Le pape François comprend bien qu’il y a une crise de crédibilité dans l’épiscopat américain. Il est moins sûr qu’il comprenne pourquoi. Je ne cherche pas à suggérer que le Saint-Père n’y porte pas attention, encore moins qu’il ne se soucie pas des abus sexuels commis par des prêtres. Pas du tout. Ce que je veux dire, c’est qu’il y a des signes qu’il ne saisit pas pleinement la façon dont la dynamique de la crise des abus sexuels a fondamentalement changé ces sept derniers mois aux Etats-Unis.
A en juger par sa lettre aux évêques américains effectuant une retraite en début de mois, le Pape agit toujours selon l’hypothèse que la crise de crédibilité aux USA est le résultat de nouvelles révélations sur des abus vieux pour la plupart de plusieurs décennies, ce qui a rouvert de vieilles blessures, réactivé la souffrance des trahisons du passé. Ajoutant à cette souffrance, et freinant la réponse pastorale à ce sujet, il y a (dans l’esprit du Pape) la réponse incohérente et indisciplinée des évêques américains – un problème aggravé par les missives incendiaires de l’archevêque Vigano.
Il y a de la vérité dans tout cela, bien évidemment, mais c’est également profondément inadapté. La réouverture de vieilles blessures et la découverte de crimes cachés est douloureuse, c’est certain. Mais le scandale actuel aux Etats-Unis ne peut pas être compris en dehors de ce fait élémentaire : de nombreux fidèles aux Etats-Unis croient, à juste raison, que leurs bergers leur ont menti ; et de nombreux fidèles américains croient, à juste raison, qu’ils continuent de leur mentir encore maintenant.
Proche de Theodore McCarrick, aucun clerc n’a fait davantage pour convaincre de cela l’Eglise américaine que le cardinal Donald Wuerl.
Une partie de moi a de la compassion pour Wuerl. De tous les prélats méritant d’être renvoyé pour avoir mal géré les accusations d’abus dans les années 80 et 90, Wuerl n’est en aucune manière en tête de liste. Selon tous les avis, c’était un dirigeant en bonne et due forme. Son dossier de traitement des abus à Pittsburgh, bien que non exemplaire, se distinguait du lot. Et bien qu’il y ait certains cas qu’il a clairement mal gérés, le canevas général de la période qu’il a passée à Pittsburgh était de prendre la juste décision même dans les affaires pénibles. Qui pourrait le blâmer de ne pas vouloir être le bouc émissaire ?
Mais ce que le cardinal Wuerl semble ne toujours pas comprendre, c’est que, bien plus que ses performances inégales à Pittsburgh, il y a eu son inexcusable manque de franchise sur ce qu’il savait sur McCarrick – et le moment où il l’a appris – qui lui a coûté la confiance de ses prêtres et de ses ouailles. Il est difficile de soigner de vieilles blessures quand vous continuez d’en infliger de nouvelles.
Et cela nous ramène à la façon dont le pape François comprend la crise dans l’Eglise américaine. Le Saint-Père semble partager la vision (erronée) de Wuerl sur ce qui a marché de travers. Par conséquent, il voit également Wuerl comme une sorte de martyr, sacrifiant noblement sa vie – ou tout au moins sa carrière – pour son troupeau. Quand le Saint-Père a finalement (et à contrecœur) accepté la démission de Wuerl l’automne dernier, il a eu la démarche inhabituelle d’écrire une lettre faisant l’éloge de Wuerl. Dans cette lettre, François a écrit :
Je reconnais dans votre requête [de démission] le cœur du berger qui, élargissant sa vision pour reconnaître un plus grand bien qui puisse bénéficier au corps entier, donne la priorité aux actes qui soutiennent, stimulent et font grandir l’unité et la mission de l’Eglise au-dessus de toute forme de division stérile semée par le père du mensonge qui, cherchant à blesser les bergers, ne cherche qu’à disperser les brebis.
Vous avez suffisamment d’éléments pour « justifier » vos actions et distinguer entre couvrir ou non des crimes et gérer des problèmes en commettant parfois des erreurs. Cependant, votre noblesse vous a conduit à ne pas choisir ce moyen de défense. Je suis fier de cela et vous remercie.
Si Wuerl démissionnait de son poste en raison de ses défaillances à Pittsburgh, ces mots auraient davantage de sens. Si les accusations contre McCarrick n’avaient jamais été mises en lumière, la réponse de Wuerl au rapport du grand jury de Pennsylvanie – le site web de courte durée de vie, maintenant tristement célèbre, défendant son dossier à Pittsburgh – aurait eu également plus de sens. Mais quelle valeur ont des propos rassurants sur la façon dont des abus sexuels ont été gérés il y a vingt ans s’il y a un manque d’honnêteté désespérant sur ce qui se passe juste maintenant ? C’est comme si Wuerl continuait d’essayer d’offrir la bonne réponse à une fausse crise.
Malheureusement, c’est une bévue à laquelle le pape François a également une inclination. Il risque de sous-estimer le degré d’altération que l’affaire McCarrick a apporté à la nature de la crise ici aux Etats-Unis. Les questions soulevées par l’affaire McCarrick signifient que le collège épiscopal et Rome même sont impliqués d’une manière sans précédent : qui savait à propos de McCarrick et depuis quand ? qui a favorisé sa promotion ? qui, à Rome, l’a protégé ? qui a fermé les yeux ? qui a tiré profit de sa promotion et de son influence ?
Répondre à ces questions nécessite de creuser dans les pontificats de Benoît XVI et de Saint Jean-Paul II. Il y a également des questions qui sont inextricablement liées à ce pontificat-ci et à la déposition de Vigano (bien qu’elles aient été posées longtemps avant cela). Quoi qu’il en soit, et quelle que soit l’amertume causée par la déposition de Vigano, le plus grand problème n’est pas les évêques indisciplinés, comme François le suggère à plusieurs reprises dans sa lettre aux évêques faisant une retraite. Un plus grand respect mutuel entre les évêques ne sera pas d’une grande aide s’ils continuent à ne pas comprendre la nature et les causes du gouffre qui s’ouvre entre eux et ceux qu’ils ont le devoir de servir.
Il y a en cela une opportunité pour le pape François : il peut apprendre de la terriblement mauvaise interprétation de la crise faite par le cardinal Wuerl afin de ne pas la répéter. Le Pape a promis une enquête approfondie dans le cas McCarrick : « Nous suivrons le chemin de la vérité où qu’il conduise ». Prions pour que cela soit et que le Saint-Père fasse ce que nos évêques ont été trop timorés pour lui demander : rendre publiques toutes les conclusions.
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Stephen P. White est membre des Etudes Catholiques au Centre d’Ethique et de Politique Publique de Washington.
Illustration : le pape en compagnie du cardinal Wuerl
Source : https://www.thecatholicthing.org/2019/01/17/wuerl-misread-the-crisis-pope-francis-need-not/
Pour aller plus loin :
- Discours final du Pape – Sommet sur la protection des mineurs
- Le défi du développement des peuples et le pacte de Marrakech - la fuite en avant des Nations Unies
- La France et le cœur de Jésus et Marie
- Le célibat en question une fois de plus
- Quand le virtuel se rebelle contre le réel, l’irrationnel détruit l’humanité