Le concert européen - France Catholique
Edit Template
100 ans. Donner des racines au futur
Edit Template

Le concert européen

Copier le lien

L’Union européenne  telle qu’elle apparaît à la veille du sommet des 28-29 juin 2018 ressemble plus à la Diète du Saint-Empire qu’au Congrès de Vienne. La première, dissoute par Napoléon en 1806, s’était illustrée par la paix d’Augsbourg (1555) entre protestants et catholiques. Celle-ci avait sombré après soixante ans dans une première guerre de Trente ans qui trouva une issue pérenne dans les fameux traités de Westphalie (1648) qui ont façonné l’Europe des États-nations que la construction européenne était supposée dépasser. 

C’est la chancelière allemande qui, attendue sur d’autres sujets, a entretenu le congrès du Parti populaire européen (PPE, majoritaire au Parlement européen), à Munich le 6 juin dernier de la paix d’Augsbourg ! Elle lançait ainsi une nouvelle vision de l’Europe de la défense et de la sécurité et la campagne pour les élections européennes de mai 2019.

La caractéristique actuelle de l’UE est qu’elle n’est pas un concert (ni de Strauss ni de Schoenberg), ni une alliance (ni sainte ni laïque), ni comme on l’a trop dit une force de maintien de la paix (comme une sorte d’ONU). Elle n’est pas ou plus un objet politique non identifié, ni fédération, ni confédération. Elle est un jeu complexe de coalitions à géométrie variable. On a parlé d’axes, de cercles concentriques. Tous ces termes sont utilisés parce qu’on a perdu le centre, centre de gravité et centre politique, hier franco-allemand (plus un centre qu’un axe), situé en résumé sur le Rhin, à Strasbourg (que la chancelière a malencontreusement éborgné dans son discours de Munich). 

L’Union européenne, privée de centre, se redessine en quatre coalitions à dominante géographique mais pas uniquement : la première à s’identifier avait été le « triangle de Visegrad » (toujours la géométrie!) , entre les trois pays de l’Europe du centre (Mitteleuropa), Pologne, Hongrie, Tchéquie, élargis à la Slovaquie, la Slovénie et la Croatie. La seconde s’est manifestée le 6 mars  par une lettre commune sur l’eurozone : emmenée par les Pays-Bas orphelins du Brexit et un Premier ministre, Mark Rutte, candidat à la présidence de l’Union en 2019, elle regroupe les trois pays scandinaves, les trois pays baltes et l’Irlande. La troisième est sortie le 13 juin du chapeau tyrolien des ministres de l’Intérieur d’Allemagne, d’Autriche et d’Italie, reconstituant sans en avoir l’air une nouvelle Lotharingie, pour ne pas évoquer des souvenirs plus récents, un « axe des volontés » » avec l’Autrichien Strache et l’Italien Salvini, tous deux issus de l’extrême droite). Reste un quatrième groupe qui ne veut pas s’assumer, qui se pense encore européen unitaire alors qu’il n’est que périphérique, et qui rassemble pour le moment la France de Macron, l’Espagne de Sanchez, S trois a dit le Bavarois Seehofer (l’un des «  la Grèce de Tsipras, le Portugal de Costa, la Belgique de Michel, et le Luxembourg, tous plutôt au centre-gauche, les derniers en Europe. 

Soucieuses de maintenir un semblant de pilotage commun, France et Allemagne pratiquent un jeu de balance entre les uns et les autres. Pour Angela Merkel c’est aussi un jeu intérieur. Il en a toujours été ainsi dans la politique allemande tiraillée hier entre la protection américaine et l’influence française, l’Est et l’Ouest, le Nord et le Sud. Merkel pense qu’il ne faut plus compter sur Washington. Washington lui cherche un successeur, qui pourrait être l’architecte d’une Europe trumpisée. Macron le 19 juin a conforté Merkel au prix de concessions que lui reproche une partie de sa majorité. Macron n’est pas socialiste. Tsipras, Costa et Sanchez le sont. Or le choix ici n’est pas entre libéralisme ou socialisme mais entre ouverture ou fermeture, croissance ou récession, immigration ou gestion monétaire de l’euro. 

Longtemps les Européens ont temporisé. Un peu plus d’euro ici, un peu moins d’immigration là. Les 28-29 juin, ils se trouvent au pied du mur. Contraint et forcé, pour sauver Merkel, Macron a finalement dû s’exécuter. Il a choisi de faire passer la réforme de l’eurozone avant celle des règlements de Dublin. Il s’était d’ailleurs beaucoup plus engagé sur le premier sujet qu’il croit dominer, que sur le second qu’il pense contrôler mieux en interne. Il accepte de faire une concession à Merkel sur l’immigration – en réalité à Seehofer menacé dans son fief bavarois aux élections d’octobre – en tablant en retour sur une concession allemande sur l’eurozone – que tient bon le successeur de Schaüble aux Finances, le social-démocrate hambourgeois Olaf Scholz. 

Emmanuel Macron, jupitérien en France, sous-estime la démocratie allemande, qualifiée de « labyrinthe » par l’hebdomadaire britannique The Economist. La chancelière doit faire avec un cabinet de coalition et un Bundestag doté de pouvoirs inconnus des assemblées françaises (outre les 109 députés d’extrême droite !). C’est sans nul doute un avantage pour Paris qu’Angela Merkel soit toujours en situation, comme hier Helmut Kohl – dégommé en interne par la même Angela. Macron a appris la diplomatie des coalitions mouvantes et interchangeables. Si celles-ci venaient à se figer et à se durcir, l’Union – la Diète – deviendrait ingérable. Sauvons donc ensemble notre paix d’Augsbourg !