Le carmel byzantin de Saint-Rémy - France Catholique
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Noël : Dieu fait homme
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Le carmel byzantin de Saint-Rémy

En 1974, quatre carmélites nancéennes fondent, en Côte-d'or, le monastère Saint-Élie, catholique de rite byzantin, en écho au décret sur l’œcuménisme du concile Vatican II. Une Fraternité Saint-Elie, de plus de 400 membres, de diverses confessions chrétiennes, fondée en 1991, entoure ce carmel, dans un même idéal de prière pour l'Unité.
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Une sœur sonne les vêpres en frappant de son maillet une planche en bois, la simandre. Les religieuses se rassemblent dans la chapelle dont le plafond est couvert de fresques colorées représentant des scènes bibliques. à l’entrée, une icône correspondant à l’office du jour que chacun embrasse avec vénération. L’odeur de l’encens parfumé embaume l’air. Aux murs, des cascades d’icônes éclairées de lumignons suspendus. Les sœurs chantent l’office de la liturgie byzantine face à l’iconostase, quelques fidèles se rassemblant derrière elles. Tout à l’heure, l’higoumène Amanda sortira faire résonner le kolokol, un jeu de cloches que jalouserait plus d’un clocher. Pour un peu, je croirais me trouver transporté dans un monastère sibérien ou grec ! Mais je suis dans le carmel Saint-Élie, à Saint-Rémy (Côte d’Or), entre Paris et Dijon, sur la « route œcuménique » qui conduit du monastère orthodoxe de Bussy à Taizé. Dans ce monastère catholique atypique, les carmélites ont adopté le rite byzantin, et chantent les offices de la tradition orthodoxe dans la version française traduite par un moine de l’abbaye de Chevetogne, le P. Denis Guillaume. Ici, on communie au pain levé et au vin rouge, suivant la tradition byzantine, conservée par les orthodoxes et les gréco-catholiques.

Ce Carmel est né d’une intuition de Mère Élisabeth, qui a passé 19 années en mission en Chine. Confrontée à une culture marquée par le bouddhisme et le taoïsme, la carmélite avait constaté pendant cette période combien était aberrante la dispersion des Églises chrétiennes. Expulsée sous Mao, dans le bateau qui la ramenait au carmel de Nancy, elle faisait le vœu, bien avant Vatican II, d’œuvrer à surmonter le schisme entre confessions chrétiennes, en particulier entre catholiques et orthodoxes. Forte du décret sur l’œcuménisme, elle décida de fonder un carmel de rite byzantin, une initiative aussitôt bien reçue par les orthodoxes. Installée temporairement au carmel de Nogent-sur-Marne, elle chercha un lieu qui accueille une telle aventure. Ce premier carmel de rite byzantin est finalement fondé en 1974 à Saint-Rémy-les-Montbard, dans une maison religieuse qui avait été occupée précédemment par des sœurs Bernardines et des Petits frères de Charles de Foucaud.

Mère Elisabeth repose en paix dans le jardin du Carmel de Nancy et Mère Amanda lui a succédé voilà 17 ans. D’origine hongroise, elle est entrée au Carmel en Autriche, à Graz, après la chute du régime communiste, et se dévoue entièrement à sa tâche. « Notre carmel Saint-élie est un lieu d’accueil pour les gréco-catholiques et les orthodoxes », confie-t-elle. « Les personnes qui viennent assister quotidiennement aux offices sont pour la plupart des voisins. Mais nous avons des amis dans le monde entier, unis par la Fraternité Saint-Élie. Ses 400 sympathisants qui se rassemblent une fois par an viennent de toutes les communautés chrétiennes. Et plusieurs prêtres orthodoxes sont déjà venus au carmel et nous sont proches. » Il faut dire que ce carmel hors norme a la même mission que l’abbaye de Chevetogne : prier pour l’unité de l’Église, et notamment pour la réconciliation entre catholiques et orthodoxes. Le carmel est rattaché à la Fédération des carmélites France-Nord, et dépend à la fois de l’archevêque de Dijon en tant que monastère de carmélites, et de l’Ordinariat des catholiques orientaux de France par son rite byzantin.

