Le côté catholique de Henry James et d’Hemingway - France Catholique
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Le côté catholique de Henry James et d’Hemingway

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Ernest Hemingway

Ernest Hemingway

© Lloyd Arnold

Dernièrement, j’ai lu coup sur coup deux romans radicalement différents- Les ailes de la colombe de Henry James, et Le soleil se lève aussi, d’Ernest Hemingway. Publiés à 24 ans d’intervalle – celui de James en 1902, celui d’Hemingway en 1926 – ils se lisaient comme deux voix d’époques différentes (ce qu’ils étaient – les époques étant avant et après la première guerre mondiale, la guerre traçait une ligne frontière imprégnée de sang entre eux).

Les ailes de la colombe sont une analyse subtile de l’innocence et de la corruption dans les quartiers chics de Londres et de Venise. Le soleil se lève aussi, rédigé dans la prose sèche et incisive d’Hemingway, fait la chronique de la luxure et de la violence parmi ceux qui cherchent les plaisirs autodestructeurs dans les arènes des courses de taureaux et les bars – surtout les bars – à Pampelune.

Bien que ces livres soient profondément différents, ils partagent un intérêt intense pour le catholicisme. Mais comme aucun des deux auteurs n’est habituellement considéré comme un écrivain catholique, cela nécessite une explication.

Dans une étude de 1993 (Le côté catholique d’Henry James) Edwin Still Fussell montre qu’une fascination persistante pour le catholicisme, court à travers l’œuvre entière de ce grand écrivain « post- Protestant ». Par exemple : dans ce qui est peut-être la plus connue des histoires de James, Le tour de vis, les esprits malveillants du maître d’hôtel et de la gouvernante décédés sont catholiques.

Et puis, il y a Les ailes de la colombe. Fussell cite les textes qui prouvent que Milly Theale, l’héritière américaine condamnée, personnage central de l’histoire, est une catholique. Mais, plus évident encore, il y a un incident crucial presqu’à la fin du roman.

Arpentant les rues de Londres un matin de Noël, dans tous ses états, suite à son rôle involontaire dans la mort de Milly, et dans le dilemme moral que cela a créé pour lui et pour sa maîtresse, l’intrigante Kate Croy, chère amie de Milly, le journaliste Merton Densher décide qu’un peu de soutien religieux pourrait l’aider. Voyant qu’il est à proximité de l’oratoire de Brompton, Densher, bien que n’étant pas catholique, y pénètre :

À la porte, donc en quelques minutes son idée est vraiment consacrée – il en est frappé ainsi : il fait irruption au début d’une splendide célébration…qui scintille et résonne depuis de lointaines profondeurs, dans le flamboiement des lumières de l’autel, et la houle de l’orgue et de la chorale. Ce n’était pas à la hauteur de ses besoins, mais c’était beaucoup moins mal assorti que d’autres choses qui auraient été possibles actuellement. En bref, pour l’aider, l’oratoire conviendrait.

Dans le contexte, « aider Densher » signifie beaucoup plus que simplement le réconforter. Plutôt, le fait d’assister à la messe sert à « l’aider » en éclairant sa conscience troublée à choisir une façon honorable de gérer sa relation avec Kate. C’est dans ce sens – la possession d’une efficacité vraie (quoique inexpliquée) à résoudre sa perplexité morale – que, comme nous le dit James, être exposé au catholicisme dans l’oratoire de Brompton remonte le moral troublé de Densher.

Contrairement à Henry James, Hemingway était catholique, car il s’était converti après avoir été sérieusement blessé alors qu’il servait lors de la dernière guerre comme chauffeur de la croix rouge sur le front italien.

Dans une lettre de 1927 adressée à un prêtre, il insistait, « je n’ai jamais voulu qu’on me considère comme un auteur catholique car je sais l’importance de l’exemple qu’on donne – et je n’ai jamais donné le bon exemple ».

Il semble toutefois qu’il ait pratiqué sa foi jusqu’à ce qu’il soit infidèle à sa femme.

Finalement, Hemingway s’est marié quatre fois, et est devenu alcoolique et coureur de femmes. Il souffrait d’une dépression pour laquelle il a reçu des électrochocs, et il a fini par se suicider. Cependant, si loin qu’il se soit éloigné de l’Église, il semble ne pas avoir cessé de se considérer comme (mauvais) catholique.

Le narrateur de Le soleil se lève aussi, Jake Barnes, portrait d’Hemingway, est catholique. Sa situation religieuse – et très probablement aussi celle d’Hemingway – se résume quand Jake entre impulsivement dans la cathédrale de Bayonne, au pays basque dans le sud-ouest de la France alors qu’il se rend en Espagne.

La lumière était imprécise et sombre. Il y avait des gens qui priaient, et cela sentait l’encens, et il y avait de superbes grands vitraux. Je me suis agenouillé et j’ai commencé à prier. J’ai prié pour tous ceux auxquels j’ai pensé, Brett et Mike, et Bill et Robert Cohn et moi, et pour tous les toréros…et comme j’avais passé tout ce temps à genoux, avec le front contre le bois devant moi, et que je me voyais en prière, j’avais un peu honte, et j’ai regretté d’être un catholique aussi pourri, mais j’ai réalisé que je n’y pouvais rien, en tous cas pour le moment, et peut-être pour toujours, mais qu’en tous cas, c’était un religion grandiose, et j’ai vraiment souhaité me sentir religieux et peut-être que plus tard je le serais, et je me suis retrouvé dehors au soleil sur les marches de la cathédrale.

La différence entre ces deux visites à des églises catholiques, est évidente. Comme par magie, le seul fait d’assister à une célébration de la messe apporte à Densher une lumière nouvelle sur son dilemme, tandis que de prier dans une sombre cathédrale rappelle à Barnes qu’il est un « catholique pourri ». Mais qui peut dire si la perspicacité de Barnes n’a pas plus de sens que celle de Densher ?

Fussel suggérait que pour Henry James, le catholicisme aurait pu être essentiellement un « dispositif littéraire ». Peut-être. Mais la fréquence des thèmes catholiques chez James suggère quelque chose de plus. On peut l’imaginer dire solennellement : « S’il existe un Dieu personnel, et s’il y a une vie après la vie – et je préfère réserver mon jugement sur ces deux sujets – alors, on peut pour le moins reconnaître que l’église catholique, avec tous ses défauts, est substantiellement plus en contact avec Dieu et la vie éternelle qu’aucune autre religion. »

Hemingway était un homme qui, devenu catholique, a pratiqué sa foi pendant un temps, n’y a jamais formellement renoncé, et, souffrant de dépression, s’est peut-être confié à la miséricorde de Dieu alors même qu’il mettait un terme à sa vie.

Nous devrions certainement dire une prière pour lui de temps en temps – aussi bien que pour Henry James, le méticuleux post protestant.