Le cardinal Kasper © Denis Lensel
Un « Credo apostolique » et une explication commune du Notre Père, prière de tous les chrétiens, le cardinal Kasper propose ces deux démarches pour continuer le chemin vers l’unité.
Président du Conseil pontifical pour l’unité des chrétiens depuis dix ans et jusqu’à l’été prochain, le cardinal Walter Kasper est lui-même à la fois un théologien de renom et un grand artisan de l’oecuménisme. Familier des facultés catholique et protestante de théologie de l’Université de Tübingen située au cœur du diocèse de Rottenburg-Stuttgart dont il a été l’évêque, il suit trois pistes convergentes de dialogue avec, d’une part les Eglises orientales orthodoxes ou autres, d’autre part les Eglises protestantes « traditionnelles », et enfin les communautés « pentecôtistes » et charismatiques issues du XXème siècle.
Né en Allemagne en 1933, le cardinal Kasper est l’auteur d’ouvrages fondamentaux comme « La théologie et l’Eglise », « Le Dieu des chrétiens » et « Jésus le Christ », réédités cette année par les Dominicains français du Cerf dans de nouvelles éditions revues et augmentées.
Homme d’ouverture et de tolérance, il a reçu début mai le « Prix Isaïe interreligieux » du Comité juif américain pour son action contre l’antijudaïsme et l’antisémitisme.
Le 5 mai dernier à Paris, invité d’honneur des Dominicains des Editions du Cerf, Walter Kasper a été présenté par son collègue et compatriote, le théologien jésuite Christoph Theobald comme « un adepte de la liberté qui n’admet aucune instrumentalisation », et « parle de la liberté de l’homme et de la liberté de Dieu », dans une pensée historique qui s’est inspirée de théologiens célèbres comme Karl Rahner, jésuite aussi, expert au concile Vatican II auprès du cardinal König, ou le Père Yves Congar, dominicain alors très influent.
Dans les années 70, Walter Kasper a entamé une nouvelle « quête du Jésus historique », dans un « rapport positif avec l’exégèse critique ». Selon le Père Theobald, l’originalité de sa démarche est d’avoir « donné une nouvelle forme à la théologie négative d’un Dieu caché », sur « la révélation d’un Dieu qui se tourne vers le mystère pour l’homme », dans le contexte sécularisé de la confrontation avec « l’autonomie moderne comme fondement de l’athéisme ».
Le Père Kasper a évoqué l’Eglise à la fois « comme sacrement du Salut, lieu de vérité, et communion ». En l’an 2000, il s’engagera dans un débat amical avec le futur Pape Benoît XVI sur « une simultanéité équilibrée entre Eglises particulières et Eglise universelle », dans le double objectif « de l’unité dans la diversité et de la diversité dans l’unité ».
Aujourd’hui, comme responsable de l’œcuménisme, il est confronté à un « paysage intellectuel qui a beaucoup changé depuis les années 60 », face à un pluralisme croissant « au point de devenir insaisissable », estime le P. Theobald…
Selon son collègue, Mgr Kasper a été amené à critiquer à la fois « un relativisme mou et parfois intolérant » et « le danger d’un exclusivisme absolu du Salut qui pourrait mener à un fondamentalisme sectaire ».
Devant la Presse et des représentants des différentes Eglises implantées en France, le cardinal Kasper a tenu à saluer la mémoire du Père Congar, comme « père de la théologie œcuménique ».
Il a souligné à quel point l’œcuménisme constitue désormais « un engagement irréversible de l’Eglise » auquel tous les Papes d’après le Concile Vatican II ont œuvré. Toutefois, il a observé que « le chemin sera plus long que nous ne l’avions pensé au concile », même s’il reste « un chemin d’Espérance »…
Concernant les rencontres avec les Eglises chrétiennes orientales, le dialogue a pu être renoué avec les Eglises « pré-chalcédoniennes » dans les années 80, soit… 1500 ans après la séparation du Concile de Chalcédoine. Malgré la présentation de « différences dogmatiques et culturelles », Mgr Kasper considère : « Nous avons la même foi mais avec des formulations différentes ». Ici, « l’amitié et la confiance jouent un rôle capital ».
