Le Calvin d'Olivier Abel - France Catholique
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Funérailles catholiques : un temps de conversion
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Le Calvin d’Olivier Abel

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18 avril

J’ai donc lu le Calvin d’Olivier Abel. Il m’a appris des choses qui étaient loin de moi, m’a parfois surpris, parfois séduit, m’a surtout posé nombre de questions à propos d’un personnage et d’une pensée que je découvrais à mesure. Je me rends compte qu’il faudrait étayer cette lecture par d’autres documents. Mais c’est déjà un résultat qu’un essai vif, à égale distance entre empathie et critique, m’ait accroché en m’ouvrant à tout un registre de mémoire et de culture. Première interrogation : ai-je, à l’exemple de la plupart des catholiques, été victime d’une sorte de légende noire qui aurait rendu cette figure de la Réforme totalement antipathique ? C’est ce qu’Olivier Abel fait plus que suggérer. C’est à un point tel que j’ai voulu vérifier tout de suite, en consultant l’encyclopédie intitulé Catholicisme, publiée par la maison Letouzey et Ané, un monument d’érudition dont la publication s’est faite sur plusieurs décennies et se trouve seulement en voie d’achèvement. Les articles Calvin et calvinisme m’ont rassuré. J’ai été heureusement étonné par l’étendue de l’information, la maitrise du sujet et l’équilibre du jugement, aussi bien quant à la personne du réformateur et quant à sa doctrine. Comment s’en étonner lorsque je découvre que l’auteur n’est autre qu’Yves Congar !

Ainsi Olivier Abel n’est-il pas vraiment contredit, même s’il est complété par quelqu’un qui est d’une autre tradition. Avec Congar, un parti pris de bienveillance est à l’œuvre dans la logique de son travail œcuménique. Mais cela n’empêche pas l’enracinement catholique du dominicain qui n’a pas peur de se réclamer de Bossuet, de citer François de Sales, le vis-à-vis de la Contre -Réforme occupé à reconquérir le diocèse de Genève, terre calviniste. Je perçois ainsi une des raisons pour lesquelles l’essai d’Olivier Abel m’a déconcerté en ce qui concerne la situation du réformateur par rapport à l’Église qui, tout de même, le précédait. Cette dernière ne semble présente qu’en négatif, objet de refus absolu, étrangère radicale. Congar me fait comprendre qu’avec Calvin il ne pouvait en être autrement : « on peut se demander, d’ailleurs, dans quelle mesure Calvin a vécu profondément dans l’Église, de cœur et de pensée. Il ne cesse d’attaquer, de critiquer, de tourner en ridicule toutes les choses catholiques. Luther faisait de même, mais avec un autre accent, une autre vibration. On se demande ce qu’a été sa vie spirituelle dans le catholicisme et s’il n’est pas, au fond, demeuré étranger à sa réalité mystique ou même, tout simplement, à sa réalité vivante. Nous n’avons rien de lui qui soit antérieur à ses convictions protestantes et qui rende un son religieux. »

C’est peut-être cela qui contribue à notre éloignement comme catholiques d’un personnage qui s’est défini contre nous. Mais face à une montagne de préjugés, Olivier Abel voudrait nous le rendre plus proche en contredisant tout ce qui fait du réformateur genevois « l’une des figures les plus refoulées de la tradition occidentale ». Non, ce n’est pas un Robespierre puritain, inflexible et sectaire. Non, ce n’est pas un intolérant, rationaliste iconoclaste. C’est un homme de chez nous, formé au droit romain, un protestant latin, un humaniste au sens de la Renaissance, « un des plus grands auteurs français », qui a inventé et diffusé le français moderne. Alors, tout était faux dans l’image d’un homme en qui Daniel Rops discernait encore « quelque chose de terrible et glacé… Tout en froideur et énergie » ? Passionné de sa cause, Olivier Abel est un avocat persuasif. Yves Congar, qui veut être juste, lui accorderait bien des points, sans être tout à fait d’accord : « Converti, saisi par la souveraineté de Dieu, et consacré à son service, il ne connut plus aucune timidité ; il devint une sorte d’ange combattant au sens du roman de Pearl Buck, « une créature calcinée et visitée jusqu’à la racine » (Claudel, Annonce), chez qui la cause avait dévoré l’humanité, un instrument implacable de la gloire de Dieu sur terre. On l’a comparé maintes fois à Ignace de Loyola. Il est, comme celui-ci, tout entier tendu à organiser le Règne de Dieu. » Donc, il y a bien désaccord. Et Yves Congar appuie encore à propos d’un esprit de système, d’un radicalisme terrible, d’une violence passionnée. Tombe ainsi un jugement d’une extrême rigueur : « Calvin a méconnu la réalité vivante de l’Église et de sa tradition. Il a reconstitué un christianisme, qui fut un construction de l’esprit à partir des textes, et qu’il a tout fait ensuite pour réaliser dans des communautés réelles. Il a donné à ces communautés quelque chose d’intransigeant, de radical, d’étroit et de sectaire. »

Le philosophe, ami de Ricœur, aurait-il donc travaillé en vain à nous persuader de la réalité d’un autre Calvin ? Pas tout à fait, car si les remarques de Congar contribuent à nous retenir à trop admirer, Olivier Abel nous rend sensible à d’autres aspects que j’étais parfois à mille lieues de soupçonner, le plus surprenant consistant dans ce qu’il appelle l’insouciance, ou l’insouci de soi. Et qui trouve son origine en la confiance absolue envers la Grâce : « Tout commence avec la Grâce, c’est comme un premier jour du monde. On ne peut pas influer sur son salut, on ne peut que le recevoir. A tel point qu’il n’est pas besoin ni utile de s’en soucier, et que se soucier de la justification devient la marque du péché, la preuve qu’on ne s’est pas entièrement vidé de tout souci de soi. Il y a une insouciance calviniste, et le seul problème valable est celui du « comment rendre grâce » (…) le champion de la foi, ici, ne doute pas de la Grâce, ne doute pas d’être élu, choisi, béni par Dieu. Il veut partager, communiquer, transmettre. Il ne comprend pas qu’on puisse douter, se tourmenter, ni qu’on puisse rester planté là les bras croisés, sans rien faire de ce qui nous a été donné. »

Cela m’a étonné à cause de l’image de gravité que j’ai toujours de la figure protestante. Mais en même temps, il y a une cohérence dans ce sentiment d’être sauvé qui renvoie ainsi à l’énigme si épineuse de la Prédestination, auquel l’auteur consacre un chapitre suggestif. Convaincant ? J’ai du mal à répondre positivement, car si je vois ce qu’il peut y avoir de pertinent dans certains aspects d’une confiance supérieure à un Dieu au-dessus de nos incertitudes, je ne puis me sortir des objections habituelles. Olivier Abel ne cache rien des difficultés, car si Calvin put bénéficier de cette insouciance de la Grâce, ce n’est pas évident pour ses héritiers. Les meilleures promesses peuvent déboucher sur des désillusions. C’est d’ailleurs une réflexion globale plutôt décalée qui nous est proposée, et qui interroge l’originalité de Calvin par rapport à ce qui l’a suivi aux diverses bifurcations de son héritage.