On connait la désormais célèbre formule employée par un journaliste de télévision pour expliquer la signification du carême: « C’est le ramadan des chrétiens! » Je ne sais s’il faut ou non accorder trop d’importance à cette expression dans le sens où la visibilité des pratiques chrétiennes étant en régression, il faut bien se raccrocher à ce qui est le plus visible dans la sphère publique. Mais il est vrai que le ramadan est peut-être l’aspect le plus spectaculaire de l’expression religieuse des musulmans et que cela se trouve renforcé par le fait que les prescriptions juridiques de l’islam concernent l’organisation même de la communauté politique. Cela ne tient pas aux contingences de l’histoire, mais au statut même d’une religion qui établit une équivalence totale entre la loi de Dieu et le code de la cité. Notre ami Rémi Brague l’a bien démontré dans son livre fondamental, intitulé La loi de Dieu.
Les chrétiens, au nom de la séparation des domaines, admettent très bien que les pratiques cultuelles ne soient pas intégrées à la vie publique. Ce qui ne signifie pas du tout qu’elles soient reléguées, comme on dit trop souvent, à une sphère purement privée. Non, il y a une existence sociale, visible, du fait liturgique pour les chrétiens, et il y a ce que le théologien américain William Cavanaugh appelle « le corps eucharistique », qui doit manifester sa présence efficace au sein de la société. Les chrétiens n’ont pas à se cacher, même si les circonstances et les obligations de la vie nationale exigent qu’il n’y ait pas d’ostentation, surtout là où il ne convient pas qu’une saine laïcité de l’Etat soit, en quelques sortes, empêchée.
Certes, l’ouverture du carême chrétien ne donne pas lieu à des manifestations ostentatoires comme peuvent l’être les chemins de croix du Vendredi saint qui se sont multipliés dans nos rues. Ou, en certains endroits, les processions de la fête-Dieu. Elles se déroulent dans l’intimité des sanctuaires et le très beau rite de l’imposition des cendres à quelque chose d’intime, de purement liturgique, qui ne saurait s’imposer dans la rue. L’entrée en carême, c’est d’abord un exercice spirituel, l’invitation à une ascèse personnelle qui est complètement orientée vers la préparation de la Semaine sainte et s’identifie à la montée vers Pâques. Certes, il y a un aspect plus visible, une dimension plus communautaire du carême marqué d’abord par l’exemple du Seigneur au désert. C’est celui de la solidarité, de l’offrande qui va vers les plus pauvre. Mais il faut l’affecter de la nuance évangélique : le don s’opère dans la discrétion: « Quand tu fais l’aumône, que ta main gauche ignore ce que fait ta main droite. »
Il n’empêche que la charité ne peut se passer d’une certaine organisation, d’une certaine efficacité dont font preuve toutes les Caritas du monde et toutes nos organisations caritatives. C’est aussi un aspect essentiel de l’Eglise en tant que corps eucharistique de pouvoir très concrètement manifester la sollicitude d’un Dieu qui ne supporte pas que le pauvre Lazare soit scandaleusement abandonné à son sort, alors que triomphe par ailleurs le règne de la consommation. Mais il y a sans doute une logique purement spirituelle dans ce processus qui s’origine dans le changement intime des cœurs, dans l’économie de la grâce liturgique et qui s’ordonne progressivement au service total du frère, dans le cadre de la plus large société humaine. Le carême, c’est aussi l’approfondissement de la communion jusqu’au partage le plus plénier, celui qui fait se lever la vraie fraternité des hommes.
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Le grand témoin du 17 février est Mgr Michel Chafik, Recteur de la mission copte catholique à Paris Notre-Dame d’Egypte.
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