Un paradoxe que je ne m’explique pas : l’État français veut attirer des étudiants étrangers, mais en vue de les enseigner en anglais… Qu’est-ce que de tels étudiants auraient à faire en France s’ils devaient y être enseignés en une autre langue que celle de notre pays ? Les contribuables pourraient-ils voir d’un bon œil que leur argent – car enfin cet État ne dépense que l’argent qu’il reçoit des citoyens ! – serve à ruiner la culture dont ils sont les créateurs ? Et première au-devant de cette culture, leur langue abaissée au point d’être retirée des universités dont ils assument les frais ?
La langue française n’a jamais été aussi en danger que sous la présidence de Monsieur Hollande : toujours le syndrome d’une obsession dont on cache honteusement la cause : rien d’autre que l’obséquieuse adoration d’une langue impériale dont l’épicentre est à Wall Street.
Il faut en finir avec la soi-disant impossibilité de trouver du travail – la « job » comme disent les états-uniens et aussi les affichettes que multiplie dans les rames du métro parisien une école d’enseignement de cette « langue-pour-tous » qu’on veut nous imposer pour mieux servir les intérêts de multinationales qui sont, en vérité, des « sans nationalité », à moins qu’elle ne se soient toutes, secrètement, vouées au seul Wall Street avec la bénédiction de nos propres gouvernants…
Il suffit de savoir que le projet de loi soutenu par Madame Fioraso permettrait à nos universités d’enseigner la culture française en ses aspects politiques, sociétaux, juridiques et économiques en la langue qui nie la nôtre, et qu’elle subvertit depuis la fin de la dernière guerre mondiale : voir le Plan Marshal qui ne fut accordé qu’au prix de l’exclusivité des produits des industries culturelles états-uniennes1, sans contrepartie de la part de la France. Depuis, notre jeunesse a été élevée dans l’idolâtrie de cette culture sans liens avec nos racines et notre histoire2, excepté La Fayette et la victoire de la marine française à Chesapeak, qui fut déterminante pour l’accession à l’indépendance des Yanquis3. Je ne dédaigne certes pas Champlain, mais la France l’ayant elle-même oublié, ce rappel ne servirait à rien… même si ses aventures auraient pu donner l’occasion de beaux films à notre « industrie » du cinéma…
Funeste article 2 de ce projet de loi auquel répond un vif communiqué de l’association Avenir de la Langue Française (ALF) : « Il est encore temps de réagir devant le burlesque en passe de devenir le consternant. Il est encore temps de se mobiliser avant qu’un projet de loi porteur du cancer ne soit proposé à la représentation nationale. Une partie grandissante du public bien informé est en train de se déprendre du vertige de l’américanisation déguisée en mondialisation. L’Académie française, elle aussi, dénonce un projet suicidaire ».
L’éminent linguiste Claude Hagège, autrefois réticent au combat (dans les années 80), s’y est inscrit d’une façon de plus en plus déterminée et efficace au fur et à mesure que le temps passait et que la situation s’aggravait ; le voici qui vient de publier dans le Monde daté du 26 avril dernier un article décisif sous le titre : « Refusons le sabordage du français ». C’est ce que je demandais dans mon livre Langue française à l’épreuve dès le début des années 80… Que dit-il pour l’essentiel ?
« La France n’est certes que la source historique, et non la propriétaire exclusive de la langue française, que partagent avec elle, à travers le monde, les soixante-dix-sept États et gouvernements constituant ensemble l’Organisation internationale de la francophonie (OIF). Du moins jusqu’ici. Car le projet de loi Fioraso, qui veut imposer, en faveur de l’anglais, une très large extension des exceptions au principe du français langue de l’enseignement, des examens et des concours, pourrait avoir pour conséquence, du fait de la valeur symbolique d’un acte de sabordage du français par la France officielle elle-même, un doute croissant quant à la légitimité de la promotion de cette langue par les autres pays francophones. »
La francophonie, notre famille culturelle terrestre la plus naturelle, grâce aux liens tissés depuis des siècles, est le socle intangible de l’organe politique que constitue la Francophonie. Nos gouvernants, depuis Monsieur Giscard d’Estaing, paquebot transatlantique, jusqu’à ce jour avec le président Hollande et le premier ministre Ayrault, tous partis confondus, se sont comportés, vis-à-vis de la langue de Molière, comme faisaient autrefois les traîtres ouvrant la porte des cité assiégées.
