Gabrielle est une laïque célibataire appartenant à une famille nantaise aisée. Son tempérament est un mélange d’impulsivité et d’humble douceur. C’est une aventurière qui va quitter périodiquement les bords de la Loire pour franchir des océans par mer ou par air. Un jour au bord d’un transatlantique elle entendit une voix qui disait « ma petite fille » ! Elle avait 62 ans et ne vis jamais le visage de Celui qui parlait. Cette déclaration d’amour elle l’a accueillie et sa vie a été changée.
C’était Dieu qui s’invitait chez elle, en demandant la permission. Une causerie de 14 années s’en est suivie dans un style inimitable. S’il fallait faire un rapprochement on pourrait citer Gertrude d’Helfta (XIIe siècle), une moniale que le Christ aimait avec prédilection en raison de sa liberté de cœur (Cordis libertas). Gabrielle est une fleur des champs qui se mêle à la foule et non pas une rose qui s’épanouit dans le silence d’un monastère séparé du monde. Le style de Lui et moi est inimitable. Voici une page un peu au hasard :
Et moi je vous bénirai , car vous aurez enfin répondu à Mon appel…l’appel de Celui qui se tenait debout à la porte écoutant si le bruit de la maison était en sa faveur, car s’Il se tient « debout » c’est qu’Il sait qu’on peut le chasser…Parfois on ne veut même pas qu’Il attende, On Lui dit : « jamais vous n’entrerez chez moi » ! Comme s’Il était un malfaiteur, Lui qui est mort d’amour pour eux. Mais quand on Lui dit « Entrez », quand on ajoute « restez, vivez près de nous », ce pauvre solitaire éprouve alors cette joie qu’Il appelle « les délices des enfants des hommes ». Cela vous ne le savez pas, mais Dieu le sait, et vous connaîtrez plus tard la somme des délices que vous avez procurés à votre Sauveur. Et ces âmes qui conversent constamment avec Moi dans leur intérieur quelle allégresse ne me donnent-elles pas ? Tu ne sais pas ce que c’est, Ma petite enfant, de sentir dans une solitude où tant d’autres M’abandonnent, de sentir que dans un cœur on est le grand ami, le cher préféré, l’unique attendu !(983)
Gabrielle dit alors :
« Seigneur je vous aime » et Jésus répond : « redis-le-Moi, afin de Me le faire de nouveau résonner à l’oreille. Fais le comme une musique, vibrer plus longuement. Je ne Me lasserai pas de l’écouter. Dis-Moi pourquoi tu M’aimes ? Comment cet amour a commencé ? Et tout ce que tu veux faire pour Lui ? Mais oui, Je sais tout cela, mais te l’entendre dire par toi, M’est un bonheur précieux et comme une histoire nouvelle (988)…Mes vrais petits enfants, avec quelle joie vous Me reconnaîtrez sans M’avoir jamais vu. Et vous voudrez vous précipiter sur Mon Cœur, y découvrant le commencement et la fin de toutes vos soifs, inépuisablement en Moi, l’éternellement Jeune, pour ne plus faire qu’un, oh ! Mes chères images. (986).
Inutile de se lancer dans une explication de texte ni de cherche dans quelle « demeure » mystique Gabrielle se trouve : Ne te préoccupe pas du degré. La sainteté est une œuvre de longue haleine. Mais fais tout ce que tu fais de ton mieux et en vue de M’aimer davantage…Prends patience avec la terre. Bientôt ce sera l’Eternité. (1004)). Dans dix ans (1950) Gabrielle mourra.
Tel est le style de la causerie et Jésus cherche à en dire davantage, Il est dans l’oratoire le plus intime de Gabrielle : son cœur ! Le Verbe incarné, le Logos veut parler de toutes les manières à ses créatures qui marchent à la lumière de la Foi. Elles sont toutes invitées aux Noces de L’Agneau et c’est L’Agneau qui parle. Lui aussi est impatient de la Rencontre.
