Le cardinal Müller sur les questions des droits - France Catholique
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Noël : Dieu fait homme
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Le cardinal Müller sur les questions des droits

Ceci est la traduction d'une interview donnée par le cardinal Gerhard L. Müller à Lothar Rilinger pour le Katholische Nachrichten.
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NDT : L’an passé, le Parlement Européen a adopté à une large majorité le rapport Matic (378 votes contre 255). Ce rapport, non contraignant, veut néanmoins influencer la politique des états membres. Il remet en cause la clause de conscience des professionnels de santé en ce qui concerne l’avortement et appelle également à autoriser la PMA pour toutes.

Introduction du Katholische Nachrichten : L’an passé, le Parlement Européen a entériné par une large majorité le Rapport Matic – malgré les votes contraires des conservateurs et des démocrates chrétiens. Il y a une tendance similaire aux États-Unis. Selon le rapport, parmi d’autres choses, le meurtre des enfants à naître – c’est-à-dire l’avortement – doit être compris comme un « droit humain ». Dans la vision chrétienne, tout être humain, né ou à naître, est doté de droits humains – de droits intrinsèques. Nous avons parlé à l’ancien préfet de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi, le cardinal Gerhard Ludwig Müller, à propos de ces différents points de vue et des conséquences qui en découlent.

Lothar C. Rilinger : Les droits humains dérivent-ils de la loi naturelle – comme l’a formulé le pape Benoît XVI – et doivent-ils être compris comme « droits innés » ?

Card. Müller : La foi chrétienne est la réponse des gens qui acceptent pleinement dans leur esprit et dans leur cœur l’auto-révélation de Dieu dans l’histoire de salut d’Israël et finalement dans Son Fils Jésus-Christ (cf. Vatican II, Dei Verbum, « Constitution dogmatique de la révélation divine », 5). Cette réponse est également liée à la conviction que Dieu, en créant le monde à partir de rien, n’est pas seulement un vague « démiurge » mais a façonné chaque individu humain à Son image et à Sa ressemblance.

Nous chrétiens, considérons les êtres humains comme des individus et non comme une simple abstraction. En raison de notre commune humaine nature, chaque personne a une dignité indestructible, qui en retour lie chacun d’entre nous à tous les autres.

Cela signifie que tous les gens sont égaux et ont droit à être traités humainement, comme le philosophe stoïque Sénèque, qui vivait au premier siècle, le soulignait dans une lettre (la 47) à son ami Lucilius concernant la façon de traiter les esclaves. À l’objection que les esclaves ne sont que des esclaves, il réplique : «  Je propose de les estimer selon leur personnalité et non selon leurs devoirs. Chaque homme acquiert sa personnalité par lui-même, c’est le hasard qui lui assigne ses devoirs. » Sénèque surmonte le contraste entre maîtres et esclaves par la loi naturelle et la philosophie. Son contemporain Saint Paul sape cette différence théologiquement, faisant référence à Dieu comme créateur et juge de tous, et au Christ comme rédempteur de tous (cf. Galates 3:28 ; Colossiens 4:1 ; Timothée 2:5 etc.).

À l’opposé des exagérations absolutistes modernes puis ouvertement totalitaires du pouvoir d’État, les déclarations des droits de l’homme et des droits civils en Amérique en 1776, en Pologne et en France en 1789, aux Nations-Unies en 1948 et en Allemagne (post-nazie) en 1949 ont établi les droits à la vie, à la liberté et à la poursuite du bonheur comme indépendants de la volonté des puissants. Parce que ces droits sont dus à tous les êtres humains par droit de naissance, ils appartiennent à notre « nature ». Le mot « nature » vient du latin nasci qui signifie « né ». La nature humaine ne signifie pas uniquement l’époque de la naissance, être conçu et mené à terme, mais également le commencement absolu et vérifiable empiriquement de l’humanité individuelle du moment de la conception jusqu’à celui de la mort naturelle.

Rilinger : Pourquoi la loi naturelle a-t-elle été fondamentalement rejetée depuis les Lumières ?

Card. Müller : En Occident, la philosophie moderne a mis l’accent sur les droits naturels de chaque être humain en opposition à l’arbitraire des princes, qui interférait violemment avec la liberté de conscience et de religion de leurs sujets. Sous le principe de cuius regio, eius religio, les gens au pouvoir déterminaient la seule religion/confession autorisée publiquement sur leur territoire. La nouvelle perspective dit : tout être humain est un citoyen libre et, dans sa propre compréhension de la vérité et des principes d’éthique, n’est pas responsable devant le pouvoir politique mais directement devant Dieu, c’est-à-dire devant une autorité surnaturelle.

