La commune du Chambon-sur-Lignon se trouve à la « Une » de l’actualité, en raison d’un événement atroce, dont l’évocation ne cesse de repasser en boucle sur toutes les chaînes d’info. Curieusement, on oublie que ce village cévenol fut le lieu d’une magnifique résistance à la persécution du peuple juif pendant la guerre, ce qui lui vaut le rare privilège d’être honoré au mémorial de Yad Vashem à Jérusalem. C’est un pasteur, André Trocmé, et sa femme Magda qui furent à l’origine d’une action de solidarité qui permit d’abriter plusieurs milliers de juifs dans le village et les environs. Albert Camus devait résider durant la même période au Chambon, où il écrivit quelques-uns de ses textes majeurs. Plus tard, le grand philosophe Paul Ricœur devait enseigner durant trois ans dans ce « Collège cévenol » qui concentre aujourd’hui tous les regards.
C’est une épreuve terrible, pour la direction de ce collège si réputé, que de vivre un tel drame : un élève violant et assassinant une autre élève de l’établissement ! On discute sur les dimensions judiciaires, psychiatriques de cette tragédie. Il est permis, peut-être plus discrètement, d’évoquer ses dimensions métaphysiques. Car, si Claude Guéant, notre ministre de l’Intérieur affirme à juste titre que la psychiatrie n’est pas une science exacte, c’est qu’elle concerne notre nature humaine, en ce qu’elle a d’imprévisible, de chaotique et même de pervers. De ce point de vue, il faudra toujours associer aux meilleurs traités de psychiatrie ce qui concerne les abîmes du cœur humain. Un Paul Ricœur, précisément, a consacré une partie essentielle de sa réflexion à la question du mal et aussi à celle de la volonté, qui lui est étroitement associée.
Certes, ce genre de considérations ne doit pas détourner des strictes contraintes de l’ordre public et des décisions fort pragmatiques sur les procédures à suivre pour des délinquants possiblement récidivistes. Il n’empêche qu’en ce lieu prédestiné du Chambon-sur-Lignon, il est permis de s’interroger avec Pascal : « Quelle chimère est-ce donc que l’homme (…), cloaque d’incertitudes et d’erreurs, gloire et rebut de l’univers. »
Chronique lue sur Radio Notre-Dame le 22 novembre 2011