De plus, ils n’ont cessé d’affaiblir nos organismes assurant la présence française à l’étranger, les structures d’enseignement et de diffusion de notre langue comme de notre culture, cette dernière littéralement assassinée dans les écoles de la République. C’est ainsi que les moyens en homme comme en monnaie ont été régulièrement diminués alors que les besoins de nos Alliances françaises et de nos Instituts français allaient croissant. Une partie de l’efficacité française s’y est trouvée anéantie : nombre de nos chômeurs d’aujourd’hui doivent leur malheur à cet aveuglement, ou plutôt à cette bêtise crasse.
Albert Salon, qui a créé et préside l’ALF, note que le retrait de l’article 2 de ce projet de loi est demandé par un nombre croissant d’intervenants. Il n’hésite pas à traiter de « malvoyants » et « d’apprentis sorciers criminels » ces législateurs à la manque, associés à des universitaires qui ne désirent qu’une chose, se voir glorifiés jusqu’au fond même de l’arrière-pays de l’Arkansas. Mais plus en Auvergne ou en Pays de Loire ?
« Le retrait serait sage de la part du Président et du gouvernement, écrit Albert Salon. Car il s’agit là d’une véritable forfaiture, aux conséquences d’une immense portée. L’accusation d’entreprise de démolition généralisée de la France et de ses intérêts fondamentaux pourrait bien surgir bientôt. » Il y a longtemps que nous aurions dû unir le gros des forces vives de la culture française – non représentée par ceux qui touchent les plus grosses subventions, mais par ceux qui sont obligés aux plus lourds sacrifices – afin justement de soutenir en justice cette accusation méritée depuis longtemps.
Jacques Attali, le chantre de la mondialisation et d’une Europe centralisatrice, ose pourtant s’en prendre vigoureusement à ce projet ; son jugement est sans appel : comment est-il possible, dit-il, « d’imaginer une idée plus stupide, plus contreproductive, plus dangereuse et plus contraire aux intérêts de la France » ? Réjouissant. Car on peut être mondialiste sans voir aussitôt la planète entièrement soumise à la langue unique, à l’information unique, à la pensée unique. Attali voit bien que dans ce monde hyper concentré, la voix de la France doit demeurée active dans la diversité de ses courants, de ses expressions, de ses exigences. Il demande à ce que soit respectée cette langue, défendue bec et ongles, au sein de la francophonie d’abord, au sein de tous les peuples qui ont intérêts à avoir la France comme alliée dans le grand combat toujours actuel de la diversité culturelle.
Cette langue qui nous porte, il a fallu un millénaire pour la créer mais voici des saltimbanques incultes – quoiqu’agrégés ! – qui veulent supprimer de nos mémoires tout ce qui fut avant la révolution de 1789 ; arracher nos rejetons de l’influence de leurs parents, de leur amis, de leurs auteurs, de leur foi, pour en faire des citoyens aveuglément dévoués à la seule république ! Affligeant.
Entendons également ce que ne cesse de proclamer clairement, hélas d’une voix quelque peu étouffée, l’Académie française – ce fut le 21 mars – parlant d’une loi suicidaire, puis l’Académie des Inscriptions et Belles Lettres quelques jours plus tard : soutenues par M. Abdou Diouf, le Secrétaire général de la Francophonie, en sa lettre adressée à notre Premier ministre.
