La cause est entendue depuis le 7 janvier : ces meurtres odieux sont d’abord une atteinte à la laïcité, qui a trouvé ses martyrs avec les journalistes de Charlie-Hebdo. C’est au nom de la laïcité que ces dessinateurs se permettaient de publier des caricatures du prophète Mahomet ou du pape Benoît XVI ; mais ces dessins se rangent-ils simplement dans le domaine de la caricature ? Peut-on mettre sur le même plan ces dessins grossiers, « bêtes et méchants » de ceux de Daumier, Sem, Faizant ou même aujourd’hui Plantu ?
La laïcité établie par la loi de 1905 a séparé l’Etat des religions ; ce n’est plus au premier de régir les secondes, qui s’administrent et se financent comme elles l’entendent. Même si le but des promoteurs de cette loi, adoptée dans des affres que l’on a oublié, était d’éradiquer le religieux, l’Eglise – contre laquelle cette loi était dirigée- y a trouvé son compte et son indépendance. Mais la loi ayant échoué dans son but premier, les anticléricaux n’ont pas désarmé. D’autant que la laïcité telle qu’eux la comprennent, c’est-à-dire une foi et une pratique que l’on tient sous le boisseau dans un « espace privé » toujours plus réduit, ne cesse de ressortir des limites qu’on lui a fixé. Car enfin ce que n’acceptent pas ces laïcistes, c’est que tout homme se prétende être un être spirituel. Les « je ne suis pas Charlie » que l’on a vu fleurir un peu partout émane de tous ces personnes qui se voient bafoués dans ce qu’elles ont de plus intime, et ne se reconnaissent pas dans ces icônes qu’on leur offre à vénérer. Notre chère laïcité, telle qu’elle est exercée n’est-elle pas en réalité une intolérance à l’expression de la foi religieuse, alors qu’elle devrait au contraire être la garante de sa liberté ? N’est-ce pas le refus du dialogue, de l’écoute, l’obligation pour tous d’entrer dans un modèle unique qui sont en réalité à la source de tant d’intolérance religieuse et de tant de haine ?
La liberté n’est-elle pas aussi à géométrie variable, selon les personnes ; car si on a le droit de tout dire, au nom de la liberté d’expression, pourquoi ne dit-on pas, comme le fait remarquer Rémi Brague (Figaro du 17 janvier) avortement à la place d’IVG, senior à la place de vieux, DAECH au lieu d’Etat Islamique…. ?
Pourquoi un maire se pose-t-il la question d’interdire la projection du film Timbuktu ? Il est vrai que ce film a une qualité première qui n’a pas la cote aujourd’hui, dans les milieux artistiques et médiatiques: il est beau ! De plus il est tout en nuances ; rien de grossier, de vulgaire, et encore moins de caricatural ; pourtant, il est sans concessions pour raconter comment une poignée d’hommes incultes et grossiers parvient à installer une dictature, qui n’a rien à envier à nos totalitarismes du XXe siècle. Une des scènes les plus intéressantes est celle où on voit l’iman du village leur résister, quand il leur interdit d’entrer armés dans la mosquée. Non ce film ne fait nullement l’apologie du terrorisme, mais au contraire le dénonce avec une subtilité et une intelligence que nous semblons avoir perdues.