Le chemin de Damas de 33 catholiques d'Europe (2) - France Catholique
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Le martyre des carmélites
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Le chemin de Damas de 33 catholiques d’Europe (2)

La journaliste et accompagnatrice de voyages culturels et pèlerinages Marie-Gabrielle Leblanc était parmi les 33 pèlerins qui sont allés à la rencontre des chrétiens de Syrie en avril dernier. Deuxième partie de son passionnant compte rendu.
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Jeudi 9 avril. Pour les Français qui aiment les croisades, le Krak des chevaliers, « le plus beau château croisé au monde », éveille maints souvenirs historiques et suscite la fierté. Il était parfaitement conservé jusqu’à nos jours, mais a été pris par Daech il y a quatre ans, et reconquis par l’armée après de furieux combats. Le gouvernement en avait fait barrer l’accès depuis, et la route a été déblayée exprès pour nous. Le village autour est en ruines et les habitants ne sont toujours pas revenus. Nous visitons le château sous une pluie glaciale, ce qui rend les galets des rampes destinées aux chevaux des chevaliers glissants et périlleux. Les nuages et le brouillard passent par les ouvertures et traversent le château fort… Les splendides voûtes d’arêtes du XIIe siècle sont heureusement intactes, ainsi que la voûte en berceau brisé de l’église des croisés (le Krak était tenu par les Templiers). Mais les belles arcades gothiques de la cour ont été bombardées et seront à restaurer. La grande salle servait de QG au chef local de Daech, on y a retrouvé les reliquats, me dit-on, de ses orgies avec de l’alcool et de nombreuses femmes, consentantes ou non… On nous montre un puits profond où les djihadistes auraient retenu prisonnières des femmes pendant des semaines, pour les utiliser comme esclaves. Nul ne sait si leurs cadavres sont au fond, on aperçoit seulement des vêtements avec une torche électrique. L’un de nous ramasse dans les décombres des balles et des douilles d’obus de mortier, et les emporte pour montrer aux enfants de son diocèse la réalité de la guerre en Syrie. Au Moyen Âge, le Krak commandait une série de châteaux-forts qui garantissaient aux pèlerins le libre accès aux Lieux saints. On communiquait de l’un à l’autre par reflet du soleil sur des miroirs le jour par beau temps, par des feux la nuit, ou par temps de brouillard comme aujourd’hui avec des messagers à cheval. Direction le monastère orthodoxe Saint-Georges, non loin. Accueil très chaleureux par l’abbé, Sayedna (Monseigneur en arabe) Damaskinos. Ils ne sont plus que deux moines, alors qu’ils étaient quinze avant la guerre. Ils hébergent les moniales de Maaloula, enlevées puis relâchées par les islamistes, jusqu’à ce que leur monastère soit réparé. Il nous offre de petits cadeaux pieux avec grande gentillesse. La plus ancienne des églises, en sous-sol, est du VIe siècle. Ses portes en basalte tournent toujours sur leurs gonds. L’église du XIIe siècle possède une somptueuse iconostase sculptée en ébène, j’admire particulièrement les anges sonnant de la trompette, saint Georges et saint Dimitri sur leurs chevaux. Les icônes sont de toute beauté. La « porte royale » a été volée et retrouvée par Interpol dans une vente aux enchères à Londres. Elle a réintégré l’iconostase : une histoire qui finit bien, mais on perçoit bien comme ce patrimoine chrétien est vulnérable. Arrivés à Mashta Alhelou, nous sommes attendus dans une salle de l’église orthodoxe pour un récital de Semaine sainte, des cantiques en arabe chantés par de grands élèves d’une école. Tout le monde est sur son trente-et-un, les jeunes gens en nœud papillon, les jeunes filles très élégantes, en talons aiguilles vertigineux et tenue raffinée : mini-robe moulante noire avec une ceinture violette. Surprise, parmi elles il y a une jeune musulmane, avec un élégant foulard violet coordonné, et le même uniforme avec simplement la robe qui descend jusqu’aux genoux. Elle chantera avec les autres les cantiques chrétiens où j’entends que l’on parle de Jésus-Christ qui meurt sur la croix et de la Vierge Marie. C’est donc que ses parents