C’est une expression toute faite : quand on veut parler des trois religions monothéistes, on dit souvent « les trois religions du livre ». Ce n’est pas une bonne idée. Car s’il est vrai que le judaïsme, le christianisme et l’islam ont chacun un livre sacré – la Torah, l’Évangile et le Coran –, on ferait fausse route en pensant, comme le suggère cette formule, que le livre a le même statut dans les trois religions. Bien loin de nous éclairer, ce parallèle nous égare.
Un emprunt à la théologie islamique
Premier point : cette expression vient de la théologie islamique qui, citant le Coran – où l’on parle des « gens du livre », ahl al-kitâb – l’utilise pour désigner les juifs, les chrétiens et les zoroastriens, c’est-à-dire tous ceux qui, en dehors des musulmans, se réfèrent à des livres rédigés par des prophètes inspirés. À ce titre, les « gens du livre » échappent à ce qu’il y a de pire – l’athéisme ou le polythéisme – mais ne sont pas exempts de critiques, dans la mesure où ils sont censés avoir gravement déformé la révélation qui leur a été confiée. Selon l’islam, en effet, les livres des juifs et des chrétiens, s’ils contiennent des bribes de la révélation authentique, dont le Coran est la réalisation parfaite, n’en sont pas moins mêlés de beaucoup de falsifications et de perversions (Coran III, 71). Dire des chrétiens qu’ils sont des « gens du livre », c’est donc, dans la bouche d’un musulman, les complimenter tout en les morigénant.
Deuxième point : le livre sacré a, dans l’islam, un statut absolument incomparable à celui qu’il a dans le christianisme. Reprendre cette appellation, pour un chrétien, c’est donc risquer de très graves confusions. Pour l’école théologique islamique majoritaire depuis le Xe siècle – l’asharisme – le Coran est en effet la copie d’un texte éternel, qui réside en Dieu lui-même, et qui n’est autre que sa pensée incréée (Coran XIII, 39). Il n’est donc pas l’œuvre d’un homme inspiré, mais la parole de Dieu dictée mot à mot en arabe.
Il en va très différemment de la Bible – qui, rappelons-le au passage, n’est pas un livre mais une bibliothèque de 73 livres ! – dont il a toujours été clair qu’elle était l’œuvre d’une multitude d’hommes d’époques différentes, écrite dans des styles et des genres littéraires très divers.
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Pour aller plus loin :
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