LE COCOTIER - France Catholique
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Funérailles catholiques : un temps de conversion
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LE COCOTIER

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D’autres l’ont déjà dit, mais c’est une image si frappante et si vraie que nous devrions la graver dans notre esprit et ne jamais l’oublier : la France est comme un grand arbre (disons un cocotier) où les Français, personnellement ou en groupes, ont leur nid. Comment chaque Français se trouve-t-il installé dans le nid où il est ? Essentiellement par l’effet de l’histoire, de la culture, de la tradition familiale et nationale, traditions d’autant plus solides qu’elles sont inconscientes, comme sont inconscients les mécanismes de notre vieille langue quotidiennement parlé1.

Les Français ont la passion de contester verbalement, mais ils sont (les étrangers le savent et l’écrivent) le peuple le plus traditionaliste de l’Occident. Ils peuvent aller jusqu’à s’entre-égorger sur leurs passions idéologiques, mais vus de l’extérieur, ils se ressemblent à un point incroyable. La « révolution » de 1848 décrite par Erckmann-Chatrian, c’est 1968, plus des cadavres et le sac des Tuileries. Alexis de Tocqueville expose, il y a cent ans, les absurdités de l’administration de l’ancien régime (oui, l’ancien, celui d’avant la Grande Révolution) : on croirait qu’il a plagié M. Peyrefitte et son Mal Français2.

La France de 1979 présente les mêmes absurdités que celle de Louis XV. Déjà, à l’époque, on attendait tout du gouvernement ; déjà, quand quelque chose n’allait pas, on écrivait au ministre pour avoir une subvention ; déjà, pour déplacer la fenêtre d’une école, il fallait remonter le cocotier de paperasse, jusqu’à Paris ; déjà la réussite ne s’obtenait que par le génie, l’intrigue et le système D ; déjà l’on tenait par-dessus tout, quoique sous un autre nom, aux « avantages acquis », expression intraduisible dans aucune des langues que je connaisse (a), mais qui est parfaitement comprise aussi bien par M. François Ceyrac que par MM. Séguy ou Marchais3.

Quelque chose, cependant, a tout à coup changé depuis vingt ans : c’est l’apparition d’une société économique supranationale, mondiale. La ménagère française qui fait son marché rapporte dans son sac un tiers ou une moitié de produits arrivés là en franchissant nos frontières. Et le travailleur français, à tous les niveaux, travaille en partie pour l’étranger4. Dans mon village montagnard perdu, le papier hygiénique vient de Hong Kong. L’éleveur de porcs, mon voisin, va plusieurs fois par mois chercher ses porcelets à 1200 kilomètres, dans le Benelux. Qui mangera ses jambons ? Lui-même n’en sait rien. D’où vient la farine de son pain et du mien ? Dieu seul le sait (s’il le sait).

Et voilà, dans le cocotier secoué par la tempête, les « avantages acquis » menacés. Réflexe instantané, propre à notre cher et vieux pays : chacun se tourne vers l’État. Manufrance5 et Concorde menacés de faillite ? Qu’attend l’État pour y remédier ? Personne ne veut de notre acier et de nos réparations navales offertes par d’autres à moitié prix ? À l’État de se débrouiller, de nous débrouiller. Trop cher, notre cochon ? Que l’État paie la différence.

Dans cette pagaille, cependant, on remarque que certains se débrouillent fort bien. Michelin s’installe en Amérique. Peugeot, Citroën, Renault même progressent. Tel fabricant de meubles triple son personnel alors que tel autre appelle au secours. Des milliers de petites entreprises grossissent, tandis que d’autres mettent leur personnel sur le pavé. Qu’attend l’État pour rétablir la « justice » ?

« L’État-n’a-qu’à »… mais « y-veut-plus » !

Pour la première fois depuis trois siècles, l’État fait la sourde oreille. Impitoyable et courtois, il dit à chacun : « Débrouillez-vous ! »6

Si le droguiste du coin préfère se fournir en papier hygiénique chinois, quelle en est la raison ? Veut-il du mal, ce droguiste, aux fabricants français ? Demandez-lui. « Moi ?, répondra-t-il. Vivent les fabricants français, mais ils sont trop chers. Si l’on me force, à me fournir chez eux, je fais faillite : que l’Etat paie la différence. » Mais insistez-vous, il y a vingt ans, c’est pourtant en France que vous vous fournissiez ? « Certes, dira-t-il, mais alors, que tous reviennent, comme il y a vingt ans, aux seuls fabricants français : les prix augmenteront, et je ne ferai plus faillite. »

C’est donc clair, la faute est à l’étranger : fermez nos frontières, et Manufrance (par exemple) pourra éponger ses milliards de déficit, en doublant impunément ses prix, que les Français seront bien obligés de payer en l’absence de tout concurrent japonais ou autre.

