En essayant hier de réfléchir à la complexité de certaines situations que les politiques ont à gérer, telle celle de l’accueil des migrants, je signifiais une sorte de refus du manichéisme. Ce n’est pas une position facile à tenir, les gouvernants sont payés pour le savoir. Le passage de l’opposition aux responsabilités du pouvoir oblige souvent à reconsidérer les choses. Il n’y a pas forcément le camp des bons et celui des mauvais, il y a aussi des hommes et des femmes de bonne volonté qui emploient toute leur énergie à démêler les problèmes les plus épineux. C’est parfois au prix des plus vifs reproches de la part de ceux qui estiment que la pratique du pouvoir a eu raison des principes pour lesquels on se battait hier. Ainsi, Cécile Duflot, ancienne ministre écologiste, interpelle le président de la République dans une tribune libre du Monde : « Les humanistes doivent relever la tête, afin que la folie de politiques migratoires indécentes et mortifères soit entravée. » Et de dénoncer un véritable « Waterloo moral ». Rien que cela…
J’avouerais que ce type de discours atteint la part de moi-même qui me presse de secourir les pauvres, les abandonnés, les naufragés. Mais une autre part de moi-même me renvoie au contrôle de la raison et de la raison politique. Tout n’est pas possible et tout n’est même pas souhaitable. Parfois le réflexe moralisateur peut aller à l’encontre du bien concret à réaliser. Impossible de considérer le monde indépendamment d’un discernement qui passe par la Realpolitik. Une Realpolitik qui ne s’identifie nullement au cynisme moral mais se préoccupe des conditions préalables à un ordre plus juste. C’est faute d’un tel discernement que l’on a précipité des catastrophes au Moyen-Orient et en Afrique. Les Occidentaux, et d’abord les Américains, prétendaient renverser les dictateurs, ils ont instauré le chaos et suscité des tyrans encore plus sanguinaires. Jacques Maritain disait qu’il fallait avoir le cœur tendre et l’esprit dur, pour ne pas se laisser abuser par une sentimentalité non éclairée. C’est tout le problème. Attention ! Cela ne veut pas dire qu’il faut oublier les ressources du cœur. Il faut les appliquer à bon escient.
Chronique diffusée sur Radio Notre-Dame le 11 juin 2015.
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