Jusque très récemment, le mariage était considéré comme une institution constituée de trois caractéristiques essentielles : la conjugalité, la pérennité et l’exclusivité, caractéristiques qui ont été, plus ou moins, représentées dans nos lois.
La conjugalité se réfère à la manière dont le mariage est consommé, c’est-à-dire les rapports sexuels entre les époux. La pérennité indique que le mariage est indissoluble (et ne peut pas être annulé), à moins de conditions spécifiques ou du décès de l’un des époux. L’exclusivité concerne la relation sexuelle et signifie qu’aucun des deux partis n’est libre de prendre part à certaines intimités extra-conjugales.
Même les unions polygames doivent répondre à ces critères. Le mari est marié à chacune de ses épouses, alors que les femmes ne sont pas mariées entre elles et donc n’ont pas de « femmes ». C’est pour cette raison qu’après la mort du mari, chaque mariage de ce regroupement polygame est immédiatement dissous.
La conjugalité est une condition en rapport avec la nature sexuelle des rapports : l’union des deux partis doit engendrer des descendants. C’est pour cela que les poignées de main, les embrassades, les baisers, ou autres contacts corporels ou intimes, ne peuvent pas être considérés comme des actes extra-conjugaux.
C’est également pour cette raison qu’il est faux de dire que cette dernière caractéristique ne peut pas être distinguée des actes conjugaux ne pouvant pas engendrer de descendants, à cause de l’âge ou d’une maladie. De tels actes conjugaux, même stériles, ne cessent pas d’être des actes conjugaux, tout comme un homme dans le coma ne cesse pas d’être un être rationnel, bien qu’il ne soit pas en mesure de répondre de ses facultés intellectuelles.
Ainsi, comme l’homme comateux possède toujours sa dignité humaine bien qu’il ne soit pas capable d’exercer ces capacités humaines, l’acte conjugal entre un mari et sa femme ne pouvant donner naissance à des enfants ne possède pas moins de dignité. Il matérialise cette union mystérieuse et profonde, qui est, par nature, de mettre au monde une personne unique et irremplaçable incarnant cette union.
Si l’on pense à la nature sacrée de la conjugalité d’autrefois, considérée et incontestée de presque tous, l’exclusivité et la pérennité prennent alors tout leur sens, surtout si l’on pense que les enfants ne sont pas seulement mieux éduqués, mais ont droit, par nature, à un père et une mère qui s’unissent l’un à l’autre sous l’autorité d’un engagement qui ne peut ni être supprimé ni modifié par leur seul consentement.
Bien sûr, ces caractéristiques (conjugalité, pérennité, et exclusivité), n’étant plus considérées comme intrinsèques, semblent inconcevables pour de nombreux citoyens ayant grandi dans la culture post-années 60.
Avec la promulgation des lois sur le divorce à l’amiable au début des années 70, la pérennité a commencé à se dissiper. L’exclusivité a suivi peu après. La révolution sexuelle a amené avec elle, non seulement la dégradation des mœurs en ce qui concerne la fornication, mais également les concepts de l’échangisme, du mariage « ouvert », et même du « polyamour », courant qui permet d’entretenir des relations amoureuses avec plusieurs partenaires. Petit à petit, les infractions à l’exclusivité ont été perçues comme n’étant pas intrinsèquement fausses, mais plutôt comme déplacées, dans la mesure où les épouses ne garantissent pas leur consentement mutuel.
Sans grande surprise, il y a eu une augmentation de naissances hors-mariage, de familles monoparentales (avec des enfants nés de divers partenaires), de familles brisées et d’autres recomposées.
Par conséquent, il ne reste plus rien du caractère exceptionnel du mariage. En principe, chaque relation de ce cocon familial peut être brisée, fixée de nouveau, ou rompue si les personnes adultes concernées y consentent. Cependant, ceux qui n’ont pas cette capacité de décision (par exemple, les enfants) peuvent être exclus (par avortement, si ce n’est pas postnatal), ou, selon le bien commun, « équitablement » répartis entre les partis par des procédures judiciaires de l’État, qui a la ferme intention de faire respecter les grandes lignes de cette nouvelle institution, appelé « mariage ».
Compte tenu de la conjecture des événements, pourquoi la conjugalité devrait-elle perdurer ? C’est précisément ce que revendiquent les partisans de la reconnaissance juridique du mariage homosexuel dans leurs déclarations publiques. Ils ont été élevés dans cette culture qui leur a enseigné que le mariage est un subterfuge, forgé de toutes pièces par nos désirs immatériels, plutôt qu’une institution sacrée que nous n’avons pas créée et qui lient nos désirs en y prenant part.
Tout ceci nous amène à une des plus grandes ironies de notre temps. Récemment, l’État américain a déclaré à un pâtissier du Colorado qu’il ne pouvait pas refuser de préparer et de décorer un gâteau de mariage pour un couple homosexuel qui s’est marié dans le Massachusetts, mais a organisé la réception dans le Colorado, État qui, actuellement, ne reconnaît pas légalement ces unions. Le pâtissier avait refusé, car sa bonne conscience ne lui permettait pas d’offrir un soutien matériel à un événement liturgique que ses croyances théologiques estiment immoral.
Bizarrement, avec la disparition des conditions d’exclusivité et de pérennité, et maintenant de conjugalité, cette décision signifie que l’obligation légale de chaque parti d’un mariage légalement reconnu (ou d’une union civile) l’un envers l’autre est moins importante que ne l’est celle du pâtissier envers le couple.
Apparemment, l’État pense que préserver la relation entre le pâtissier et le couple homosexuel est primordial pour la cause de la justice, plus que le fait de préserver cette justice pour ces unions qu’il prétend défendre.
Autrement dit, il est plus difficile pour un pâtissier du Colorado de laisser quelques-uns de ses clients, qu’il ne l’est pour des partenaires d’un couple « marié » du Massachusetts de se séparer.
http://www.thecatholicthing.org/columns/2014/love-weaker-than-commerce.html
Tableau : The Pharisees Question Jesus by James J. Tissot, c. 1890
Francis J. Beckwith est professeur de philosophie et d’étude des relations Eglise-Etat à l’université de Baylor, au Texas, où il est également directeur associé du programme des diplomés de philosophie, et le directeur adjoint du programme d’études philosophiques de religion.