D’abord la cacophonie. Dès que le ministre de l’Immigration a déclaré vouloir lancer un grand débat sur l’identité nationale, des voix se sont élevées à gauche et à droite pour dénoncer cette initiative. Pour la plupart, les socialistes, les communistes et les centristes y ont vu une manœuvre de l’Élysée qui tenterait, à quelques mois des élections régionales, de garder les électeurs du Front national ralliés à Nicolas Sarkozy en 2007.
Mais une fois de plus, les socialistes ont étalé leurs divisions. Michel Rocard s’est élevé avec vivacité contre l’initiative d’Éric Besson, Ségolène Royal a au contraire déclaré qu’il ne fallait pas « rejeter » le débat et a affirmé qu’il fallait « reconquérir les valeurs de la nation » – une nation qui serait selon elle « un concept de gauche ». A droite, Martin Hirsch, Haut Commissaire à la Jeunesse, penchait quant à lui du côté de Michel Rocard : déclarant qu’il ne se sentait « pas directement concerné par ce débat », il a estimé que la France n’avait « pas de problème d’identité » alors que Nicolas Sarkozy soutenait le ministre de l’Immigration.
Il est donc difficile de trouver ses repères dans la succession des prises de positions qui, comme en 2007, ne touchent pas à l’essentiel. À nouveau, on dispute de la Marseillaise et du drapeau tricolore, à nouveau on suggère une opposition entre l’identité nationale et une immigration évoquée de façon confuse. Est-il possible de garder le sens de la mesure ? Sans aucun doute, mais à trois conditions :
– réfléchir sans tenir compte des tactiques pour les élections régionales qui portent par définition sur des collectivités territoriales décentralisées – non sur la nation en tant que telle ;
– au lieu de fuir le débat sur l’immigration, reprendre de manière aussi rigoureuse que possible la question des chiffres, des pays d’origine, de l’intégration des différents groupes d’immigrés, des « communautés » réelles ou supposées où se mêlent des Français et des étrangers. Tel est l’objet d’un livre récent de Jean-Paul Gourévitch sur lequel nous revenons de manière aussi approfondie que possible ;
– se souvenir que le débat sur l’identité nationale a commencé voici un quart de siècle à l’occasion de la percée du Front national. Beaucoup de questions décisives ont été débattues par les historiens, les sociologues et les philosophes : relations entre les Français et les étrangers avant, pendant et après la Révolution française ; histoire de l’immigration ; construction de l’État national moderne à partir du XVIe siècle ; définition de la République et de la démocratie ; place de la nation en Europe ; importance du christianisme dans l’identité commune…
Notre journal a largement participé à ces débats – avec Émile Poulat sur la laïcité notamment, en conviant Régis Debray, Marcel Gauchet, Pierre Manent, Rémi Brague et bien d’autres penseurs. Le recueil de ces contributions ferait un gros livre qui s’ajouterait aux dizaines d’ouvrages non polémiques qui ont été publiés. Alors que les interventions des dirigeants politiques restent superficielles, les contributions des chercheurs de diverses disciplines sont le plus souvent de très grande qualité. Le fossé entre les politiques et les chercheurs est l’un des aspects de la difficulté à penser collectivement l’identité de la nation. Et si ce fossé se creuse, c’est sans doute parce qu’il n’existe que peu d’ouvrages synthétiques écrits dans un souci de vulgarisation.
Alexandre DA SILVA