Les Capétiens avaient assis leur prospérité et celle du royaume sur la simplicité et l’efficacité de leurs lois de succession. Le fils aîné succédait au père, ce qui évitait les discordes, les divisions, les meurtres qu’avaient connus leurs prédécesseurs. L’un des arguments les plus courants contre cette loi de succession est de dire : « le fils ne vaut pas le père ». Lorsqu’on voit Charles VI le Fou succéder à Charles V le Sage, on est tenté de donner raison à cet argument. Mais il se retourne quand c’est Charles VII qui succède à Charles VI.
L’histoire a conféré à Charles VII deux caractères, d’abord « le Victorieux », ensuite le « Bien Servi ». Il faut dire qu’entre le petit roi de Bourges qui « allait chercher son pain à l’hôpital », selon un ambassadeur de Venise, et le Charles VII de la fin du règne qui a reconquis tout le royaume contre les Anglais, organisé l’armée avec une solde pour que les soldats ne soient plus des pillards, bâti une administration fiscale, ouvert et protégé des universités, il n’y a pas de commune mesure. Ce pauvre dauphin sans pouvoir n’a pu arriver à cette plénitude qu’avec une succession impressionnante de grâces. D’où le surnom du « Bien Servi ».
Il faut noter parmi les dons reçus par Charles VII, la présence des femmes : d’abord Yolande d’Aragon, sa belle-mère qui l’a élevé et protégé, Marie d’Anjou, sa femme qui l’a tout le temps soutenu, Jeanne d’Arc qui est venu le conforter quand il doutait de sa légitimité et de son droit, Agnès Sorel qui l’a révélé à lui-même en en faisant un chevalier conquérant. On lui a reproché de n’avoir pas été à la hauteur de ses dons, mais comment aurait-il pu l’être ? Personne de son temps n’a été à la hauteur de Jeanne d’Arc.
On ne peut pas ne pas voir une grande leçon dans ce soutien que le Ciel apporte à un roi contesté, faible, doutant de lui-même, écrasé par le poids de son hérédité, « un père fou et une mère dépravée ». Louis XI disait de sa grand-mère Isabeau de Bavière, la mère de Charles VII, qu’elle était « la plus grande p… de la chrétienté ». Ces parents indignes avaient déshérité leurs fils, en cédant le royaume au roi d’Angleterre, avec la complicité de toutes les élites de la chrétienté, au premier rang desquelles l’université de Paris.
Dans ce temps de l’histoire, où l’Église souffre du grand schisme, – « il y a deux papes et bientôt trois » –, le Ciel envoie un personnage miraculeux en la personne de Jeanne, non pas pour remettre de l’ordre dans l’Église, mais pour sauver un royaume temporel. La grâce divine ne regarde pas la qualité des personnes mais l’importance de leur rôle dans l’histoire du salut. On en déduit logiquement que la continuité du royaume de France était nécessaire à l’histoire du salut, et que le rôle de Charles VII a été de recevoir ces grâces et de les accomplir.
Un royaume libéré et pacifié
Il est extrêmement révélateur qu’il fut un homme ordinaire, pécheur et indigne comme il le disait lui-même, mais fidèle à sa mission de fils de roi. Il est touchant aussi de voir comment le peuple français continuait à vénérer Charles VI, malgré sa folie, et à l’aimer d’autant plus qu’il inspirait de la pitié. Cet amour se reportera aisément sur Charles VII et on comprend que la nation ait approuvé toutes les réformes qu’il a dû conduire.
L’intervention de Jeanne n’aura pas été inutile, malgré les défaillances personnelles de ses lieutenants et du roi lui-même, puisque par la suite, Louis XI qui était avide de régner trouvera un royaume ordonné, libéré et pacifié.
Le règne de Charles VII ouvre à une ample méditation, sur le rôle du politique dans la vie religieuse. Il montre que le Ciel n’abandonne pas la terre, jusque dans ses complications les plus temporelles, et par là interdit tout désespoir.
Georges Bordonove commente ainsi le portrait par Fouquet de Charles VII (cf. illustration) : « Avec tout son talent, Fouquet a rendu l’écorce du personnage mais non son âme. » L’histoire montre que cette âme était plus grande que ne le disait l’aspect extérieur.