Citons un autre passage écrit quatre ans plus tard après une récollection :
Remercie-Moi pour hier. J’ai donné tant de grâces…Profitez-en bien, Mes petits enfants comblés. Si d’autres âmes avaient reçu ce que tu as reçu…serre bien ta volonté tout contre Ma Volonté. Dis-Moi que tu veux M’être fidèle, ton cœur appuyé au Mien. Je suis toujours enclin à te croire…Je n’ai pas besoin de motif pour t’aimer : tu es Mon enfant. Pense à Ma tendresse. Crois à Ma tendresse. Cela soulage Mon Cœur. Peu d’âmes prennent le temps et la peine de se souvenir de Mon Amour. Ne serait-ce pas plus doux pour vivre ? Et plus facile pour M’aimer ? Essaie souvent. Dans un matin, dans un jour. Oh ! L’exercice plein de charme ! Oh ! L’activité aimable ! Dieu m’aime en Dieu et Il est là. Tu sais que l’on ne M’appelle pas : le juste Dieu, le Puissant, le Grand. On M’appelle : le « Bon »Dieu. Donne-toi entière à cette Bonté : Elle te prendra. Elle s’emparera de toi, Elle foncera comme l’aigle, Elle t’enlèvera. Abandonne –toi à l’Amour. Livre- toi. Ne garde rien. (1364).
Lorsque Jésus fut invité par Simon le pharisien, une femme, pécheresse de la ville, vint en pleurant lui embrasser les pieds, les couvrir de parfums et les essuyer avec ses cheveux : passage mystique s’il en est qui exaspérait les pharisiens observateurs théoriques de la loi. Aujourd’hui comme hier la mystique n’est pas trop appréciée, elle provoque même parfois une vraie colère chez des gens pieux. Trop c’est trop. Il faut être raisonnable. Cette même femme recommencera à Béthanie à la veille de la Passion et Judas protestera. Il faut citer ici Claudel qui prête à l’apôtre ce discours :
Tout mon malheur est qu’à aucun moment je n’ai pu perdre mes facultés de contrôle et de critique. Je suis comme ça. Les gens de Carioth sont comme ça. Une espèce de gros bon sens. Quand j’entends dire qu’il faut tendre la joue gauche et payer aussi cher pour une heure de travail que pour dix, et haïr son père et sa mère, et laisse les morts ensevelir les morts, et maudire son figuier parce qu’il ne produit pas des abricots au mois de mars , et ne pas lever le cil sur une jolie femme , et ce défi continuel au sens commun, à la nature et à l’équité, évidemment je fais la part de l’éloquence et de l’exagération, mais je n’aime pas ça, je suis froissé. Il y a en moi un appétit de logique, ou, si vous aimez mieux, une espèce de sentiment moyen, qui n’est pas satisfait. Un instinct de la mesure. Nous sommes tous comme ça dans la cité de Carioth. En trois ans je n’ai pas entendu l’ombre d’une discussion raisonnable. In : Claudel « Mort de Judas » dans Figures et paraboles.
Nous sommes en 1942, les Allemands occupent la France et sont à Nantes, Gabrielle a maintenant 68 ans :
je suis seul à te connaître, Ma petite fille, réjouis-toi de l’intimité de ton Dieu. Pouvais-tu rêver plus grand ? La vie t’a été donnée pour M’aimer. Y trouves-tu ta joie ? Est-ce que cela ne console pas de tout ? M’aimer ! Ah ! Quand tu Me verras !
Tu M’as demandé des torrents incessants de Foi, d’Espérance, de Charité : il faut en faire fréquemment l’exercice. Dis : je crois en toi Amour chéri, J’espère en Toi Amour Puissant, Je t’aime Amour Infini et le prochain pour Toi. Tu es tout pour moi. Je suis toute à Toi. (1221) 1
Cette conversation permanente ne donne pas toujours lieu à une expression écrite, mais Gabrielle ne reste pas très longtemps sans une confidence :
Fais tout pour Moi et tu sauteras les obstacles de l’amour-propre ou de la timidité. Va toujours droit le chemin de l’amour, simplement. Ne te préoccupe ni des gens ni des choses, ton regard dans le Mien. Et si tu réussis à faire le bien, remercie Moi comme d’une grâce venant de Moi. N’es-tu pas heureuse quand J’agis par toi ? Et remercie Moi de tant te gâter, de tant d’exaucer, d’aller même au-delà de tes demandes. Tu aimes qu’on te remercie ? Moi aussi. Oh ! La délicatesse du cœur…tu la sais .Tu l’as comprise en Moi, comme si elle était tout Moi. La vôtre me charme quand vous me l’offrez. Je M’en empare et c’est un lien d’amour. Je ne m’en vais jamais le premier ; alors toi demeure attachée à Moi. C’est notre Ciel sur terre .De celui-là, tu es libre de le vouloir ou de ne pas le vouloir. Libre ! Veux-tu enchaîner ta chère liberté entre mes deux mains ?(1222)
Je souligne le passage dit comme en passant et qui indique un abîme :
la Trinité très sainte, Père Fils et Esprit Saint dont nous sommes les temples, habite en nous sur terre comme un Ciel ! Nous pouvons ici-bas devenir pour Dieu un ciel ! Le Ciel est d’aimer .Pour Dieu, durant notre vie sur terre, le ciel c’est lorsque notre liberté lui est livrée, librement. Oui c’est vraiment un abîme.