Les autorités, c’est-à-dire le gouvernement, se limitent à organiser et garantir le bien commun terrestre. L’état est pour le peuple et non le peuple pour l’état. Les autorités politiques ne doivent pas sacrifier le peuple pour de prétendues raisons d’état telles que : les intérêts dynastiques, l’expansion de l’état, l’hégémonie d’une nation, l’enrichissement de la classe supérieure par l’exploitation de serfs, d’esclaves et de travailleurs illégaux, la mondialisation de la technique et la monopolisation du capital, la création d’une Nouvelle Humanité utopique à travers la révolution mondiale et les efforts pour gagner le pouvoir mondial, etc.

Allons plus loin. Quel est le sens de la vie ? Comment se justifie-t-il philosophiquement ? Sur quels principes moraux la vie individuelle et communautaire est-elle construite ? Pouvons-nous espérer un salut éternel après cette vie terrestre ? L’état ne peut pas – ne doit pas – répondre à ces questions s’il n’a pas l’intention de devenir totalitaire.

Un état constitutionnel démocratiquement légitime, en particulier, doit admettre que les citoyens ne lui ont pas accordé la compétence philosophique ou religieuse – et, en principe, qu’ils ne peuvent pas le faire même s’ils le souhaitaient.

La « Note du Saint-Siège au gouvernement du Reich germanique » reste valide contre les tentations constantes et largement totalitaires de ceux qui ont le pouvoir. Une distinction doit être faite entre la nécessaire obéissance de tous les citoyens à tous les ordres légitimes de l’état (dans le domaine de responsabilité qui lui est propre) et les empiètements arrogants dans d’autres domaines où l’état n’a aucune compétence.

La décision d’une autorité de l’état, qu’elle soit administrative, judiciaire ou législative, de déclarer le meurtre d’un être humain par d’autres êtres humains comme étant un droit fixé et exécutoire délégitimise ces autorités et met en évidence leur attitude totalitaire. Derrière la propagande sur « l’émancipation » se cache une pure volonté de pouvoir basée sur des principes de darwinisme social : à savoir la loi est du côté du plus fort et la morale est ce qui « bénéficie aux gens » ou à l’intérêt de quelqu’un.

Rilinger : La loi naturelle est souvent rejetée comme étant une doctrine catholique sectaire. Même les églises et communautés de la Réforme n’expliquent pas la justification des droits humains par la loi naturelle mais – ainsi que l’a exprimé l’ancien président de l’Église Évangélique d’Allemagne Wolfgang Huber – par l’éthique sociale, qui est basée sur l’idée que les croyants sont capables de leurs propres jugements éthiques – en pratiquant une liberté responsable. Y a-t-il un danger dans cette justification par l’éthique sociale que l’éthique en tant que telle ne soit plus justifiée par des critères qui ne peuvent être contournés mais par l’esprit du temps ?

Card. Müller : L’Église, comme communauté pour le salut du monde dans le Christ, est fondée sur la loi divine. La liberté religieuse en relation avec toutes les autorités terrestres, est basée sur la nature de la conscience morale. (cf. Vatican II, « Déclaration sur la liberté religieuse », Dignitatis humanae, 1ff.)

La théologie catholique, en tant que réflexion sur l’auto-révélation du Christ dans l’histoire du salut, n’a pas sa propre doctrine sur la loi naturelle mais elle la tire de l’anthropologie philosophique et ne fait que la présenter avec une plus grande cohérence. Parce que la « nature », dans ce contexte ne fait pas référence à la flore et à la faune terrestres non plus qu’aux données de la biologie ou aux faits sociaux comme opposés à la culture comme création humaine. Ce qu’elle signifie ici est l’essence de la loi, qui est basée sur des principes moraux, et la réalisation de la justice, qui concerne tout être humain. Le fondement de tout cela est le principe que le bien doit être poursuivi et le mal évité. (Thomas d’Aquin, Somme théologique, Ia Iiae, 94).

C’était une conviction de plusieurs des Réformateurs du 16e siècle que la « nature » de l’homme était totalement corrompue par le Péché Originel et que la grâce de la justification et du pardon des péchés n’était accordée que par la foi uniquement (sola fide). C’est pourquoi la théologie protestante a de si fortes réserves vis-à-vis de la dénommée « loi naturelle ».