ne s’y opposent pas. Le soir, quelques-uns d’entre nous auront le courage de remonter à l‘église paroissiale pour la liturgie orthodoxe du Jeudi saint. Les chrétiens sont majoritaires dans cette ville, entourée de villages alaouites. Vendredi 10. C’est Vendredi saint pour tous les orthodoxes et chrétiens d’Orient dans le monde. Après un arrêt, sous une pluie diluvienne, à Hosn Souleïman (« la forteresse de Soliman »), pour admirer les ruines du temple à Esculape, qui font penser à Baalbek, nous arrivons à Safita où nous allons avoir le privilège de participer à l’office orthodoxe. La ville est très escarpée comme tout ce nord montagneux du pays. L’église est aménagée au premier étage de la tour en pierre des croisés, du XIIe siècle. A l’extérieur, la jeunesse s’affaire, décorant de verdure et de croix de fleurs blanches deux arcs de triomphe et une reconstitution du Calvaire. Une fanfare de garçons et de filles répète au pied de la tour. Je pense irrésistiblement aux processions de la Semaine sainte en Andalousie, qui elles aussi savent si bien donner un éclat festif à une musique funèbre. On s’écrase, le soir, dans cette petite église voûtée en berceau brisé avec arcs doubleaux. Nous avons quelques remords d’occuper les premiers rangs à nous réservés, et de laisser de nombreux paroissiens debout, mais de toute façon la moitié de l’assistance (plus de mille personnes en ce petit espace) ne peut s’asseoir. Les orthodoxes célèbrent l’« enterrement du Christ », et contrairement à l’Église latine qui dépouille totalement ses autels ce jour-là, eux décorent somptueusement les leurs en ce jour de notre Rédemption. Le « tombeau du Christ » est dressé au milieu, croulant sous une décoration élaborée de fleurs blanches et violettes. La célébration est menée par le métropolite, le curé et un séminariste. Splendeur des chants orthodoxes, parfum enivrant de l’encens. L’archevêque asperge les fidèles d’eau bénite parfumée de myrrhe, contenue dans un flacon en argent. À ma grande surprise, le cheikh de la mosquée, présent au premier rang avec le maire, reste pendant les trois heures de la cérémonie. J’ai assisté maintes fois à des offices de Noël ou de Pâques en Égypte, et je n’y ai jamais vu cela ; les dignitaires musulmans accompagnent parfois les autres officiels pendant dix minutes au début de l’office, pour présenter leurs vœux à l’évêque, mais ne restent jamais. Vers la fin, une rumeur incongrue — des fous rires, de petits cris de femmes — arrive du fond de l’église : c’est que la pluie s’est mise à tomber à torrents, et que les fidèles qui n’avaient pu trouver de place à l’intérieur essaient de pousser pour entrer et pouvoir s’abriter… La procession de la tombe du Christ ne pourra donc avoir lieu dans les rues comme prévu, mais seulement dans l’église. Je suis triste pour la fanfare qui répétait avec tellement d’enthousiasme tout à l’heure. Je suis étonnée de voir que l’imam suit la procession derrière le clergé. Est-il sincère dans cette marque d’amitié ? Est-ce un ordre du gouvernement ? Je ne le saurai jamais, mais on peut toujours espérer que c’est un signe de respect et de tolérance. En tout cas, que ce soit une particulière tolérance de l’islam syrien ou le résultat de la politique de laïcité de la famille El Assad, c’est bel et bien cette Syrie tolérante, où chacun avait sa place et vivait pacifiquement avec les autres religions, que certaines puissances veulent détruire. Samedi 11, nous commençons notre longue redescente vers le sud, par la côte ouest. Tartous (Tortosa) fut un grand port croisé sur la Méditerranée. On y voit encore plus de photos des martyrs de la guerre affichées sur les immeubles, car beaucoup de jeunes de cette région alaouite s’engagent dans l’armée, la police et les services secrets. La cathédrale des croisés est transformée en musée phénicien. Une pensée pour Raymond de Saint-Gilles, et pour la famille de Lusignan, qui n’a quitté la ville qu’en 1302, pour partir fonder leur nouveau royaume en Chypre. La visite du site archéologique phénicien d’Ougarit, remontant au néolithique, où fut créé le plus ancien alphabet du monde, environné par le parfum printanier des fleurs