?
Une des grandes portes ouvertes au démon, en Occident, est la perte de la crainte de Dieu, qu’on appelle aussi la piété. La crainte de Dieu est présente dans de nombreux psaumes : « Venez, mes fils, écoutez-moi, que je vous enseigne la crainte du Seigneur » (Ps 33). Cette crainte est en fait le commencement de l’amour : il faut craindre Dieu parce qu’il pardonne et parce qu’il est bon. C’est une crainte amoureuse, comme lorsque l’on craint de faire du mal à un enfant ou à celui qu’on aime.
Or, le démon a ceci de redoutable qu’il veut couper notre relation avec Dieu. Ses ruses – la tromperie, la fascination, la séduction – visent à introduire en nous le germe de l’opposition à Dieu. Il nous pousse au panthéisme, ou à l’athéisme, afin d’éclipser la voix de Dieu en nous. C’est un voleur d’âmes.
Aussi le problème de l’Occident, aujourd’hui, est-il la perte du sens de Dieu. Il n’y a jamais eu autant de sociétés athées, dans lesquelles a pris le dessus la quête de l’argent, du pouvoir, du plaisir sans fin et quel qu’en soit le prix. Cet athéisme, avec l’hédonisme, l’individualisme, et les attaques contre la famille, sont l’œuvre du démon, avec la violence qui les accompagne.
Même l’écologie, tant prisée aujourd’hui, n’est pas sans dangers, puisqu’elle est une écologie sans Dieu. Elle est sans avenir même, car si le cœur de l’homme ne respecte pas Dieu, il ne respectera pas plus sa création.
L’écrivain Gabriel Matzneff défraye l’actualité pour avoir jadis revendiqué la pédophilie. Il avouait avoir « sombré dans la nuit », parlant même de « descente aux enfers ». Quelle réflexion cela vous inspire-t-il, en tant qu’exorciste ?
Gabriel Matzneff est un très bon exemple de l’obscurcissement dans lequel le démon peut nous conduire. Comme le dit le Christ lui-même : « Ne craignez pas ceux qui tuent le corps sans pouvoir tuer l’âme ; craignez plutôt celui qui peut faire périr dans la géhenne l’âme aussi bien que le corps » (Mt 10, 28). Le Père Thomas Kowalski mettait ainsi en garde contre le pouvoir qu’a le démon de nous pousser à aimer faire le mal avec bonne conscience. Ainsi les grands dictateurs se sont annoncés comme des bienfaiteurs, pour finir par mettre en œuvre ce mal. L’âme est touchée dans sa capacité à choisir le bien, et elle risque alors d’être détruite.