Je grince des dents chaque fois que j’entends quelqu’un parler d’être du « bon côté de l’histoire ». C’était une locution utilisée par le président Obama lorsqu’il a fait l’éloge de la décision de la Cour Suprême de 2015 – cette décision horriblement erronée – qui a « trouvé » un droit au mariage homosexuel dans la Constitution américaine.
Si, comme G.W.F. Hegel et Karl Marx (sans parler des meurtriers de masse tels que Lénine et Staline), vous pensez en termes d’être du bon ou du mauvais côté de l’histoire, vous devez avoir quatre croyances préliminaires :
1. Que l’histoire humaine a un objectif à long terme.
2. Que cet objectif à long terme peut être connu.
3. Que vous sachiez personnellement quel est cet objectif.
4. Que vous sachiez comment tel ou tel événement particulier s’inscrit dans le mouvement vers cet objectif à long terme.
Comment pouvons-nous savoir si l’histoire a un but ? Peut-être n’en a-t-elle pas. Peut-être que l’histoire, comme un esprit l’a dit un jour, n’est qu’une « maudite chose après l’autre ».
Nous savons que les glands ont un objectif : devenir des chênes. Mais nous ne le saurions pas s’il n’y avait eu qu’un seul gland dans le monde. ; nous ne le saurions pas, même si nous avions étudié ce gland particulier très, très attentivement. Non, nous connaissons les tendances à long terme des glands parce que nous avons vu d’innombrables glands devenir, ou du moins essayer de devenir, des chênes.
L’histoire humaine, en revanche, est sui generis. Ce n’est pas comme si nous avions été témoins de mille histoires humaines distinctes sur mille planètes distinctes. Non, nous assistons à la seule et unique histoire humaine. Peu importe le soin avec lequel nous étudions attentivement cette chose unique, nous ne saurons pas comment cela se passera à long terme.
Bien sûr, il y a certaines tendances relatives à long terme que nous avons pu observer. Est-il possible que ces tendances nous disent vers où les choses se dirigent à long terme ?
Si nous avions été présents à Rome en l’an 181, nous dirions probablement : « Il est clair maintenant que notre grand Empire, qui, à l’époque de son semis, n’était rien de plus qu’une petite cité-État dans le centre de l’Italie, mais qui gouverne maintenant les parties les plus précieuses de la planète, finira par gouverner toutes les nations. » L’année 181, soit dit en passant, était l’année qu’Edward Gibbon a choisi comme le début de sa longue histoire du déclin et de la chute de l’Empire.
Ou si nous avions regardé le monde euro-américain en 1901, nous aurions très bien pu dire : « Il semble maintenant clair que le monde ne cesse de s’améliorer – plus instruit, plus scientifique, plus libéral, plus démocratique, plus riche, plus sain, plus respectueux des droits de l’homme.
La guerre de Sécession, aussi terrible soit-elle à bien des égards, était une indication claire de la direction dans laquelle l’histoire entrait – vers une plus grande reconnaissance de la dignité de chaque personne humaine. Le progrès sous toutes ses formes possibles est l’histoire. La race humaine est destinée à vivre dans une sorte d’utopie ; et qui pourrait douter que le 20ème siècle serait un grand siècle de paix et d’humanité ?
Quelques années plus tard, à partir d’août 1914, le monde a commencé de nombreuses décennies de grandes guerres, de dictatures totalitaires, de meurtres de masse, etc.
Ou si nous avions vécu au milieu des années 1930 et que nous avions eu un œil sur Mussolini en Italie, Hitler en Allemagne et Staline en Russie, nous aurions pu dire : « Les tendances sont claires. N’importe où l’on regarde, le libéralisme et la démocratie qui semblait avoir un grand avenir seulement peu d’années auparavant, sont en retrait. Partout le totalitarisme est en expansion, et qui parmi nous est assez naïf pour croire qu’il est possible de renverser ces tendances ? Nous pouvons voir la vague du futur proche. La race humaine semble destinée à vivre dans la dystopie et le néo-esclavage ».
Cependant le nazisme germanique a été détruit en 1945, et l’Union Soviétique s’écroula en 1991.
Personne ne connaît le futur à long terme. Personne ne connaît sur le long terme le futur de la race humaine. Personne ne sait vers quel but le long arc de l’histoire se tend. Hegel ne le savait pas, Marx ne le savait pas, Splengler ne le savait pas, et même Barack Obama ne le savait pas. Nous naviguons sur le grand océan de l’histoire, sur une barque qui prend l’eau, et nous n’avons aucun instrument qui puisse nous permettre de voir au-delà de l’horizon. De toute façon, quelle que soit la direction où nous tournons notre regard nous ne pouvons pas voir où, éventuellement, nous ferons notre atterrissage.
Ceux qui évaluent la valeur morale de X (disons l’avortement ou l’euthanasie ou le mariage homosexuel), en jugeant la contribution de X à la réalisation du but ultime de l’histoire, n’ont aucune base pour l’évaluation morale si l’histoire n’a pas de but ou si nous ne pouvons pas voir cet objectif. Pire encore, même si nous pouvions voir le but, l’histoire est une affaire si longue que nous ne pouvons pas dire si X aide ou handicape à atteindre le but. Qui sait, par exemple, si, dans un million d’années, l’Holocauste sera considéré comme ayant (d’une manière ou d’une autre, paradoxalement) servi ou entravé l’avancée de la race humaine ?
Le christianisme enseigne que le péché d’Adam et Ève était une « faute heureuse » puisque c’était une condition préalable à l’Incarnation et à l’Expiation du Christ. Et il enseigne aussi que la tragédie du Vendredi saint était une condition préalable au triomphe du dimanche de Pâques. Pourtant, il soutient que les deux atroces événements ont été vraiment pécheurs sans nier qu’ils ont également été vraiment bénéfiques dans leurs résultats à long terme.
Les plus grands crimes du 20ème siècle, ce siècle d’immense criminalité, furent commis par des gens qui pensaient comprendre quel était l’ultime but de l’histoire à atteindre. Et ils justifiaient leurs crimes par rapport à ce but ; ils se voyaient comme de fidèles serviteurs du grand (et inhumain) Dieu du progrès.
Nous qui parlons anglais avons la chance que les mots « history » et « mystery» riment l’un avec l’autre. Que cette étrange coïncidence nous rappelle que, plutôt que de compter sur le Dieu du Progrès, nous ferons mieux de compter sur le Dieu de la Bible. Et que, plutôt que de nous fier au jugement de l’histoire, nous ferons mieux de nous fier aux jugements de la conscience.
A propos de l’auteur
David Carlin est professeur à la retraite de sociologie et de philosophie au Community College of Rhode Island, et l’auteur de The Decline and Fall of the Catholic Church in America.
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