sauvages, me fait penser aux dommages culturels irréparables qui surviendraient si par malheur la Syrie tombait aux mains de Daech : en particulier Mari, tout à l’est, cité mésopotamienne du IIIe millénaire, et Doura Europos, ses célèbres synagogues et maisons chrétiennes du IIIe siècle avec leurs fresques, seraient alors en grand danger. Nous continuons vers Lattaquié. L’ancienne Laodicée de l’Apocalypse (« Puisque tu es tiède, ni chaud ni froid, je vais te vomir de ma bouche ») est le fief de la famille El Assad. Le président y est né. Nous sommes reçus à la préfecture par le gouverneur, sous les portraits de Hafez et Bachar. Son discours appelle à la paix et à la tolérance : « Celui qui insulte un dieu auquel il ne croit pas, ne mérite pas d’adorer Dieu. » Après une messe latine chez les franciscains dont la liturgie plutôt « light » (40 mn pour une messe dominicale anticipée) contraste avec les fastes liturgiques orthodoxes et rappelle plus la France que l’Orient, nous sommes reçus chaleureusement par le père Samir et ses treize franciscains. Six sœurs carmélites sont là aussi : la doyenne, une Française de 87 ans, deux Syriennes, une Libanaise et deux jeunes coptes de Minia et Sohag, en Moyenne-Égypte, avec qui j’échange avec plaisir. Une dame très chic se révèle être une architecte d’Alep, réfugiée ici et naturellement sans travail. Quelques grands absents dans notre périple parmi les sites majeurs où l’on ne peut se rendre : Palmyre, où s’est déroulée une bataille et où les monuments antiques ont été endommagés, elle n’est pas encore bien sécurisée ; Alep, où se déroule depuis trois ans une immense tragédie comparable à celle de Mossoul, où Daech massacre à grande échelle chrétiens et musulmans. La deuxième ville de Syrie est réduite à un tas de gravats. Un prêtre arménien, le père Janji, y reste héroïquement et a fondé au milieu des décombres des églises et des immeubles une chorale qui interprète de la grande musique, et un lycée gratuit pour 350 élèves chrétiens et musulmans, L’espace du ciel , où le taux de réusite aux examens est de 93 %. L’eau potable est parfois coupée quinze jours d’affilée. « Nous sommes bloqués, dit le prêtre, nous n’avons nulle part où aller. L’Occident nous a abandonnés. Si les rebelles gagnent la bataille d’Alep, nous sommes tous morts. Beaucoup d’entre nous n’ont plus d’espérance. » Mais aussi le monastère de Mar Moussa, abandonné et peu sûr, dont le supérieur, le père Paolo, connu pour son dialogue avec les musulmans, a été enlevé il y a deux ans par Daech ; on est sans nouvelles de lui depuis. Le grand monastère Saint-Siméon-le-Stylite, haut lieu de la vie mystique et ascétique en Syrie aux débuts du christianisme, hélas en zone islamiste, a été presque entièrement rasé et la célèbre colonne où le saint a passé des années est détruite. Depuis 4 ans, il y a déjà eu 220 000 morts en Syrie et 12 millions de déplacés, soit plus de la moitié de la population du pays (chiffres de l’AED). 93 églises ont déjà été détruites. Notre guide nous a expliqué le détail du « tarif » des punitions et tortures appliquées par Daech dans les zones qu’il contrôle, cela fait froid dans le dos : coups de fouet pour avoir porté un jean et non une djellaba, bu de l’alcool ou fumé, prison pour avoir omis une seule prière à la mosquée, main coupée pour un prétendu vol, sans parler de la peine de mort immédiatement appliquée pour toute offense estimée plus grave à la charia. Quelques jours après notre retour en France, les nouvelles de Syrie sont glaçantes : la ville de Jisr, au nord de Damas, est tombée aux mains de Daech, ce qui pourrait lui ouvrir la route vers Lattaquié… Dimanche 26 avril, les fameux tunnels dont on nous a parlé ont permis aux terroristes de faire exploser la cathédrale maronite d’Alep. L’antique cité de Palmyre est menacée… Dieu seul connaît l’avenir et nous n’avons aucune idée de comment ce conflit destructeur pourra être résolu, mais ce qui est sûr, c’est que la Syrie est entrée pour toujours dans nos cœurs.
Entretien avec Charlotte d’Ornellas. Le point de vue du député-maire de Maisons-Laffitte, Jacques Myard :

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