L’intérêt de ces nouvelles rencontres avec l’Orient chrétien se montre immense, quand on sait par exemple que l’Eglise de Perse n’a jamais eu de rapport direct avec Rome…
Le dialogue avec les Eglises orthodoxes a commencé véritablement dans les années 80, et se poursuit, avec une nouvelle rencontre prévue à Vienne en septembre prochain. Malgré « l’expérience négative » d’une rencontre préalable à Baltimore où on « n’a pas prié ensemble », les relations entre catholiques et orthodoxes ont pris une meilleure tournure, comme l’a montré la signature du document de la commission mixte à Ravenne en octobre 2007 : un texte « où pour la première fois les Eglises orthodoxes reconnaissent qu’il y a une Eglise universelle et qu’il y a un Primat à chaque niveau, y compris celui de l’Eglise universelle ». Avec humour, le cardinal Kasper a déclaré que l’évêque de Rome « est candidat à ce Primat de l’Eglise universelle », mais a ajouté la question de savoir en quoi réside ce primat… En effet, il existe « plusieurs lectures » de l’histoire du Premier millénaire chrétien, auquel les Papes Jean-Paul II et Benoît XVI ont fait explicitement référence comme base de discussion avec les Eglises orthodoxes pour retrouver les racines historiques de l’unité.
Avec le Patriarcat orthodoxe œcuménique de Constantinople, l’accord est facile. Les choses ont été différentes avec Moscou jusqu’à la succession du nouveau Patriarche Cyrille Ier au défunt Alexis II, événement qui a permis de meilleures relations. Restent des difficultés comme la question des relations des orthodoxes avec les gréco-catholiques d’Ukraine occidentale, une question qu’avec bon sens, le cardinal Kasper a définie comme un problème ukrainien…
Cependant, les rencontres à venir entre Rome et Moscou peuvent apporter un fructueux « apprentissage commun », à preuve « l’immense richesse du patrimoine orthodoxe russe », soulignée par le cardinal. Mais « ce sera encore long »…, même si la présence éclairée de croyants de souche russe orthodoxe en Occident peut faciliter la connaissance mutuelle.
Concernant le monde protestant, la déclaration commune catholiques-luthériens de la Toussaint 1999 sur la doctrine de la « Justification » a marqué « un progrès important », considère Mgr Kasper, observant que d’autres protestants « y réfléchissent ». Il souhaite qu’on « parle aussi de notre héritage commun » : un « Credo apostolique » serait un pas également important, ainsi qu’une explication du Notre Père, « notre prière commune », atout éventuel face aux difficultés actuelles.
L’éclosion du courant pentecôtiste au XXème siècle, suivi désormais par 5 millions de fidèles, pose un problème plus délicat, du fait d’un flou théologique déconcertant. Cependant, le cardinal Kasper voit dans une certaine hémorragie de fidèles quittant l’Eglise catholique l’occasion d’ « une réflexion sur notre propre pastorale »…
Face à la crise actuelle de l’anglicanisme, la prudence reste de mise.
De nouvelles manifestations d’oecuménisme sont apparues au sein de l’Eglise catholique, avec les Focolari depuis l’Italie ou le Chemin neuf en France : ce phénomène appelle de nouvelles formes de dialogue spirituel. Le but de l’Eglise reste ici un « témoignage commun de tous les chrétiens en faveur de l’Evangile ».
Denis LENSEL
Pour aller plus loin :
- LE JARDIN DE LA GENÈSE A EXISTÉ
- Vladimir Ghika : le contexte politique avant la guerre de 1914-1918
- Liste des ouvriers pastoraux, Evêques, Prêtres, Religieux, Religieuses et Laics tués en 2011 et 2010
- Le défi du développement des peuples et le pacte de Marrakech - la fuite en avant des Nations Unies
- LA « MODERNITÉ » : UN CENTENAIRE OUBLIÉ