Nous sommes en juillet 1943, Nantes est occupée, la France vaincue est humiliée. Gabrielle vit un amour plus grand que celui d’une patrie :
Regarde-Moi comme un Être vivant, t’aimant au-delà de tout ce que tu as pu imaginer dans tes plus excessifs désirs. Et considère que cet Être vivant qui t’a donné Sa vie pour toi attend avec une force infinie le moment de notre Rencontre. Est-ce que tu ne Lui témoignerais pas ta joie et ta propre impatience ? Regarde Moi souvent ainsi, comme une personne réelle qui est mieux que près de toi, qui est en toi. Quelqu’un de présent. Oh ! Une Présence…quelle source de joies.Une Présence chère c’est aussi précieux que la vie. Et Je suis le plus beau, car Je suis la Beauté. Le plus Intelligent, l’Esprit est en Moi. Crois-tu bien que Je suis Doux et Miséricordieux, bien que Je sois si Grand ? Crois-tu bien que J’ai un visage plein de charme et de mansuétude .Demande Moi de t’en découvrir bientôt la Beauté créatrice ? A chacun de Mes traits, tu liras de l’Amour. Dis-Moi que tu regrettes de M’avoir contristé. Pense que peu de chose t’empêche de Me voir. Sois dans l’émotion de Mon regard posé sur toi. N’as-tu pas quelque chose à Me faire entendre ? Me donneras-tu la douceur de ton amour ? Combien l’Epoux à l’épouse qui prépare l’exposé de sa tendresse. Et si elle en discourt, c’est Moi qui lui souffle les termes, car c’est Moi l’Amour, et Je suis dans ses mots. (1324).
Quel portrait ! Et quel Peintre ! Mieux que toute image cette description du Bien-aimé par Lui-même est un évènement et Son admirable réponse , comme dictée à celle qu’Il aime, complète cette scène vécue !
Nous avons là une de ces confidences qui illustre ce que les entretiens avaient déjà esquissé. Gabrielle ne verra jamais ici-bas ce merveilleux Visage, mais Il est déjà tracé et elle Le reconnaîtra lors de la Rencontre, c’est Jésus Qui le lui dit.
Les paroles de Gabrielle restent très discrètes mais les réponses qu’elles entraînent font tout leur prix : comme elle demandait les grâces nécessaires à son salut, elle entend cette réponse :
Et si Je veux te dépasser et Me dépasser Moi-même ? Si, t’appuyant sur Ma Force, tu attends l’excès ? Serait-ce un excès pour Moi que rien ne peut entraver ? Ne crois-tu pas plutôt que Mon Cœur infini aime donner infiniment ? N’est-ce pas là son divin élément…Car toujours tout vient de Moi…Ne t’effraie de rien. Mais oui, à ta mort, tu recevras la grâce de te vêtir de la mort : tu entreras en elle comme en une tâche reçue de Moi, t’aidant toujours. Tu sais la grâce actuelle ? Celle que vous appelez « du moment »: la Grâce, c’est Moi. (1510).