Mais dans cette perspective, le concept de « nature » est interprété dans le dualisme « nature-grâce » et l’opposition « esprit contre nature » (c’est-à-dire la définition universitaire d’une liberté autonome au-delà des forces de causalité naturelle auxquelles notre corps est soumis) et dans le débat ultérieur entre l’idéalisme et le matérialisme. Mais cela ne signifie pas et ne doit pas signifier nier que la raison est capable de savoir scientifique et que l’état est capable d’établir un ordre convenable. Par conséquent, il en est résulté un système de sciences naturelles et d’états gouvernés par des règles de droits non confessionnelles, surtout dans les états traditionnellement protestants.

Cependant, la justification des droits humains par la nature spirituelle et morale de l’être humain physique et socialement constitué n’est en aucune manière opposée à l’idée de personnes agissant selon une liberté responsable. Parce que la « nature » humaine, dans ce contexte, ne désigne pas le complexe d’instincts animaux qui doivent d’abord être « anoblis » par le sujet dans sa dimension spirituelle personnelle. Cela signifie que l’être humain (dans ses dimensions corporelles, sociales et historiques) est toujours la base, la source et l’horizon de la concrétisation de l’individualité personnelle.

Rilinger : Contrairement à l’opinion chrétienne, il est maintenant revendiqué que les droits humains doivent être justifiés en termes positivistes. En conformité avec certains modèles de la théorie de l’évolution, des arguments sur le développement ultérieur des droits humains sont avancés selon lesquels l’homme devrait être divisé en un dualisme corps/esprit, le corps étant toujours assigné au domaine animal. Seul l’esprit humain différencie l’humain du simple animal, c’est-à-dire d’être uniquement une « chose », et élève les gens dans le domaine des droits humains. Est-il juste de voir l’homme pour ainsi dire divisé en deux parties : d’un côté l’esprit humain supérieur à la matière et de l’autre le corps matériel animal, avec ce résultat que le statut légal est exclusivement lié à l’esprit ?

Card. Müller : Mis à part le dualisme éthique des vieux manichéens, le dualisme anthropologique a été caractéristique de la philosophie occidentale depuis René Descartes – quoique avec des conséquences discutables et souvent dévastatrices. Cela s’est cependant produit contrairement aux intentions de Descartes avec qui le tournant vers la philosophie subjective de la conscience a débuté au XVIe siècle. Contrairement à la vision mécaniste du monde qui tendait à réduire l’homme à une machine, il voulait sauver la réalité de l’individu spirituel. Il croyait aussi qu’il pouvait s’accrocher à l’ouverture de l’homme à Dieu, le créateur du monde matériel et spirituel. La vérité de l’unité spirituelle de l’homme, cependant, n’est saisie par aucun des deux extrêmes, ni pas le matérialisme (l’empirisme et le positivisme) ni par l’idéalisme (le rationalisme). Ces systèmes philosophiques, soit réduisent l’esprit humain à un épiphénomène de la matière, soit minimisent la corporéité matérielle de l’homme.

Rilinger : Qu’y a-t-il derrière l’idée de dissoudre l’unité du corps et de l’esprit telle que professée par le christianisme et donc dans l’acceptation d’un dualisme dans lequel l’esprit et le corps sont séparés ?

Card. Müller : Dans « Sur l’âme » (De anima), Aristote argumentait déjà contre son maître Platon que l’âme en tant que principe de vie intellectuel, sensible et végétatif de l’homme n’est pas dans le corps comme un conducteur sur son char ou un prisonnier dans un donjon mais est la forme qui nous donne l’existence, l’existence humaine individuelle concrète.

Une âme humaine concrète ne peut pas être dans un mauvais corps, être dans un corps animal ou dans le corps d’une personne de sexe opposé. Mon corps, avec toutes ses parties, ne m’appartient pas comme un vêtement que je pourrais acheter m’appartient ou est à ma taille.

Mon corps est moi. Quiconque blesse délibérément mon corps me blesse à la fois dans mon fors intérieur spirituel et dans mon être physique extérieur.

L’image biblique de l’homme est compatible avec cette vision qui correspond avec l’expérience et est en accord avec la raison. L’être humain tout entier – à la fois dans sa connexion avec la terre et sa fertilité et dans sa capacité à penser, parler et prier – est une créature de Dieu et est à terme appelé à être un enfant de Dieu en Jésus-Christ et à être ami avec Dieu dans l’Esprit du Père et du Fils.

Rilinger : L’appel de Nietzsche à la réévaluation de toutes les valeurs devrait-il être satisfait en changeant l’image de l’homme en vue de créer une image de l’homme qui soit fondée indépendamment de Dieu ?

