Le conte des deux crises - France Catholique
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« Ô Marie conçue sans péché »
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Le conte des deux crises

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Récemment, lors d’un colloque devant une assemblée de professeurs conservateurs d’une université catholique, j’ai fait remarquer qu’aux temps modernes le catholicisme américain a expérimenté deux crises : la crise post-conciliaire juste après Vatican II et celle que nous subissons actuellement sans sortie de crise visible. Et, aussi mauvaise qu’ait été la première crise, je crains que la seconde tourne pire encore.

Je crois que les professeurs comprenaient ce que je disais. Mais beaucoup de catholiques, probablement la majorité, ne comprendront pas. La plupart des catholiques, y compris ceux plus ou moins engagés au sein de l’Église, savent qu’il y a moins de prêtres et de religieux qu’autrefois mais leur savoir ne va pas beaucoup au-delà.

Alors observons ces deux crises. À quiconque pense qu’il n’y en a qu’une seule je réponds : « prenez-le comme vous voulez, l’histoire est la même qu’il y ait deux crises ou une seule, mais considérez ce qui suit. »

Commençons avec la crise post-conciliaire. Elle a commencé dans le milieu des années 60 et s’est poursuivie jusqu’à la fin des années 70 ou début des années 80. Ses caractéristiques principales les plus visibles étaient la dissidence et les défections.

Bien que le travail préparatoire ait été lancé plus tôt, la dissidence n’a pas atteint les proportions d’une crise avant 1968 et l’attaque contre l’encyclique du pape Paul VI sur le contrôle des naissances « Humanæ vitæ ». Notez en passant que des évêques ont mis la pagaille en incluant, dans une lettre pastorale affirmant soutenir l’encyclique, des instructions pour une dissidence responsable – un peu comme quelqu’un dirait à un voleur : « je préfèrerais que vous ne voliez pas les diamants mais si vous avez l’impression de devoir le faire, voici les chiffres composant le code ».

La dissidence s’est rapidement institutionnalisée lorsque le corps enseignant d’institutions catholiques, y compris des séminaires, a adopté cette habitude sans être contré pendant que le corpus des doctrines rejetées s’étendait bien au-delà de la contraception.

Les défections de cette époque ont commencé avant « Humanæ vitæ » et ont finalement concerné des milliers de prêtres (y compris quelques évêques), des religieux, des religieuses. Les défections se combinant avec la dissidence ont exercé un puissant pilonnage sur l’Église avant que la situation ne se stabilise un peu dans les premières années du pontificat de Jean-Paul II.

La crise qui a suivi, je l’affirme, est devenue perceptible à l’aurore du troisième millénaire. Combinée à un relâchement général promu par la première crise, ses sources incluent la sécularisation de la culture américaine, l’éloignement de la religion organisée, la croissance du libertarianisme moral, et dans le secteur catholique, le scandale des abus sexuels commis par des prêtres et leur dissimulation par les autorités de l’Église.

Les caractéristiques de la crise actuelle sont la contraction et la fermeture. Comme Ralph Martin l’explique, actuellement « travailler comme d’habitude » signifie pour l’Église « se retirer des affaires ». Les chiffres (du centre de recherche appliquée en apostolat) quantifient ce que cela signifie.

Comme cité plus haut, pratiquement tout le monde sait que le nombre de prêtres a chuté, de 59 192 en 1970 à 34 923 en 2021. Ce que les chiffres ne montrent pas, c’est que 40% des prêtres actuels ont 65 ans ou plus (ils étaient moins de 10% en 1970) ce qui signifie encore moins de prêtres d’ici peu.

D’autres catégories présentent des schémas similaires : les religieuses – de 160 931 à 39 452 ; la participation à la messe hebdomadaire – de 54,9 à 17,3 % ; les baptêmes d’enfants – de 1,089 million à 411 482 ; les mariages à l’église – de 426 309 à 97 200. Même les funérailles catholiques plongent – de 417 779 à 356 521.

Cependant, les chiffres grimpent dans quelques domaines. De 1970 à 2021, le nombre d’Américains élevés dans le catholicisme mais ne s’identifiant plus comme catholiques a augmenté de 2,9 millions à 30,8 millions tandis que les paroisses sans prêtre résident sont passées de 571 à 3 377.

Ce qui s’est passé dans le catholicisme américain durant ces années est survenu également en Europe occidentale, peut-être même à une plus large échelle. Joseph Ratzinger, le futur pape Benoît XVI, anticipait ce déclin dans un célèbre discours radiodiffusé en 1969 : « l’Église de demain » disait-il, sera « une Église qui aura beaucoup perdu. Elle deviendra petite et devra recommencer plus ou moins comme à ses débuts. »

Jusqu’à présent, malheureusement, ce renouveau tarde à se manifester. Dans des endroits comme l’Allemagne et la Suisse, de premiers essais de synodalité ont produit des résultats présageant une décrépitude plus poussée. Mais peut-être la déchéance doit-elle être d’abord complète.

Y a-t-il quelque espoir dans tout cela ? Certainement. Mais de concert avec l’espoir, il doit y avoir la prise de conscience que, selon les mots de Ratzinger « ce sera difficile pour l’Église ». Dans un livre à paraître, écrit en collaboration avec mon ami David Byers, je soutiens que la plus grande partie du fardeau dans le soutien du catholicisme américain reposera inévitablement sur les épaules des laïcs dans les années à venir. Ici, je note simplement quelques-uns des éléments que les événements qui vont bientôt exiger une réponse des laïcs catholiques :

• Nous devons accepter le défi implicite dans l’appel universel à la sainteté de Vatican II, gardant à l’esprit que, en matière de spiritualité, la plupart d’entre nous ont besoin de viser très haut pour atteindre la médiocrité.

• Nous avons à nous débarrasser de notre cléricalisme persistant. Dans l’Église à venir, il ne sera pas possible de reporter des choses qui de toute évidence doivent être faites parce qu’un prêtre ne nous a pas encore dit de les faire.

• Nous devons prendre l’initiative d’organiser des petits groupes de catholiques sur la même longueur d’onde pour se soutenir et s’encourager mutuellement dans la foi, principalement – mais pas exclusivement – dans le cadre des paroisses géographiquement plus grandes du futur.

• Et nous devons nous engager dans un sérieux et continu approfondissement de la foi, suivant la directive de la première lettre de Pierre (3:15) : « si quelqu’un vous demande de justifier l’espérance qui est en vous, soyez toujours prêts à répondre, mais avec douceur et respect. »

Jusqu’ici, les évêques ont répondu à cette crise essentiellement en organisant la fermeture ou la fusion de paroisses. La Conférence Catholique des évêques des USA n’a rien dit. Si quelque chose de sérieux est en cours pour préparer l’ensemble des catholiques américains aux temps toujours plus durs qui nous attendent, je n’en ai pas entendu parler. Et la crise est là.