« Avantages acquis » et « force des choses »

Mais, si les frontières sont fermées, où prendrons-nous le pétrole et les autres matières premières dont la France est dépourvue, indispensables même à l’industrie la plus simple ? Allons-nous les fermer à l’entrée seulement ? Impossible : aucun pays n’accepte de déséquilibrer sa balance. Si je t’achète, il faut aussi que tu m’achètes. C’est la loi universelle du commerce, quel que soit le régime politique du partenaire. En ce moment même, l’URSS reproche à la France de lui vendre trop et de ne pas lui acheter assez. À l’intérieur même du bloc de l’Est, le déséquilibre, car il existe, est imposé par la puissance occupante, et se traduit par une maladie inguérissable du pays occupé (voir la Pologne).

Je me demande à quoi pense M. Debré, qui fulmine contre l’Europe. Que propose-t-il pour neutraliser la force des choses ? Lui si éloquent se tait sur ce sujet. À quoi pense aussi M. Rocard, qui prêche l’autogestion ? Comment envisage-t-il de faire porter aux ouvriers autogestionnaires d’une activité déficitaire le poids du changement ? Ne posons pas la question à MM. Mitterrand et Marchais, pour qui la politique prime tout, dussions-nous devenir un peuple du tiers-monde comme l’Albanie, pays aux frontières plus qu’étanches.

On pourrait neutraliser la « force des choses » si elle était politique. Hélas, elle tient à la nature de l’évolution technologique. Personne au monde ne peut empêcher les pays pauvres de s’éduquer, de se créer des compétences, et de nous offrir à moitié prix le produit de leur dur travail. Il n’est même que juste que nous le leur achetions ce dur travail qui les sort de la misère : c’est notre devoir de peuple anciennement développé7.

Alors quoi faire ? Il n’y a, réfléchissez, qu’une solution (à charge aux politiciens de la baptiser au gré de leur idéologie) : c’est évidemment d’évoluer nous-mêmes vers les hautes compétences, là où il n’y a pas foule, là où l’invention et la nouveauté ne trouvent pas de concurrence parce qu’il n’y a personne. Bref, la seule solution pour nous autres pays avancés, c’est d’avancer plus loin, dans l’espace vierge du futur8.

Un lecteur m’écrit : « Alors, notre million de chômeurs doit être transformé en un million de savants et d’ingénieurs ? »

Cher Monsieur, ce million de chômeurs, d’où sort-il ? De nos usines retardataires abattues par la concurrence. Qui les a faits, ces chômeurs ? La paresse intellectuelle de ceux qui croient que la vie consiste à conquérir un « avantage » et à s’endormir dessus. Par qui ces paresseux ont-ils été abattus ? Par des Japonais, des Brésiliens, des Taïwanais, des Allemands, des Hollandais qui ne considèrent pas, et n’ont jamais considéré la fortune comme un « avantage acquis », mais comme un devoir d’être levé avant et couché après tous les autres. Le million de chômeurs serait bien vite résorbé s’il existait en haut ce qu’il faut d’esprits assez ingénieux et infatigables pour leur donner du travail.

Un grand coup de balai à donner

Qu’on me permette de conclure (b) par deux expériences personnelles.

J’ai eu plusieurs fois l’occasion de travailler avec l’équipe directrice d’une grande entreprise allemande. D’une part je n’ai jamais travaillé si vite et avec un tel plaisir. D’autre part, cette firme a réalisé en quelques mois des projets qui, à Paris, s’étaient englués pendant des années dans les parlotes et les « repas d’affaires ».

Deuxième expérience : j’ai eu récemment affaire au PDG d’une grande entreprise du Sud-Est. Ce monsieur, protégé par toute une avant-garde de secrétariats et de cabinets, n’est à son travail que de 15 h à 15 h 30, et il ne connaît rien à la marche de son affaire.