Card. Müller : Reste à voir si nos politiciens actuels sont en position de jeter un regard critique sur Nietzsche. Je les verrais plutôt embrasser le marxisme teinté de psychanalyse des sociologues, qui veut « revenir à la nature » au sens de Rousseau, comme arrière-plan spirituel. C’est-à-dire qu’ils mettent l’accent sur l’environnement derrière la culture et, en relation avec l’environnement humain, ont en tête le nouvel humain comme produit bio-technique. Ce n’est qu’un pauvre mélange d’analyse sociale néo-marxiste, de rhétorique de l’émancipation et d’idéologie du genre.

De ce fait, la tendance va vers une scission entre le petit nombre de ceux qui créent et la foule de ceux qui sont façonnés, ceux qui conditionnent et ceux qui sont conditionnés.

Par conséquent, pour ceux qui proposent une telle division, la population mondiale doit être radicalement réduite de façon que la classe dirigeante ( et pas nécessairement les autres) ne soit pas à cours de ressources. Cela va de la politique dévastatrice de l’enfant unique des communistes chinois à l’alarmisme du Club de Rome et au refus de l’aide au développement pour les pays pauvres qui refusent l’avortement comme droit de la femme. George Orwell a exprimé cette dépendance mutuelle par le slogan : « tous les animaux sont égaux, mais certains le sont plus que d’autres ».

Finalement, comme dans le titre du livre de Yuval Noah Harari « Homo Deus », il n’est question que de l’être humain qui crée son propre dieu : lui-même. La vision traditionnelle de l’homme ne signifie pas que tout doit rester inchangé, ou revenir à ce qu’il avait l’habitude d’être. Mais l’être humain de l’avenir chrétien se voit d’abord comme « une nouvelle création en Christ » (2 Corinthiens 5:17 ; Galates 6:15).

Nous connaissons la « Dialectique des Lumières » (Hokheimer et Adorno) et n’ignorons pas « Le malaise de la modernité » (Charles Taylor). Mais comme chrétiens, nous pensons et agissons en direction de « la modernité à visage humain », une nouvelle synthèse d’humanisme et de foi dans l’amour du Dieu Trinitaire. L’Église est le lieu de cette croyance surnaturelle et de l’action terrestre. Elle confesse : « Le Christ, qui est mort et ressuscité pour tous, donne à chacun la lumière et la force par Son Esprit afin qu’il puisse réaliser sa plus haute vocation » (Vatican II, Gaudium et spes 10).

Rilinger : Vous avez dit que pour les gens au pouvoir, la population mondiale devait être réduite en vue d’empêcher les ressources naturelles de devenir trop rares. Comment les chrétiens devraient-ils répondre à cela ?

Card. Müller : Nous reconnaissons le principe de paternité et maternité responsable. Les enfants ne sont pas un fardeau mais un don de Dieu confié aux parents pour un amour indéfectible et une bonne éducation. En prenant en compte toutes les circonstances spirituelles et matérielles, c’est aux époux de décider en conscience combien d’enfants ils souhaitent avoir. « Toute forme de meurtre, génocide, avortement, euthanasie et également suicide volontaire » sont contraires à l’inviolable dignité de toute vie humaine (Gaudium et spes 27).

Rilinger : L’image chrétienne de l’homme est basée sur l’idée que Dieu en tant que Créateur a donné vie au monde. L’image athée-évolutionniste de l’homme ne donne-t-elle pas à l’homme une nouvelle position dans le monde et plus encore, ne prouve-t-elle pas qu’il n’y a pas de Dieu ?

Card. Müller : Les protagonistes de ce programme partent du principe que c’est un fait absolument certain. Karl Marx considère même l’athéisme (la négation de Dieu) comme obsolète, car la négation préserverait de quelque manière la mémoire de sa signification. Un peuple qui a laissé la misère de mauvaises conditions sociales derrière lui, dans son optique, n’a plus besoin de l’opium de la religion et pas même de protestation contre la religion.

En ce qui concerne les théories de l’évolution biologique des êtres vivants et de la genèse de l’univers spatio-temporel, par elles-mêmes ces théories ne contredisent pas la croyance en Dieu comme leur Créateur et Soutien. Les sciences empiriques examinent et décrivent les éléments structurels et les procédures de la totalité des êtres contingents. Confesser que Dieu est l’auteur généreux de tout ce qui existe, et qui n’existe pas par nécessité, est basé sur l’auto-révélation de Dieu comme origine et but de l’être humain qui Le cherche. En principe, même sans croire à une révélation surnaturelle, cette idée peut être « acceptée comme vraie par la raison » (Romain 1:20).