Ecoutons encore : Si Je veux Me dépasser Moi-même .Lui que rien ne peut entraver ! Quel langage ! Mon Cœur infini aime donner infiniment ! Quelle plénitude ! C’est la Divinité du Fils de Dieu qui parle à sa créature venue du néant. Elle est sa vie et Il la prépare à la Rencontre c’est-à-dire à la mort. Elle aura la grâce nécessaire parce que : La Grâce c’est Moi. Dans quatre ans encore, Gabrielle qui a 72 ans verra enfin Celui qui lui parle.
Comme une lettre d’amour que je t’aurais écrite avec Mon Sang et qui ne te serait parvenue que longtemps après. Mais Je suis toujours vivant, et c’est toujours le même Amour. (1511))
C’est l’humanité du Christ qui s’exprime maintenant. Ainsi se déroulent les jours remplis de nouveautés inventées pour Gabrielle comme pour chacun de nous. Mais il faut, comme Gabrielle, y faire attention. La Grâce s’invite en respectant la liberté fragile et délicate de la créature. La Grâce c’est Lui. Telle est la théologie de cet entretien qui transcende toutes les histoires d’amour humaines, mais c’est aussi une histoire humaine. Laissons- nous dépasser c’est même le seul chemin de la sanctification, de la divinisation que la Miséricorde rend possible.
Nous sommes en avril 1946 et le jeudi Saint Gabrielle se retrouve seule dans l’église devant le Saint Sacrement, elle a encore environ quatre ans avant la Rencontre.
Approche-toi le plus près possible de Mon Cœur dans ton cœur. Tu sais, rapprocher ? Par le silence intérieur ?extérieur ? Tu sais, faire taire tes facultés ? Et pénétrer uniquement dans Mon âme de ce moment là ? Du moment de l’invention de l’Eucharistie au Cénacle ? Mon Âme de ce moment-là vous voyait comme aujourd’hui Je te vois .Et dans quel Amour !…Formons une alliance entre ta misère et Ma richesse. Appuie –toi toujours .En aucun cas, n’aie confiance en toi. A quoi est-ce que cela te conduirait ? Appelle-ton le néant à l’aide du néant ?…Je ne te demande que ceci : l’union. Quand on aime ne pense-t-on pas sans cesse à celui qu’on aime ?…Mets de la vie dans notre vie de nous Deux. Varie .Charme . Sois à Mes pieds, t’humiliant comme Marie –Madeleine ; ou sur Mon Cœur, t’y reposant comme Jean ; ou prenant soin de Moi comme Ma Mère, ou me glorifiant comme au Ciel, ou remerciant le Père de la victoire que J’ai remportée sur la mort ; ou te mettant avec Moi, sous l’Esprit planant sur nos têtes. Et quand tu souffriras, souffre avec Mes souffrances. Tu comprends : l’union jamais « séparation », même esquissée dans la pénombre de l’oubli. Sois-Moi vivante. Fais-Moi tout sentir en toi que J’habite, Bien sûr, même tes fautes. Ne suis-Je pas tout entier Miséricorde ? (1515)
On voit que la vie avec Jésus n’est pas qu’une promenade entre des tilleuls !
Jésus remarque plus tard :
Tu ne sens pas que je te le demande avec ardeur ? Aucun pauvre n’a autant désiré d’avoir. Je suis le plus pauvre des pauvres, et Je suis couvert de haine par beaucoup. Réfugie-Moi sous ton manteau d’amour ; tu Me consoles et tu répares…Ah ! Si tu pouvais voir Mon Regard te suivre. Quel ne serait pas ton enthousiasme à vivre, pour Moi, cette vie qui te paraît si longue, mais qui n’est rien, vue de l’Eternité. (1516)
Dira-t-on que Gabrielle âgée alors de 72 ans en bonne santé et sans charges familiales, ni soucis matériels, n’avait pas d’autre chose à faire qu’à dire son amour au Christ ? C’est vrai, mais elle est appelée à ne plus rien garder pour elle-même de jour et de nuit, dans le moment présent qu’il faut laisser remplir de la présence du Christ, or elle en est incapable, Jésus ne cesse de le lui dire, sans l’intervention continuelle de la Grâce, et la Grâce c’est Lui, qu’elle peut accepter ou refuser :
C’est de l’amour que Je te demande, dans tes plus petits instants. Tu n’y attaches pas d’importance, mais pour Moi les choses minimes sont grandes…Je te tends la main .Remplis-la des petits bons désirs ou petites souffrances, en Me voyant offensé. (1516).
