La récente visite de Benoît XVI en Pologne a ranimé quelques controverses, ce dont on ne saurait s’étonner ou s’indigner. Les morsures de l’histoire sont telles, les souvenirs au fond des âmes si accablants qu’il est difficile, sinon impossible, de réunir dans une opinion commune tous les héritiers d’un passé si tragique. Que le grand rabbin de France déclare qu’il aurait préféré de la part du Pape le silence lors de sa visite d’Auschwitz et qu’il continue à exprimer son amertume sur un mode accusatoire pour les chrétiens, ces derniers doivent le comprendre, même s’ils ont des objections sérieuses à formuler. Tout doit être fait pour qu’un dialogue se poursuive et celui-ci ne fera pas l’économie des questions les plus difficiles.
Ces questions, un écrivain comme George Steiner les formule à sa façon, dans un style souvent tourmenté, qui témoigne de son rapport contradictoire avec le christianisme. Il lui arrive dans ses moments de plus grande mélancolie de faire de saint Paul le bouc émissaire de l’antisémitisme le plus meurtrier. Dans le superbe dialogue qu’il eut avec Pierre Boutang sur Antigone et Abraham, Steiner somme son interlocuteur de reconnaître que le christianisme a pour but l’extinction du judaïsme et il voit dans la non résistance de l’Eglise pendant la période nazie le signe de cette hostilité principielle. Boutang récuse de toute son âme l’imputation et défend pied à pied la théologie catholique face à son contradicteur qui pose la thèse de la mort de Dieu, comme pour mieux rendre compte de l’expérience ultime de la traversée de l’abîme. (1)
Sans vouloir trancher un débat historique d’une extraordinaire acuité, il doit être quand même possible de réfléchir sur des faits qui témoignent en faveur d’une lumière dans l’abîme, d’une résistance spirituelle lucide et d’un recours à la foi chrétienne grâce auquel toute objection s’est trouvé balayée dès lors que l’intelligence croyante a proclamé ce qui est au cœur de l’affirmation évangélique. L’exemple d’Edith Stein, cité par Benoît XVI, est limpide en lui-même. On peut lui associer celui des jeunes gens de la Rose Blanche dont la figure magnifique a été l’objet récemment d’un film assez remarquable. Sophie Scholl, son frère et ses amis se détermineront à dénoncer le nazisme après avoir écouté les leçons d’un Théodor Haecker qui leur enseignait l’impossibilité de transiger avec l’empire du mal et l’impérieux devoir de se dresser contre lui. (2) A l’écoute de ce penseur catholique, Sophie Scholl déclare : « Jamais encore personne ne m’avait à ce point convaincue par son visage. » C’est pour cela, qu’après Stalingrad, elle va jeter des centaines de tracts du haut de l’escalier de son université de Munich afin de dénoncer la perversité du nazisme. Arrêtée, elle sera jugée, condamnée à mort et exécutée avec ses compagnons. Un tel exemple, dans la nuit, ne montre-t-il pas qu’il y a une issue contre toute les compromissions et les obscurcissements de l’esprit ?
Gérard LECLERC