Rilinger : Est-ce que les droits humains pourraient n’être accordés que si les gens se conforment à des standards utilitaires, de sorte que seuls les gens utiles à la société auraient le droit de vivre ?

Card. Müller : Il est certain que nous humains devons procéder rationnellement en vue de gagner notre vie, procurer une infrastructure, selon la règle légale de la communauté. Mais une ligne est franchie quand les gens utilisent des êtres de leur propre sorte, leurs frères et sœurs en humanité, comme des moyens en vue d’une fin au lieu de les respecter comme personnes dans leur dignité et leur liberté. L’homme est une personne, non une chose. Nous utilisons les choses à notre profit. Nous aimons les gens en vue de nous transcender et d’être en communion avec eux, dans le mariage, la famille, l’amitié, la paroisse, l’amitié avec Dieu.

Rilinger : Si l’attribution de droits humains est basée uniquement sur l’existence d’un certain niveau de conscience, alors la porte est grande ouverte pour refuser le droit de vivre aux handicapés mentaux, aux déments et aux malades. L’évêque Clement Graf von Galen avait vu ce danger quand il s’est opposé aux lois euthanasiques du Troisième Reich, qui déclaraient des vies « indignes d’être vécues » en vue d’être autorisé à tuer ces gens en accord avec la loi. Voyez-vous un danger pouvant conduire à la légalisation de l’euthanasie active et la décriminalisation de l’euthanasie dans cette scission des être humain entre corps d’une part et esprit d’autre part ?

Card. Müller : Derrière tous les mouvements pro-euthanasie, en dépit de leurs différentes tendances politiques et idéologiques, il y a en définitive la négation de Dieu au sens biblique, comme Créateur et Rédempteur de l’humanité. Sur l’arrière-plan d’un sens de l’existence nihiliste, la vie n’a de sens que si l’état du corps et de l’esprit garantit une vie agréable et autant dénuée de souffrance que possible. « Supprimer sa propre vie » devient un droit, et « ne pas être un fardeau pour les autres » un devoir. La connexion entre la souffrance et l’amour est niée, et vivre de façon désintéressée au service des autres est soupçonné d’être une simple illusion concernant quelque bonheur supérieur.

Rilinger : Et qui peut décider qui mérite les droits humains ?

Card. Müller : Certains groupes réclament le droit de prendre de telles décisions : les décideurs politiques, les milliardaires, les reines de beauté, les génies scientifiques, les entrepreneurs mondiaux, etc.

« Les élites », si vous tenez à utiliser ce mot, devraient être des personnes qui, en raison de leurs opportunités et capacités exceptionnelles, sont d’autant plus prêtes à servir l’humanité. Dieu leur a donné une responsabilité, et lors du Jugement Dernier, Il leur demandera compte de ce qu’Il leur a donné. Ceux qui s’accordent à eux-mêmes le droit de donner ou refuser le droit de vivre à leurs frères humains sont aveugles à la condition humaine ; eux-mêmes peuvent avoir besoin qu’on prenne soin d’eux, à un moment ou un autre.

Rilinger : Selon la vision chrétienne, les droits humains sont intrinsèques aux être humains. Pouvez-vous imaginer que ces droits soient étendus à volonté en vue de donner plus d’influence à ses propres idées politiques ?

Card. Müller : Soit les droits humains font partie de la nature de l’homme et alors, avec une compréhension philosophique suffisante et l’expérience historique, ils peuvent être reconnus et différenciés de plus en plus clairement, soit ce sont des droits positifs, c’est-à-dire accordés ou refusés arbitrairement par un jury autoproclamé. Cette dernière vision voudrait dire que la ligne a été franchie, entre le vrai et le faux, entre la raison et l’arbitraire, entre la reconnaissance de tout être humain comme personne et sa déchéance comme chose.

L’espérance humaine en une vie future ne dissuade en aucune manière les chrétiens de se libérer de conditions injustes et de bâtir une société terrestre plus juste. De fait, cette espérance leur donne une motivation dont l’athéisme peut seulement rêver. Vatican II a proclamé « quand le support divin et l’espérance de la vie éternelle font défaut, la dignité de l’homme est très gravement bafouée, comme l’attestent souvent les événements actuels ; les énigmes de la vie et de la mort, de la faute et de la souffrance ne sont pas résolues, avec le résultat fréquent que les hommes succombent au désespoir. Pendant ce temps, chaque homme reste à lui-même une énigme insoluble, qu’il perçoit confusément… À ce questionnement, seul Dieu peut procurer pleinement et avec certitude une réponse alors qu’Il appelle l’homme à une réflexion plus haute et à une recherche plus humble » (Gaudium et spes, 21)