Les fronts de combat s’ouvrent de tous côtés : mais que servirait de se dire français si les Français n’existaient plus en leur langue, réduite à n’être plus qu’un patois ? Je sais des industriels et des hommes d’affaires qui soutiennent qu’elle n’a plus son mot à dire dans la compétition économique qui sévit actuellement sur l’ensemble de la planète et que seul l’anglais – ou plutôt de la langue constamment dérivante qui porte aujourd’hui ce nom – est en mesure d’assumer la coordination de la mondialisation. Ils ont toujours refusé d’entendre les arguments qui démontrent le contraire.
Je crois qu’il s’agit d’une erreur colossale et d’une ignorance pratique généralisée. Les peuples dans leur diversité ont besoin de ce qui les authentifie le mieux, leur langue, quitte à en adopter une autre pour l’équilibre et les échanges notamment culturels. Vouloir qu’une seule parmi les langues de diffusion planétaire joue ce rôle de lien et de relation, serait un cataclysme intellectuel et spirituel. L’espagnol s’étend sur une grande partie de notre monde, de même le portugais. La Chine parle déjà l’anglais sans pour autant renoncer au mandarin et pas plus à sa propre culture, mais elle se rendra vite compte que « l’anglais-langue-unique-mondialisée » est comme un licou d’étranglement autour du cou de la culture. La diversité en ce domaine reste le gage de la liberté des esprits : c’est ainsi par exemple que la seule Agence Française de Presse brise l’étau d’une information internationale détenue par deux agences dites internationales quoiqu’elles soient d’obédience états-unienne !
Je reviens à la F(f)rancophonie : elle est notre horizon le plus ouvert qui soit. Il s’étend sur tous les continents. Les peuples qui la constituent ne sont pas riches au sens des Bourses, mais leur diversité vaut tout l’or du monde. J’ai publié il y a deux ans un livre sur les sculptures africaines du sud-sahélien 4 : je n’étais que l’auteur des photographies montrant les 125 objets étonnants choisis par le peintre Alcaïs dans sa collection impressionnante, mais j’ai été stupéfait – une fois de plus, parce que je m’intéresse depuis longtemps à ces arts lointains – par l’extrême audace de ces imaginaires, l’extrême inventivité des formes, des expressions. J’ai entendu des Africains ruminer à haute voix leurs poèmes en français, et c’était à la fois une musique que je reconnaissais et que je n’avais jamais entendue. Je n’ai pas oublié ce qu’a dit le père de la famille enlevée au Cameroun le 19 février et délivrée le 19 avril : malgré l’épreuve insoutenable vécue, il retournera travailler à Yaoundé parce qu’il aime ce pays sans pour autant oublier sa patrie charnelle.
Oui, il nous faut aller plus loin qu’empêcher le passage à l’acte de cette loi folle qu’un gouvernement sans conscience veut s’employer à rendre obligatoire ! Ce serait un acte à caractère totalitaire, car ce gouvernement n’a aucun droit sur notre langue autre que celui de la servir, d’en assurer la défense et la diffusion : or le voici qu’il entend la réduire à rien !
Il faut aller en justice. Avec des représentants de tout l’éventail politique, car cette action hautement politique n’aurait que faire de toute mise à l’écart de qui que ce soit qui, sur ce sujet, serait du parti de la Résistance.
Dominique Daguet
écrivain
Grand Prix Lucian Blaga 1993
pour l’ensemble de son œuvre poétique.
- Essentiellement les industries cinématographiques et musicales (entendre les musiques aimées par les jeunes sans culture).
- Les Amérindiens ont ainsi délogé les Gaulois et les Romains, les films états-uniens l’ont emporté sur les films français, qui ne subsistent que parce qu’un quota a été imposé, les musiques d’Outre-Atlantique ont fini par persuader nombre de groupes dits français de chanter en angliche. Ainsi, les candidats français aux festivités de l’Europe de la chanson représentent la France en anglais…
- Je n’ai pas trouvé de site relatant cette victoire importante de notre Royale sur l’Araignée…
- Inspiration africaines, par Yves Alcaïs pour les commentaires, et Dominique Daguet pour les photographies. Ed. Cahiers Bleus.