Après la remarque faite par le président Obama la semaine dernière au National Prayer Breakfast 1 il serait bon de lui demander : « donc, que ou qui représentez-vous quand vous comparez l’État Islamique aux croisades ou au Sud des lois Jim Crow 2? Quelle norme sert à établir cette critique ? »
Dans une réflexion perspicace au sujet du Prayer Breakfast ; le journaliste du New York Times Ross Douthat nous avertit de ne pas laisser le Président appeler à l’humilité nationale pour occulter le fait qu’il est tout autant partisan que les jihadistes, les ségrégationnistes et les chevaliers chrétiens du Moyen-Age qu’il condamne et qu’il combat sous une bannière portant un seul mot : progressisme.
Que signifie exactement ce mot ? Il est préférable de le considérer comme un concept culturel plutôt qu’uniquement politique.
D’un point de vue catholique, l’histoire de l’Occident peut être résumée en un drame en trois actes. Dans le premier, le monde médiéval chrétien domine la scène et le modèle de référence culturel régnant est celui de pèlerinage. Bien que l’image du pèlerin soit bien sûr plus appropriée à l’Europe médiévale chrétienne qu’à la Rome et à la Grèce païennes, la vie dans l’Antiquité païenne était cependant comprise comme un récit, une histoire, dans laquelle l’être humain, tel un héros, s’efforce de réaliser toutes les potentialités de sa nature dans des actions vertueuses.
En bref, la vie était un voyage vers l’accomplissement naturel et, au moins par certains aspects de la pensée antique, un voyage en imitation du divin . Le christianisme n’a pas éliminé ce récit mais l’a approfondi, introduisant le Christ comme le héros véritable, le Sauveur qui nous délivre des tragiques conséquences du péché et qui, par sa grâce, fait de nos vies une comédie divine.
Dans un second acte, le paradigme culturel de pèlerinage ouvre la voie à celui de progrès. Ce n’est pas un développement mais un dérèglement du paradigme précédent. Pendant que le nouveau récit progressiste prend de l’ancien récit l’idée d’une vie en mouvement, il élimine l’idée d’un but qui serait l’accomplissement du potentiel naturel.
Quoi qu’il en soit, et c’est intéressant, cela n’a pas eu pour résultat immédiat l’anarchie morale. Le projet des Lumières avait cimenté suffisamment d’éléments de l’ancien paradigme dans le nouveau paradigme de progrès pour maintenir un certain degré d’ordre rationnel. Mais cet ordre provisoire était déjà en train de chanceler, et avec l’aide de Nietzsche, beaucoup en sont venus à regarder son histoire comme incohérente. (Progrès et Religion de Christopher Dawson, La fin du monde moderne de Romano Guardi, Après la vertu d’Alasdair MacIntyre et Les sources de l’éthique chrétienne du révérend Servais Pinckaers sont quelques uns des bons guides de cette évolution.)
Nous en arrivons au troisième acte du drame de l’Occident, celui dans lequel nous vivons. Dans cet acte, beaucoup prétendent avoir découvert que la vie ne peut être vécue ni comme un pèlerin ni comme un progressiste (rétrograde). Ils prétendent – s’appuyant sur le progrès apparemment ironique de la science moderne – qu’il n’y a pas d’histoire humaine du tout, seulement la futilité de trimer au long d’une existence sans finalité (voyez les œuvres complètes de Samuel Beckett).
Pourtant, le paradigme de progrès n’a pas entièrement disparu. On peut toujours trouver ses partisans dans la Silicon Valley et l’Institut National pour la Santé, dans l’ensemble du Congrès tout comme dans le Bureau Ovale. Le « progrès » a survécu comme une sorte d’idéal mystique, une religion séculière centrée sur un paradis qui, bien que toujours juste hors d’atteinte, pourrait un jour, avec suffisamment d’efforts, être réalisé sur terre.
En fait, le progressisme comme religion séculaire semble jouir de nos jours d’un nouvel attrait. Par exemple, un autre journaliste du New York Times, David Brooks, a récemment souligné l’urgence, pour le sécularisme, de fournir les sortes d’expériences émotionnelles fortes et riches associées à la religion.
« Un âge de sécularisation de masse, écrit Brooks, est un âge où des millions de personnes ont chargé leurs épaules d’un fardeau moral d’un poids sans précédent. » Quelle sorte de fardeau ? Selon Brooks, les individus sécularisés, ayant évacué le vieux paradigme de pèlerinage, doivent construire leur propre philosophie morale, leurs propres communautés, leur propre Shabbat et leur propre motivation morale.
Porter ce fardeau requiert non seulement des efforts, mais aussi de l’inspiration. Où le sécularisme ira-t-il la chercher ? Brooks prévient : « si le sécularisme est en voie de devenir une croyance formelle, il ne peut pas parler uniquement aux aspects rationnels de notre nature. Il doit faire pour les non-croyants ce que fait la religion pour les croyants – susciter les émotions les plus hautes, exalter les passions vers la recherche de l’action morale. »
Si vous pensez que l’idée d’une religion profane, et même d’un Shabbat laïc est une plaisanterie, rappelez-vous la religion de l’humanité d’Auguste Comte, au 19e siècle. Notez également que l’Association Humaniste Britannique, qui accueille dans ses rangs le célèbre athée Richard Dawkins, ne se contente pas de prôner une politique anti-religieuse, elle met en œuvre des rites profanes pour les mariages, les funérailles et « l’imposition d’un nom ». En 2011, les membres de cette société ont procédé à plus de 9 000 rites. Apparemment, les sécularistes ont anticipé les inquiétudes de David Brooks.
Un catholique doit regarder ce drame en trois actes, et tout spécialement l’étrange troisième acte et ses laïcistes singeant les pratiques religieuses qu’ils méprisent, comme une histoire de déclin et de chute. Seules les personnes d’une foi profonde, en fait, peuvent voir le progressisme pour ce qu’il est, une perversion de l’espérance chrétienne, la quête futile d’un paradis fait par l’homme lui-même.
Quoi qu’il en soit, cette vertu théologale d’espérance est la seule chose nous préservant du désespoir, dans la ferme conviction que le Christ, ce Héros, est toujours le moteur de la culture et que son histoire n’a en aucune façon atteint son terme.
Daniel McInerny est un philosophe et également un auteur de fiction, à la fois pour les enfants et les adultes. Vous pouvez en découvrir plus sur lui sur danielmcinerny.com.
Illustration : « la Tour de Babel : le conflit des lois » chromo de Du Zhenjun
Source : http://www.thecatholicthing.org/2015/02/12/progressivisms-decline-fall/