L’insertion de la tradition carmélite dans le rite byzantin conduit à plusieurs adaptations. Le carmel de Montbard suit le calendrier grégorien, et célèbre Pâques et Noël aux mêmes dates que les Églises de rite latin. Les autres jours, le carmel suit le calendrier byzantin, et célèbre donc les saints qui sont communs aux catholiques et aux orthodoxes. Il faut ajouter l’Annonciation concomitante dans les deux rites. Pour célébrer les grandes fêtes du Carmel (Notre-Dame du Carmel, saint Élie, sainte Thérèse d’Avila, saint Jean de la Croix, sainte Thérèse de l’Enfant Jésus), des offices spéciaux ont été créés par le P. Denis de Chevetogne, avec une tournure byzantine. Dans la même impulsion de réconciliation entre traditions orientale et occidentale, parmi les nombreuses icônes de la chapelle que les sœurs ont réalisées, on peut reconnaître sainte Thérèse de l’Enfant Jésus et sainte Thérèse Bénédicte de la Croix (Édith Stein).

Les carmélites de Montbard ne pratiquent pas l’adoration eucharistique. Il est vrai que ce n’est pas dans la tradition byzantine. De plus, les deux espèces après consécration ne se conservent pas et doivent être consommées. Mère Amanda précise néanmoins que le pain consacré peut être conservé pour les malades ou pour être utilisé lors la « liturgie des présanctifiés » que l’on pratique pendant le carême.

Tous les jours, le P. Jean-Paul Maison­neuve, qui vit en ermite à proximité, vient célébrer l’office byzantin en français. Il suit les anaphores de saint Jean Chrysostome ou de saint Basile communes aux gréco-catholiques et aux orthodoxes. « Dans la tradition byzantine, précise-t-il, la liturgie eucharistique est une fête. Dans cet office où la liturgie se fait plus sensible, plus affective, le temps ne compte plus. » La transposition de l’office en français reste selon lui inachevée : sans doute faudra-t-il poursuivre l’œuvre du P. Denis.

À la demande du métropolite gréco-catholique roumain, le carmel Saint-élie a fondé un « skite » en Roumanie en 1994. Dans une vallée des Carpathes, une dizaine d’ermitages séparés entourent un chalet principal communautaire avec réfectoire et bibliothèque; au centre une église de bois, puis une maison d’accueil et un chalet pour l’aumônier complètent l’ensemble. Une sœur est partie là-bas, bientôt rejointe par une novice. La tradition monastique hésychaste dans l’esprit de l’orthodoxie est toujours vivante en Roumanie, mais Mère Amanda nous fait part d’une difficulté inattendue : « La vie religieuse féminine n’est pas la priorité de la communauté roumaine gréco-catholique. En effet, la plupart des prêtres sont mariés, et les femmes qui ont une vocation religieuse sont encouragées à épouser de futurs prêtres. » Mais cet obstacle culturel n’affecte pas la détermination de la petite communauté qui reste en relation avec Saint-Rémy par visio-conférence. Il faut aussi accepter la différence de calendriers : en Roumanie, les carmélites cé­lèbrent Pâques en communion avec leurs frères orthodoxes et gréco-catholiques, selon le calendrier julien. Elles se trouvent donc souvent en décalage avec la communauté de Montbard.

Le carmel Saint-Élie fait bien figure de pionnier, alliant modernité et tradition : utilisant les ressources de la technologie et maîtrisant l’art des peintres d’icônes, ouvert au monde byzantin et fidèle à la tradition carmélitaine, il incarne une aventure peu commune. Par leur vie et leur prière, les sœurs affrontent des obstacles historiques démesurés, comme l’ignorance des catholiques de rite latin, ou les réticences de la hiérarchie orthodoxe. Mais l’Higoumène Amanda reste confiante, et affirme à la manière de Thérèse d’Avila : « L’avenir appartient à l’Esprit Saint ».