Eh bien, je ne cache pas mon vœu le plus cher : que tout ce monde dégringole au plus vite du cocotier. Que la tempête les balaie ! Et que d’autres, qui pour le moment piétinent avec impatience sous leurs ordres, prennent leur place, ressuscitant à leur façon ce que personne n’ose plus appeler nos élites, nos vieilles « vertus bourgeoises ». Alors, une fois de plus, le monde parlera du « miracle français », qui tant de fois s’est produit.

Aimé MICHEL

(a) Aucun de mes dictionnaires ne fournit cette traduction.

(b) Provisoirement ! Car ce petit article ne traite que d’un aspect (mais très important) de nos difficultés.

Chronique n° 322 parue dans F.C. – N ° 1678 – 9 février 1979. Reproduite dans La clarté au cœur du labyrinthe, Aldane, Cointrin, 2008 (www.aldane.com), pp. 345-348


Notes de Jean-Pierre ROSPARS du 3 novembre 2014

  1. La persistance de ces traditions inconscientes en dépit des bouleversements économiques et sociaux est beaucoup plus grande qu’on pourrait le penser comme l’ont montré Hervé Le Bras et Emmanuel Todd dans Le mystère français (Seuil, Paris, 2013), livre dont nous avons brièvement rendu compte à propos de la chronique n° 270, C’est la « chute finale » ? – Comment Emmanuel Todd démontra que l’URSS était un pays sous-développé (11.11.2013).
  2. Alain Peyrefitte (1925-1999), plusieurs fois ministre (de l’Information de 1962 à 1966, de la Recherche en 1966, de l’Éducation nationale en 1967, du Plan en 1973, des Affaires culturelles et de l’Environnement en 1974, et de la Justice de 1977 à 1981), fut l’auteur de deux livres qui connurent un très grand succès : Quand la Chine s’éveillera en 1973, puis Le Mal français en 1976. Il y montre un remarquable talent de prophète puisqu’il est le premier à avoir prévu l’essor de la Chine et révélé le vague à l’âme des Français. « Pourquoi, se demande-t-il au début de son Mal français, ce peuple vif, généreux, doué, fournit-il si souvent le spectacle de ses divisions et de son impuissance ? ».
    Il répond : trop de dirigisme étatique, trop de centralisation, trop d’administration bureaucratique, trop peu d’esprit d’entreprise et déjà cette peur irraisonnée de la mondialisation, « Nous craignons, écrit-il, de nous laisser emporter par le courant mondial de la compétition ». Comme le note Jean d’Ormesson, à l’occasion du 30e anniversaire de la parution de cet essai, « le diagnostic d’Alain Peyrefitte n’a pas pris une ride. » (http://www.lefigaro.fr/debats/2006/07/08/01005-20060708ARTFIG90471-mal_francais_le_diagnostic_d_alain_peyrefitte_n_a_pas_pris_une_ride.php).
  3. Respectivement « patron des patrons » (CNPF, aujourd’hui MEDEF), secrétaire général de la CGT, et premier secrétaire du Parti communiste.
  4. Ces observations marquent l’entrée à cette époque (fin des années 70) dans ce qu’on appelle aujourd’hui la mondialisation et qui représente la troisième vague de la révolution industrielle. La première vague à la fin du XVIIIe siècle commence par la mise au point de la machine à vapeur qui rend possible le transport de masse par chemin de fer et bateaux à vapeur tandis que les manufactures se transforment en usines. La seconde vague qui commence à la fin du XIXe siècle se fonde sur le moteur à combustion interne, le pétrole et l’électricité ; elle voit l’essor de l’automobile et de l’aviation, tandis que l’usine se transforme par l’analyse scientifique des tâches (taylorisme) et son application concrète à la chaîne de montage (fordisme).

