Eva joly peut être contente. En trois phrases, elle a récolté un appréciable succès de scandale, provoqué le trouble à gauche, suscité de la part de la droite des réactions faciles à caricaturer… Grâce à ces mots ironiques sur le caractère suranné d’un déploiement militaire, le PS est devenu inaudible pendant quelques jours, même si Martine Aubry s’est fendu de réactions excessives et en fin de compte peu sérieuses.
D’après son auteur, cette sortie médiatique n’était nullement préméditée. Expression naturelle d’un pacifisme nordique ? Pourtant Eva Joly ne pouvait ignorer que de tels propos susciteraient des polémiques, notamment sur sa double nationalité. On peut tout de même rappeler qu’en 2002, celle qui a instruit l’affaire Elf (avec des résultats mitigés) est retournée en Norvège pour travailler au service du gouvernement d’Oslo pendant plusieurs années. C’est elle-même qui a sciemment alimenté les réflexions sur sa binationalité, avec, peut-être, l’intention quelque peu perverse d’accuser ses contradicteurs de xénophobie.
Et puis, qu’elle en ait eu conscience ou non, Eva Joly a fait preuve d’une méconnaissance des réalités françaises, et d’abord de cette réalité politique évidente : si la France possède aujourd’hui un poids diplomatique non négligeable, c’est à son armée qu’elle le doit. On peut discuter sur l’emploi de cette armée, et sur les moyens qu’on lui accorde, mais la démonstration du 14 juillet est un élément de cette politique. Les Français devraient être fiers de leur armée parce qu’elle leur rappelle qu’ils ne sont pas un petit pays à l’abri de l’Histoire. En l’ignorant ouvertement, la candidate écologiste a pris un gros risque. Prôner l’abaissement du pays que l’on prétend diriger n’est pas une garantie de dignité.
Enfin, Eva Joly a méconnu les liens qui unissent le peuple français et son armée. Rares sont les familles françaises qui, depuis moins d’un siècle n’ont pas eu un de leurs membres mobilisé ou mort au combat, que ce soit pendant l’une des deux guerres mondiales, en Indochine ou en Algérie, et la suppression du service militaire est encore trop récente pour effacer la relation quasi-physique entre l’armée et la nation. Ce lien était encore plus fort en ce 14 juillet 2011, alors que cinq camarades de ces soldats français de toutes origines et de toutes races qui descendaient les Champs-Élysées, venaient de mourir au combat. C’est d’ailleurs là où les propos d’Eva Joly devenaient intolérables.
Quelques jours auparavant, Jean de La Bâtie, père d’un parachutiste français mort au Liban — autre guerre « inutile » ! — avait, dans une lettre ouverte, gravement interpellé « Mesdames et Messieurs les journalistes ». Il accusait ceux-ci de n’être capables de se mobiliser que pour leurs propres confrères (pris en otages en Afghanistan) et de n’être aucunement sensibles à la détresse d’une petite fille de militaire tué dans le même Afghanistan. Si le microcosme médiatique avait ignoré cet émouvant témoignage, Internet l’a répercuté avec une ampleur surprenante, prouvant que les Français sont touchés au cœur, plein de mauvaise conscience à l’égard de ces jeunes hommes qui donnent leur vie sans véritable espoir de reconnaissance.
En bonne Nordique, Eva Joly croit à « l’arrogance » des Français. Bien au contraire, ceux-ci constituent à bien des égards une nation blessée et inquiète. Le 11 novembre 1918 — où le défilé militaire des Champs-Élysée prend aussi racine — est fort loin. Les désillusions ont façonné une âme beaucoup plus complexe, qu’Eva Joly a égratignée bien inutilement, pour faire un coup…