Napoléon avait raison contre les « idéologues » (tableau de Paul Laroche, 1845).
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Lors d’une discussion politique, j’ai été récemment accusé d’être un « idéologue catholique. » Mon contradicteur fut abasourdi lorsque je lui dis qu’il venait d’employer un « oxymoron. » Les idéologies par nature ne sont pas seulement incompatibles avec les enseignements de l’Eglise, mais «contredisent la dépendance de l’homme en Dieu et la part de divinité dans l’homme » selon les termes du philosophe Kenneth Minogue 1
Idéologie est un vocable dont on use et abuse. Ceux qui se chamaillent à propos de ce terme considèrent à tort l’idéologie comme synonyme d’adhésion profonde à certaines vérités philosophiques ou théologiques. Tout au contraire, l’idéologie est un système de pensée où se mêlent des idées ou des formules abstraites rigides et un jargon scientifique assorti de quelques données empiriques, qui prétend atteindre à la connaissance de l’état de perfection dans l’ordre temporel et des moyens d’y parvenir.
Les Catholiques ne doivent jamais se laisser traiter d’idéologues. Les idéologues, selon Eric Voegelin, s’emploient à « façonner la réalité selon un schéma d’idées reçues préexistantes. » Leurs auteurs sont convaincus que lorsque les éléments de leur vision idéologique du monde sera mise en œuvre par des élites messianiques, la société deviendra un paradis temporel harmonieux – en d’autres termes, le ciel sur la terre.
Les Catholiques n’ont – et ne doivent avoir – rien à voir avec cela, en attendant la Seconde Venue (du Christ-Messie).
Les idéologies sont filles des Lumières dont les représentants rendaient un culte au progrès et étaient persuadés que l’humanité grandissait chaque jour et, en raison des avancées de la science et de la technologie, finirait par atteindre la perfection humaine.
La foi dans l’inéluctabilité du progrès tire ses origines de certaines hérésies chrétiennes, mais fut propulsée en avant par la philosophie cartésienne. René Descartes (1596-1650), père du rationalisme et de la géométrie, recherchait une méthode avérée pour parvenir à la certitude dans tous les domaines grâce à l’usage du simple raisonnement mathématique à l’exclusion de toute expérience religieuse, traditionnelle ou historique.
Pour mettre en oeuvre cette méthodologie, les Lumières devaient éliminer ce qui était perçu comme le principal empêchement au progrès – l’Eglise Catholique Romaine. Selon l’historien Christopher Dawson, les intellectuels des Lumières « regardaient la religion, et par-dessus tout le christianisme, comme le pouvoir occulte qui entravait et faisait reculer l’esprit humain sur la voie du progrès et du bonheur. Le développement des religions historiques leur apparaissait comme une chronique monotone de mensonges et de cruautés. »
Antoine Destutt de Tracy (1754-1836) porte, peut-être plus qu’aucun autre, la responsabilité d’avoir délibérément érigé ce qu’il a appelé idéologie en opposition à l’Eglise dans le but de faire de l’homme, et non de Dieu, la mesure de toutes choses. Pour lui, l’idéologie était une branche de la zoologie, l’homme n’étant rien de plus qu’un animal (et non une personne dotée d’une âme). Pour cette raison, il croyait qu’un système moral pouvait être établi sans l’aide de la révélation ou d’une autorité ecclésiastique, sur la seule base du sentiment brut. Les disciples de Destutt de Tracy, qui se sont appelés eux-mêmes Idéologues, ont apporté leur soutien au coup d’État de Bonaparte en 1799.
Napoléon s’est vite lassé de leur credo pseudo-scientifique et il a conclu que les « idéologues » étaient des intellectuels désespérément dévoyés qui n’avaient aucune notion des réalités de l’ordre public. « Tous les malheurs de notre belle France, a-t-il dit, proviennent de l’ « idéologie », cette métaphysique fumeuse qui recherche ingénument les causes premières pour y fonder les lois des peuples au lieu d’adapter celles-ci à ce que nous connaissons du cœur humain et des leçons de l’histoire. De tels errements ne pouvaient que conduire à des régimes sanguinaires, ce qui fut effectivement le cas. »
Napoléon avait raison. Quelle que soit l’idéologie (Rousseauisme, Marxisme, Anarchisme, Nationalisme, Nazisme, Maoïsme, Castrisme, même Ben Ladisme), elle prétend détenir des vérités analytiques absolues qui l’emportent sur l’expérience pratique. Les idéologues rejettent tous les normes de la société, les valeurs, les traditions, les coutumes, comme autant d’obstacles à la recherche du pouvoir absolu. Ils sont déterminés à étouffer l’Eglise parce qu’elle prêche que le paradis terrestre ne peut être que l’œuvre de Dieu à la fin des temps, et non celle de l’homme.
Les idéologues préparent des révolutions pour sauver les masses « trompées », « opprimées » et « exploitées ». La violence, le terrorisme, l’assassinat sont considérés comme des méthodes appropriées, sinon rationnelles, pour éliminer les opposants et polariser les masses.
Les intellectuels narcissiques et frustrés qui considèrent que le pouvoir politique et les privilèges doivent leur revenir sont attirés par les mouvements idéologiques dont ils se rêvent les grand-prêtres chargés d’appliquer les commandements et d’interpréter le catéchisme de la religion nouvelle. Avant de devenir eux-mêmes aussi les victimes de tels systèmes.
Eric Voegelin a écrit que « l’idéologie était une rébellion contre Dieu et l’homme, la violation du premier et du dixième commandement dans le langage biblique, le nosos, la maladie de l’esprit, dans le langage d’Eschyle et de Platon. » Si les formulations idéologiques sont variables, les fins sont les mêmes : la domination. Ces formulations étant absolues, aucune critique n’est admise. Pour les idéologues, la ligne du parti est unique – totale. Totalitaire, l’idéologue a rationalisé tous les moyens de réaliser son paradis sur terre ; le résultat, comme le reste d’entre nous en a fait la triste expérience, a été de vivre l’enfer.
Source : http://www.thecatholicthing.org/columns/2011/catholicism-not-ideology.html
(NdT : né en 1930, professeur émérite à la London School of Economics –LSE-, néo-libéral thatchérien, dernier ouvrage : « The Servile Mind. How democracy erodes moral life ». L’esprit servile. Comment la démocratie érode la vie morale. Il a publié en 1986 un essai intitulé : « Alien Powers : the pure theory of ideology » auquel se rapporte la citation. )