    La troisième vague à la fin du XXe siècle est caractérisée par les technologies de l’information et de la communication ; dans le domaine du transport son innovation la plus significative est le conteneur. Ce grand caisson métallique aux dimensions normalisées aujourd’hui omniprésent a été inventé en 1957 par l’armateur américain Malcolm McLean (1914-2001). Comme il est facile à transborder entre véhicules (navire, train ou camion), son usage associé à l’augmentation de la taille des navires et au coût relativement faible du pétrole conduit à une très forte diminution du coût des transports intercontinentaux. En parallèle, avec le réseau Internet le coût du transfert d’informations s’effondre et sa vitesse devient presque instantané. L’« entreprise globale » organisant ses activités à l’échelle mondiale peut alors naître et s’épanouir. On a vu à l’occasion d’une précédente chronique (n° 192, La culture qui vient par les airs – L’urgence d’un humanisme scientifique dans un milieu spirituel technico-scientifique, 02.09.2013) comment un appareil aussi banal qu’un téléphone portable illustre la mondialisation avec ses pièces fabriquées dans le monde entier…

    Aimé Michel a raison d’insister sur le fait que ces évolutions ne proviennent pas d’une quelconque décision politique mais sont le résultat inéluctable d’inventions technologiques successives. La politique s’adapte comme elle peut et le plus souvent avec retard.

  5. Manufrance, la Manufacture d’Armes et de Cycles de Saint-Etienne, faisait alors partie du paysage industriel et commercial français. Cette société de vente par correspondance fondée en 1885 dont le catalogue était connu de tous, connaît ses premières pertes en 1975. Rapidement elles explosent en raison de la concurrence (La Redoute, Les Trois Suisses, Quelle, fabricants étrangers…) mais surtout des carences de la direction, de son absence de stratégie commerciale et d’investissements, en un mot de son incapacité à s’adapter aux attentes des consommateurs (notamment de la clientèle féminine). En 1979, la société est mise en liquidation judiciaire. L’agonie de trois mille emplois directs et quatorze mille emplois indirects commence. En 1980, une coopérative ouvrière tente de prendre la suite mais échoue en raison des dettes accumulées. En 1986, s’en est fini de Manufrance : meubles, immeubles, brevets et marque sont vendus. (http://www.millenaire3.com/uploads/tx_ressm3/Manufrance_01.pdf).
  6. Et ce qui se jouait entre entreprises d’un même pays se joue dorénavant aussi entre pays ! Certains s’adaptent, d’autres moins. Un indicateur intéressant est le produit intérieur brut (PIB) par habitant. Le site web du journal Les Échos offre un outil de visualisation du PIB par habitant de 1980 à aujourd’hui fondé sur les données du Fonds Monétaire International (FMI) qui permet de comparer facilement les résultats de la France à ceux d’autres pays. On découvre ainsi un remarquable parallélisme entre France, Allemagne et Royaume-Uni dont les courbes fluctuantes et stagnantes depuis 2008 contrastent avec la progression pratiquement linéaire des États-Unis et les remarquables performances récentes de la Suède et surtout de la Suisse qui caracole en tête depuis 2002 (son PIB par habitant est de 81 300 € contre 43 000 en France !). Il est surprenant que l’exemple de la Suisse, sans matières premières et sans ports, ne soit pas mieux connu et médité en France.

    Les frontières sont devenues poreuses aux marchandises, aux capitaux, aux informations et aux personnes. Les États-nations ont les plus grandes difficultés à les contrôler voire ne les contrôlent plus. Aucun État ne peut plus décider seul sa politique économique en fonction de ses seuls intérêts ; il doit tenir compte de l’effet de ses décisions sur ses partenaires et de leurs réponses. En 1983, la France a dû renoncer à sa politique de relance en raison d’un déficit commercial record de 93 milliards de francs l’année précédente. En 1993, la défense du franc contre les opérateurs internationaux qui anticipaient sa dévaluation a eu un coût exorbitant (144 milliards de francs utilisés sur le marché des changes en juillet). L’État ne veut plus parce qu’il ne peut plus.