Saint Jean de la Croix, le disait, « on n’ose pas assez », mais ici c’est Jésus qui ne cesse d’oser et Gabrielle accepte d’être dépassée. Chaque personne a été créée « selon son espèce » qui est unique, il faut donc éviter de « faire comme » tel ou tel saint car le seul authentique modèle c’est Jésus qui a été mystérieusement chaque personne humaine dans Son Humanité : Tout chrétien en grâce est un autre Christ. On dit parfois qu’il y a plusieurs hommes en certains hommes. Le Christ a été tous les hommes. Il a porté tous leurs péchés. Unis-toi à Lui quand Il a été toi, quand Il s’est chargé de tes fautes. On ne peut comprendre, ici-bas la compénétration du Christ en chacun : c’était un Dieu dans un homme. Sa puissance de salut était infinie, sa divinité n’ayant jamais quitté son humanité. (838).
Gabrielle Bossis, on le remarque, ne cesse de laisser parler Jésus qui profite de cette bonne volonté pour donner un enseignement dépassant le seul cas de Gabrielle. Il convient donc de ne pas se laisser intimider en constatant notre misère qui est beaucoup plus grande que nous ne pouvons l’imaginer. Mais le message reste valable pour tous : il faut oublier le moins possible la présence aimante de Jésus. Lui parler c’est la meilleure prière. Le reste et notamment nos péchés, Jésus s’en charge.
Nous sommes en 1947, Gabrielle mourra dans trois ans et Jésus explique son dessein :
Même si vous ne savez pas très bien, même si votre affection demeure à l’état d’essai, Je tiens compte comme toujours de votre volonté et J’en fais Mes délices… Vois comment Je Me dis bien simplement à toi…Humilie- toi devant tant de bonté. La bonté ne vient-elle pas de l’Amour ? Mais oui, Ma pauvre petite fille, J’aime le rien que tu es. Au point que, si tu M’y autorises, Je prends toute la place. Perds-toi en Moi. Abandonne-toi. Disparais de ta propre pensée. Entre dans Mon être éternel. Sois par Moi. Sois de Moi. Je ne te trouve jamais assez près de Moi. Je ne t’ai jamais assez communiqué Mon intime Parole. J’ai toujours soif. Tu penses : « Il est difficile à satisfaire… »Crois pourtant qu’un tout petit effort, un moindre geste de vous, Me ravit, de même qu’une Mère est joyeuse quand son tout petit prend une expression nouvelle…Tout ce qui vous touche M’est personnel…. C’est assez pénible, vois-tu pour un Ami, de dire : « Aime Moi, Pense à Moi. Sers ma Cause. Donne-Moi ta vie ». Ne crois-tu pas que celui qui aime préfèrerait être deviné ? Et quand la chose arrive, Il en est percé d’un trait qui ravirait le zèle de l’âme si elle pouvait le comprendre. (1593 et 1594).
Nous sommes maintenant « renseignés », il ne faut pas essayer de comprendre ici-bas cet Amour extraordinaire, surnaturel, mais de s’y abandonner, d’y croire et même de prendre des initiatives. C’est le privilège de la terre de pouvoir augmenter dans la nuit de l’invisible, le trésor de notre liberté par l’amour. Au purgatoire aucun mérite n’est possible, c’est une sorte de prison, au ciel les mérites ont été acquis mais ne peuvent plus être accrus ; sur terre, lieu d’exil, tout est possible avec la Grâce, c’est-à-dire en laissant Jésus prendre peu à peu toute la place et augmenter le trésor des mérites au profit de tous. C’est un risque car on peut aussi tout perdre : Toi, qui reçoit ces confidences dans le silence de ton cœur, soit cette âme qui croit sans voir, et dépasse-toi toi-même, certaine de ne jamais faire trop. Avec Moi, quoi pourrait être trop ?
