Norbert Hofer et Alexander Van Der Bellen, crédités l’un et l’autre de 50 % des voix au second tour de l’élection présidentielle en Autriche, c’est bien le signe à la fois de la tension et de la division de l’opinion publique, face aux enjeux de notre époque. Et l’exemple autrichien a sans doute valeur générale pour l’ensemble de l’Europe. Une Europe inquiète, dont les points de repère ont changé ces dernières années. Sans doute, peut-on voir les choses sous un jour plus brutal : l’extrême droite aux portes du pouvoir, cela effraie beaucoup de monde, et en premier lieu nos dirigeants politiques et surtout la Commission de Bruxelles. Mais s’agit-il d’exorciser un monstre, en rappelant de façon obsessionnelle les années trente avec la menace totalitaire comme une tornade barrant l’horizon ? Cette rhétorique peut se justifier, à mon sens, superficiellement, car nous n’en sommes plus du tout aux configurations qui ont amené Mussolini et Hitler au pouvoir.
Il faut quand même savoir ce qu’est le fascisme (ou le nazisme) qui suppose un parti unique militarisé, exerçant un pouvoir total sur une société étroitement surveillée. Les partis appelés populistes aujourd’hui ne correspondent pas du tout à ce modèle, et s’ils bénéficient du suffrage des citoyens c’est dans la mesure où ils s’insèrent dans un cadre constitutionnel. Certes, il y a la question de leur programme et de leur aptitude à répondre aux hantises qui assurent leurs succès électoraux. Il n’empêche que leur existence n’est pas irrationnelle en soi. Elle correspond à l’incertitude qui pèse sur la gestion des formations politiques classiques et sur la signification exacte de la construction européenne. Celle-ci est-elle autre chose qu’un alignement sur les processus économiques de la mondialisation ? Comme l’écrit Marcel Gauchet dans son dernier livre : « La vision économique du monde laisse apparaître ses insuffisances béantes, au regard des problèmes qu’elle crée et vis-à-vis desquels elle ne comporte pas de solution. »1 On peut être évidemment en désaccord avec une telle analyse. On peut disposer de paramètres différents. Il n’empêche que la situation actuelle nous contraint à fuir les échappatoires. Oui, le cas autrichien interpelle l’Europe entière.