  7. C’est tout le débat sur la démondialisation et la fermeture des frontières qui a depuis quelques années les faveurs de nombreux experts et hommes politiques tels que Maurice Allais (La Mondialisation, la destruction des emplois et de la croissance : l’évidence empirique, Clément Juglar, 1999), Emmanuel Todd (Après la démocratie, Gallimard, 2008), Jacques Sapir (La démondialisation, Seuil, 2011), Marine Le Pen, Jean-Luc Mélenchon et Arnaud Montebourg (Votez pour la démondialisation !, avec une préface d’E. Todd, Flammarion, 2011). Inquiet de l’appauvrissement des classes moyennes, de la montée du chômage, de la précarité et des inégalités, les Français ne sont pas insensibles à ces mesures protectrices comme le montre un sondage réalisé en mai 2011 par l’Ifop pour l’association « Manifeste pour un débat sur le libre-échange » (http://www.ifop.fr/media/poll/1535-1-study_file.pdf). La majorité des sondés pensent que l’ouverture des frontières a des conséquences négatives sur les bénéfices des entreprises (55%), le prix des produits (57%), les déficits publics (73%), les salaires (78%) et les emplois (84%) ; qu’elle n’est une bonne chose que pour les multinationales et les pays en voie de développement. Pour 75% des sondés elle aura une influence négative sur l’emploi dans les années à venir, les effets « très négatifs » étant attendus surtout par les ouvriers (46%) et les employés (36%), moins par les cadres supérieurs (27%), les artisans, commerçants et chefs d’entreprises (15%). Enfin, 65% des sondés sont favorables à une augmentation des droits de douane des produits importés de pays « tels que la Chine ou l’Inde », de préférence aux frontières de l’Europe. Bref, la cause semble entendue…

    Sauf bien sûr que rien n’est simple et que de sérieux doutes viennent à l’esprit « tant les bienfaits du libre-échange sont diffus quand ses dégâts sont, eux, bien visibles » comme le notent justement Patrick Artus et Marie-Paule Virard (La France sans ses usines, Fayard, 2011). Voici quelques raisons propres à faire douter de l’efficacité du protectionnisme vis-à-vis d’un pays tel que la Chine :

    1/ Pour que celui-ci marche il faudrait que les produits taxés viennent exclusivement de Chine. Or pour de multiples produits (du téléphone portable aux avions) les composants viennent d’un peu partout sur la planète et non pas seulement de Chine qui est simplement le lieu d’assemblage final. Dans l’électronique et l’informatique il n’y a que 5 à 25% de la valeur ajoutée produite en Chine, le reste vient d’ailleurs, y compris d’Europe.

    2/ Il faudrait aussi que la France (ou l’Europe) soit en mesure de produire elle-même les produits dont elle élèverait les droits de douane. Quand on a pris l’habitude d’acheter ailleurs à bas prix ce que l’on consomme, combien de temps faudrait-il pour les produire à nouveau à des prix acceptables par le consommateur, si tant est que ce soit possible ? La condition des personnes actuellement les plus touchées par les difficultés économiques n’en seraient-elles pas durablement aggravées ?

    3/ Il faudrait enfin que la Chine ne réagisse pas à l’élévation des droits de douane imposée par l’Europe, ce qui est peu probable. Or, tandis que les importations de biens chinois en Europe sont constantes depuis 2010 (280 millions d’euros M€), les exportations européennes vers la Chine sont en croissance continue (de 110 M€ en 2010 à 148 M€ en 2013 ; chiffres de la Commission européenne, http://trade.ec.europa.eu/doclib/docs/2006/september/tradoc_113366.pdf). Elles devraient augmenter encore à mesure de l’augmentation du niveau de vie chinois et de la diminution de l’avantage compétitif de la Chine. Est-ce bien le moment de sortir de la globalisation alors qu’on en a déjà payé le prix fort et qu’on en voit poindre les avantages ? Le repli sur soi est rarement une bonne solution.

  8. On a beaucoup discuté ces dernières années de cette « évolution vers les hautes compétences », preuve que le diagnostic posé il y a 35 ans a enfin été compris, ce qui est déjà beaucoup. Mais pourquoi cette prise de conscience n’a-t-elle pas eu lieu plus tôt ? Les chantres de la société post-industrielle ont pu contribuer à ce retard en laissant croire que les services (banque, tourisme, etc.) pouvaient compenser le déclin industriel et commercial. On sait aujourd’hui qu’il n’en est rien : la balance commerciale de la France est déficitaire depuis 2005 ; hors énergie elle est passée d’un solde positif de 25 M€ en 2002 à un solde négatif de 25 M€ en 2011, tandis que la facture énergétique passait de 22 à 46 M€. En volume (donc en annulant l’effet de l’inflation) la production industrielle est restée à peu près constante depuis 1998 alors même que notre consommation augmentait de 50%. Ce décrochage de l’industrie a enclenché un cercle vicieux d’endettement et de chômage. Pourquoi en est-il ainsi ? Pourquoi, à l’instar de la Suisse, l’industrie française n’a-t-elle pas réussi à monter en gamme et à proposer les produits que le consommateur (français et étranger) attend et pour lesquels il est prêt à payer ? Les réponses de nombreux analystes s’accordent dans leurs grandes lignes. En voici un résumé inspiré de Pierre-Noël Giraud et Thierry Weil (L’industrie française décroche-t-elle ? La documentation française, 2013) qui tente d’aller au-delà des indicateurs économiques (voir la chronique n° 304, Les bricoleurs de Cambridge – Comment un pays devient-il riche, c’est-à-dire libre, actif, puissant ? 21.07.2014) :