La Rencontre
Tout au long de ces entretiens, la Rencontre, la naissance au Ciel, la fin de l’exil sont évoquées. Le 19 juin 1941 par exemple, nous lisons :
Oh ! Désire bien le Ciel. Demande le Moi, chaque jour. Dis bien simplement : Mon grand Ami, donne moi vite le Ciel où Tu es ; Mon Epoux Bien Aimé, appelle-moi dans notre demeure. Il ne convient pas que deux Epoux soient séparés. Me laisseras-Tu longtemps encore alanguie, devant la porte fermée de Ton palais. Et puisque c’est là que nous nous unirons dans la pleine lumière, hâte l’aurore…Sans Toi rien ne m’intéresse plus sur la terre. Je suis comme une plante sans eau, comme une oiselle qui étouffe : emporte-moi en Toi et c’est assez. Et tu t’uniras aux langueurs résignées de Ma Mère, en la patiente fin de sa vie. Il faut désirer le Ciel : c’est me désirer et cela Me glorifie (1116).
Elle devra attendre encore 9 années .Comment expliquer cette invitation ardente alors que l’exil est loin d’être terminé et que Gabrielle peut remplir de nombreuses pages blanches à sa vie ?
Un commencement de réponse est donné le 15 juin 1947, jour de la fête Dieu :
Enferme-toi en Moi. Si tu savais ce que c’est Moi, tu prierais aujourd’hui pour tous les pécheurs, ceux que tu connais et les autres, avec la confiance qu’on donne à l’Infini Ne crains pas d’être transformée. Abandonne-toi au ciseau qui taille : tout est pour ton bien. Est-ce que Je ne t’aime pas à la folie ? Et à ce point, que le bien que Je veux faire à tel ou telle, Je le ferai par toi…Qui Me dira, à la fin : « je voudrais vivre encore à cause de Toi, cependant il m’est doux de mourir pour Toi ? (1612).
Le temps et l’éternité sont évoqués, nous sommes appelés à passer de l’un vers l’autre mais le mystère du dessein éternel de Dieu prend des traits opposés dont parle saint Paul : « Pour moi, certes la Vie, c’est le Christ, et mourir représente un gain. Cependant si la vie dans cette chair doit me permettre encore un fructueux travail, j’hésite à faire un choix…Je me sens pris dans cette alternative : d’une part, j’ai le désir de m’en aller et d’être avec le Christ, ce qui serait et de beaucoup, bien préférable ; mais de l’autre, demeurer dans la chair est plus urgent pour votre bien. Au fait ceci me persuade : je sais que je vais rester ». (Philippiens1, 21-25), ce n’est que cinq ans plus tard, dans la seconde Epître à Timothée (II Tim.4, 6), qu’il écrira : « Quant à moi, je suis déjà répandu en libation et le moment de mon départ est venu ».
La première édition de LUI et moi parut en 1948, mais le 20 août c’est un moment de dépression :
Comment ne vois-tu pas plus clair dans Mon Amour ? Quand-même tu ne penserais plus à Moi, Moi Je penserai à toi. Quand même tu M’abandonnerais, tu me renierais, tu te moquerais de Mes avances, tu piétinerais nos cahiers et tu en trouverais d’autres à ta suite faisant campagne contre ton Dieu, Moi, Je t’aimerais. Et si tu t’unissais à ceux qui ont résolu de mourir en M’insultant afin de montrer au monde leur suprême effort de rébellion orgueilleuse, Je t’aimerais encore, t’attendant au dernier de tes soupirs pour qu’un regard plein de ton regret, te jette dans Mon Cœur (1714).
On ne peut s’empêcher de frémir en lisant cette évocation de la révolte que la liberté humaine rend possible et l’immensité de la Miséricorde pour y répondre.
Le 18 septembre 1949 elle subit une grave opération, mais en janvier 1950 revenue chez elle Gabrielle ne fais pas de feu pour honorer l’Année sainte (1950).
Elle est à Paris en février 1950 : Entends ceci : tu me sacrifieras encore plus complètement ta liberté au moment de ta mort .Ce sera le suprême effort de ton amour total. Je cueillerai ta mort comme une palme (1837).En mars 1950 elle doit s’aliter et ne se relèvera plus jusqu’à sa mort le 9 juin 1950.
Le 24 mai elle demande :
« Et après qu’est-ce sera ? » Réponse :«Ce sera Moi, ce sera toujours Moi. » (1866).