Puis-je vous demander, Seigneur très grand et très puissant, de quoi vous-vous êtes reposé, le septième jour de votre création ?
Faire de rien la lumière, le firmament, la lune et les étoiles, la terre et la mer, faire les oiseaux, les poissons et tant d’espèces d’animaux, évidemment c’est « de la belle ouvrage », mais pour vous ce n’est pas du travail. Cela ne vous a rien coûté. Cela ne vous a pas fatigué. Alors pourquoi et de quoi vous reposer ?
D’ail leurs, je remarque qu’il n’est pas mention d’un arrêt, dans le livre de la Genèse, entre les œuvres du premier, deuxième, troisième, quatrième, cinquième et sixième jour. Vous alliez bon train, plein d’enthousiasme, en pleine forme. Ce n’est qu’à la fin du sixième jour, ce jour fameux où vous avez créé l’homme, que vous marquez le coup. Là, il vous faut vous arrêter et vous reposer. Mais pourquoi donc ?
Serait-ce que vous avez épuisé votre pouvoir dans cette tâche de dernière heure ? On a peine à le croire. Je veux bien que l’homme soit votre chef-d’œuvre. J’observe même que vous avez pris un temps de réflexion avant de vous décider à le créer, comme vous parlant à vous-même à son sujet ?
Mais enfin, là encore vous avez dit et tout a été fait. E ne sont pas vos mains qui ont pétri la glaise pour lui former un corps, car vous n’avez pas de mains. Ni votre bouche qui aurait soufflé dans ses narines pour lui donner une âme, car vous n’avez pas de bouche.
Et de toute façon, ce serait là jeu d’enfant, amusement bien plus que travail. Il n’y a pas de quoi devoir s’en reposer. Même pour nous, Seigneur, à plus forte raison pour vous. Et alors pourquoi cette soudaine fatigue ?
Ca y est ! J’ai trouvé ! Vous venez de créer l’homme à votre image et ressemblance, tellement supérieur aux autres animaux que vous en faites leur roi. Le voilà qui reçoit de vous l’empire sur les poissons de la mer, les oiseaux du ciel, et toutes les bêtes de la terre. Vous l’établissez comme garde sur le jardin d’Eden. Voilà, vous pouvez être tranquille désormais, vous reposer sur lui de toute la marche du monde, vous reposer.
Mais non, je suis allé trop vite dans ma logique. La suite des évènements aurait dû ralentir ce bel optimisme. On sait bien, Seigneur, ce qui est arrivé. Et vous saviez tout le premier ce qui arriverait. Ou de moins vous pouviez le craindre. Non seulement en regardant Adam mais en pensant à ses enfants.
On peut voir à Chartres, dans la cathédrale, votre belle image, vivante ou presque vivante tant elle est belle, dans la pierre.. Vous y êtes représenté par le sculpteur inspiré vous prenant la tête dans les mains, soutenant votre tête où l’on devine des préoccupations. « L’homme, espoir et souci de Dieu » ! Ce doit être cela, Seigneur : vous deviniez à l’avance que cet animal-là, ce animal unique et étrange que vous veniez de faire, le seul doué de liberté, celui-là est capable de tout, il va vous en faire voir de toutes les couleurs…
Avec lui, pas question de repos pour vous, hélas ! Bien au contraire, maintenant, vous devrez voir se troubler votre tranquillité et s’interrompre le joyeux passe-temps qu’aurait été pour vous le déploiement d’un univers purement matériel.
Et cependant il est dit dans l’Ecriture, vous dites vous-même ,Seigneur, dans le livre sacré, que vous-vous êtes reposé au lendemain du sixième jour, donc après l’apparition de l’homme. Le problème de votre repos serait-il donc insoluble ? Auriez-vous parlé pour ne rien dire ? N’y aurait-il dans le langage de l’auteur inspiré que scénario pour l’institution de la semaine aux sept jours, ou plus finement pour l’institution d’un Sabbat à destination des humains ?
Vous voudriez peut-être nous faire croire que votre tache est terminée ? Mais, dans cette dernière hypothèse, pourquoi l’Apôtre Paul nous laisse-t-il entendre au contraire que votre repos véritable n’a commencé qu’avec la Rédemption et ne sera plénier qu’avec la totalité de son efficacité, c’est à dire la Parousie ? Autant dire que ce n’est pas demain la veille !
Seigneur, puis-je parler ?, donner mon avis, sans prétendre percer vos secrets ni épuiser la matière ? Tout en conservant d’ailleurs ce qu’ont de valable les solutions antérieures proposées par d’autres ?
Je crois en cela n’être pas tout à fait novateur. Il y quelque part un Grégoire de Nazianze pour m’ouvrir la voie. Avec lui, je pense à votre infinie miséricorde qui ne sait sur qui se déverser aussi longtemps qu’elle ne découvre pas de misères autour d’elle. Et il n’y en avait pas dans un monde régi par le déterminisme de la matière. Et vous en étiez très malheureux, tout comme est malheureuse une jeune mère dont les seins sont gonflés de lait mais qui est loin de son bébé. Comme elle désire le nourrir ! Comme elle se repose alors dans l’écoulement de sa substance !
Et pour vous, Seigneur, c’est pareil. Votre sagesse, votre puissance, votre bonté même, trouvaient à se déverser sur les moissons, les oiseaux, les serpents…Mais votre pitié, votre indulgence, votre miséricorde, non !.
Tout cela était pourtant en vous, et pas pour les chiens !Vous avez supporté un jour, puis deux, puis quatre ! Vous avez été impatient au cinquième ! Enfin se termina le sixième ! Il voyait un homme debout et libre de ne pas le rester. Il voyait un homme branlant, un homme qui déjà tombait. Et se tendait aussitôt vers lui votre main secourable. Et se tordaient pou lui des entrailles de tendresse.
Alors que Dieu pensait avoir achevé son œuvre, elle ne faisait en ce sens que commencer. Tout en étant repos au superlatif. Et c’est le lignage des pécheurs qui le lui procurait. Dans l’épanchement de ses pardons. Il n’en est plus sorti depuis lors. Heureusement pour la vie du monde…