    − Les entreprises n’investissent pas assez dans l’innovation technologique (1,5% du PIB en 2007 contre plus de 2% en Allemagne ou en Corée). Les entreprises de haute technologie (pharmacie, aéronautique) font de la recherche mais celles de basse technologie qui sont surreprésentées en France n’en font guère. A noter que les innovations peuvent être fort diverses et porter sur les produits et services (« montée en gamme »), leur production (baisse des coûts par robotisation et meilleure organisation), ou leur commercialisation (nouveaux débouchés). La mise en œuvre des innovations requiert des investissements que les entreprises ne peuvent pas financer en raison de l’insuffisance de leurs marges, de relations pas assez favorables avec les banques et d’investisseurs en capital-risque trop peu nombreux.

    − L’organisation des entreprises est défaillante. Le management n’est pas efficace car il compte trop de niveaux hiérarchiques et un taux d’encadrement excessif qui traduit une formation insuffisante du personnel et un manque de confiance entre employés et cadres. Les entreprises clientes ne considèrent pas assez les fournisseurs comme des partenaires, donnent une priorité excessive au « moins-disant », les paient trop lentement et y découragement l’innovation. Le dialogue social est trop conflictuel : employeurs et employés ont une culture de l’affrontement, non du dialogue constructif pour identifier les problèmes et les résoudre « à froid ».

    − La formation professionnelle est insuffisante. Les entreprises n’y investissent pas assez. L’enseignement secondaire professionnel est mal organisé, isolé des filières générales et des entreprises ; peu attirant, il et choisi par défaut par les lycéens. Les enseignants ont une connaissance insuffisante de l’industrie et véhiculent des stéréotypes datés. La formation permanente n’est pas encouragée par la promotion interne.

    − L’État est souvent défaillant. La fiscalité manque de lisibilité et de stabilité. Les arbitrages politiques ont favorisé le consommateur au dépend du producteur (fiscalité, prélèvements de la protection sociale, lois et règlements). Or, le soutien keynésien à la demande ne marche pas parce que le consommateur utilise son revenu supplémentaire pour acheter des produits étrangers. Le problème n’a pas été traité à la racine, c’est-à-dire au niveau des entreprises pour que leur offre corresponde à ce que veulent les consommateurs.

    − Les entreprises évoluent dans un climat de méfiance dans ses relations avec l’administration, l’enseignement, la recherche, les banques, les autres entreprises, en interne même. La société est méfiante à l’égard des activités industrielles, de leurs nuisances et des risques technologiques. L’industrie a une mauvaise image dans l’opinion alors que les salaires par tête y sont supérieurs de 14 % à la moyenne nationale. La métallurgie par exemple, qui recrute 70 000 personnes par an, a peine à trouver des soudeurs, ajusteurs et caristes. Le patron de PME se sent peu légitime, mal compris et complexé.

    En bref, la France se caractérise par une faible propension à la coopération et à la confiance, donc à des politiques à long terme fondés sur des diagnostics clairs et rapidement partagés. Les débats tournent trop souvent à l’affrontement idéologique stérile sans relever les faits décisifs. La France a pu longtemps prospérer sans recourir à des réformes mais ce temps est révolu. Comme l’écrit Jean d’Ormesson à propos du Mal français : « Réclamées, proclamées, abandonnées, les réformes n’ont pas été faites. Elles apparaissent aujourd’hui beaucoup plus difficiles à mettre en œuvre qu’il y a trente ans. Et plus nécessaires que jamais. Les temps s’approchent où les décisions qui ne seront pas prises volontairement et par l’accord des esprits s’imposeront brutalement par la force des choses. »