Nous n’avons pas le Thanksgiving américain au Canada. A la place, nous avons un Thanksgiving canadien, quelques semaines plus tôt, ce qui convient mieux à notre climat plus septentrional. Certains d’entre nous célèbrent secrètement également la version américaine, si l’on en juge par l’approvisionnement pléthorique en dindes du supermarché local. Mais j’ai remarqué que nous avons le Black Friday, tout à fait ouvertement.
Laissez-moi essayer un brin de naïveté. Les dindes non vendues seront-elles soldées ce vendredi ?
Un lecteur de l’ouest du Michigan m’a informé que Chesterton voyait d’un mauvais œil nos coutumes nord-américaines de Thanksgiving. J’ai été ravi de lire le texte qu’il mettait en lien, parce qu’étant sous l’impression que le grand homme avait une vision beaucoup plus rose que moi sur presque tout. Ce n’est pas vrai ! Je suis plus favorablement disposé que lui envers nos vieilles coutumes de Thanksgiving, quand j’évoque les couvertures appropriées de Norman Rockwell (illustrateur, 1894-1978).
Chesterton était conscient de l’origine en des temps puritains. Et il était le plus conscient de cela lorsqu’il visitait l’Amérique durant l’époque de la Prohibition, prenant conscience que, si les Puritains s’en étaient allés, leur obsession d’interdire des choses était vivante, et bien vivante. L’idée d’une fête sans « bière et bourgogne » l’horrifiait.
L’époque de la Prohibition est passée également, mais si Chesterton pouvait revenir dans n’importe lequel des campus universitaires où il a un jour parlé, il trouverait qu’il s’en est suivi bien pis. L’équivalent du totalitarisme anti-alcoolique n’est pas simplement présent, il y contrôle la vie ainsi que dans tous les autres espaces publics, où nos puritains post-modernes ont été capables de s’insinuer. Toute expression publique du christianisme fait partie des choses qu’ils cherchent maintenant à bannir.
Mais pour Black Friday, ils vont passer l’éponge. Les doctrines changent – beaucoup sont inversées – mais l’esprit de prohibition est florissant. Thanksgiving peut bien être condamné pour ses liens avec le christianisme, le Black Friday est sans conteste anti-chrétien.
Ce pourrait être le jour de l’année pour consulter Drudge. Je ne l’ai pas fait, mais dans mon souvenir, cet agrégateur de nouvelles a fait du bon travail les années passées pour documenter le chaos et les scandales du Black Friday, cela dans leur inimitable style tabloïd. Ils semblent être spécialement bien informés sur les batailles faisant rage entre entre acheteurs concurrents chez Walmart et consorts.
Cette année, les températures incroyablement basses (en raison, nous dit-on, du « réchauffement climatique ») peut avoir tempéré cette violence. On peut en être reconnaissant.
Indépendamment de mes affiliations catholiques bien connues, j’ai une tendance au snobisme. C’est quasiment à l’opposé des tendances puritaines, qui inclinent au populisme. Quand je vois mes voisins charrier les biens sur lesquels ils pensent avoir fait de bonnes affaires, je ricane. Je cherche à surmonter cette disposition peu charitable, mais cela m’est quasiment impossible.
Cependant je comprends la pulsion d’achat – les facteurs psychologiques sur lesquels la consommation de masse a été construite, cyniquement exploités par les professionnels de la publicité. Cela a commencé avec d’authentiques besoins, ensuite cela a mis en appétit pour « répondre à des aspirations ».
Le désir de posséder des chose dont on n’a pas vraiment besoin peut devenir une fièvre. On perd la possibilité de se détacher. On en vient à vivre dans une rue de tape-à-l’œil délabré remplie de choses si peu demandées même dans les magasins de l’Armée du Salut qu’ils finissent à la décharge.
Les producteurs et leurs designers comprennent comment cela fonctionne. Il serait vain pour eux de fabriquer des choses qui durent. Ils se concentrent sur l’esthétique et rognent sur tout. C’est ce qui se vend aujourd’hui, les mêmes clients voudront autre chose demain. Rien ne sert de harceler ceux qui non seulement voient le résultat, mais vivent pour lui.
Quand j’évoque l’illustration de Rockwell, la joyeuse famille élargie rassemblée autour de la table de ferme, s’interrompant pour prier, je sais que je regarde une des premières approches des « techniques de vente ». Cette nostalgie survit comme technique commerciale, comme les chants de Noël soigneusement déchristianisés qui seront diffusés dans les centres commerciaux durant l’Avent, avant de stopper net quand Noël donne le signal du début des soldes.
Il n’y a aucune concession à notre héritage, aucune. (Il y en avait autrefois.) Les radotages sentimentaux sont là parce que, comme le prouvent les sondages qui se succèdent, les gens peuvent être poussés à acheter, acheter et acheter par une nostalgie bon marché. Les vieux chants sont supprimés non seulement parce que notre monde est post-chrétien mais parce que les mêmes sondages mettent en garde contre un message déviant.
« Achetez, achetez, achetez » si différent du « venez acheter » de la Bible. La notion du Christ vient dans le monde, alors qu’il pourrait toujours appeler certains, faire réfléchir d’autres. Et s’il reste en eux quelque vestige de christianisme, voilà de mauvaises nouvelles pour les chaînes de magasins.
Le Christ né dans une mangeoire : première mauvaise nouvelle. Qui reçoit des cadeaux de sages venus de loin. Mais dont la petite famille n’a pas de biens valant la peine d’en parler ; seulement des impôts à payer. (C’est une vieille histoire.) Cependant, si, de retour à la maison de Nazareth, ils avaient une table pour les repas, elle devait être de bonne qualité puisque Joseph, le père, était un habile charpentier.
Naturellement, Chesterton n’a pas d’objection à Thanksgiving per se. De fait, il était lui-même extrêmement reconnaissant à son Créateur. Il avait même proposé que la Grande-Bretagne déclare un jour de Thanksgiving « pour célébrer le départ de ces austères puritains, les pères pèlerins ».
Alors qu’il est aisé de reprocher le consumérisme et de se moquer des comportements qu’il engendre, je ne souhaiterais pas le bannir, à l’inverse d’un puritain. Plutôt, par exemple, restaurer la religion qui a autrefois célébré la pauvreté plutôt que de la condamner comme un malheur.
Car c’est une mesure de la profondeur de la blessure causée par le consumérisme. Le « bien-être » en dépend en grande partie. La demande pour une rentrée d’argent minimum est pour nous rendre capables de participer à la goinfrerie d’achat.
Soyez reconnaissant pour ce que vous avez. N’aspirez pas à acquérir davantage, à moins que ce ne soit la grâce de ce Seigneur que nous avons négligé quand il était au milieu de nous. Prions chacun, moins plus plus de richesse, et davantage pour une bonne mort.
David Warren est ancien rédacteur du magazine Idler et chroniqueur dans des journaux canadiens. Il a une profonde expérience du Proche-Orient et de l’Extrême-Orient.
Illustration : « Le repas de la Sainte Famille » par Adriaen Isenbrandt, vers 1525 [musée de Bristol – Angleterre]
Source : https://www.thecatholicthing.org/2018/11/23/of-consumerism/