À en croire certains ecclésiastiques, parfois très haut placés dans la hiérarchie, le christianisme serait la religion qui, plus qu’aucune autre, enseigne le caractère malsain – pour ne pas dire peccamineux – de l’attachement aux racines, au terroir, à la patrie. Défendre son pré carré, se planter dans la terre et dire « c’est ici chez moi », ce serait manquer à la charité universelle. Craindre la perte de son identité culturelle serait un souci de païens mal catéchisés.
Une thèse contraire à l’Évangile
L’argument est connu : les chrétiens ne sont pas du monde ; notre royaume, « notre citoyenneté » dit saint Paul, est dans le Ciel : « conversatio nostra est in caelis » (Ph 3, 20), tant et si bien que les chrétiens devraient se sentir partout comme des étrangers de passage. On citera alors la célèbre Lettre à Diognète (fin du IIe siècle) : « Les chrétiens résident chacun dans sa propre patrie, mais comme des étrangers domiciliés. […] Toute terre étrangère leur est une patrie, et toute patrie leur est une terre étrangère. » De là à présenter la théologie catholique comme une « théologie de migrants », il n’y a qu’un pas.
Soyons clairs : tous ces textes sont beaux et bons, mais on leur fait dire des choses qu’ils ne disent pas. La thèse selon laquelle l’attachement préférentiel à ses propres racines culturelles serait un péché ne saurait s’en autoriser. Mieux que cela : cette thèse est étrangère à la doctrine catholique, et contraire à l’Évangile. Essayons ici de rappeler l’essentiel.
Des êtres incarnés
D’abord un peu d’anthropologie : les humains ne sont pas des dieux ni des anges, mais des êtres fondamentalement incarnés et politiques ; il s’ensuit qu’ils ne peuvent pas accomplir leur nature sans faire partie de groupes sociaux, dont ils dépendent et desquels ils reçoivent plus qu’ils ne sont capables de leur donner. Or, ces réalités collectives – qui précèdent tout contrat – sont nécessairement diverses et particulières. La famille, l’ethnie, la langue, le terroir, la patrie, les us et coutumes, tout cela constitue ce que l’on nomme couramment les « racines ». Simone Weil en parlait fort bien, disant que « l’enracinement est peut-être le besoin le plus important et le plus méconnu de l’âme humaine. […] Un être humain a une racine par sa participation réelle, active et naturelle à l’existence d’une collectivité qui conserve certains trésors du passé et certains pressentiments d’avenir » (L’enracinement, 1942, chapitre 2).
Une loi de Dieu
Ensuite, un point de théologie morale : la grâce ne détruisant jamais la nature, mais la couronnant, il est impossible que la charité universelle s’établisse sur le mépris des racines, sur le mépris de l’incarnation humaine. C’est pourquoi le Christ n’a jamais condamné la dilection préférentielle qu’éprouvent les hommes pour leur famille, leur cité, leur nation. Et pour cause : elle est une loi de Dieu. C’est pourquoi le Christ ne cesse de rappeler l’importance du quatrième commandement et des devoirs de piété filiale : « Honore ton père et ta mère afin d’avoir longue vie sur la terre que le Seigneur ton Dieu te donne » (Exode 20, 12). Saint Paul en a tiré une injonction très claire : « Si quelqu’un n’a pas soin des siens, et principalement de ceux de sa famille, il a renié la foi, et il est pire qu’un infidèle » (1 Tm 5, 8).
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