■ Quelle est la situation actuelle en Ukraine ?
La situation de l’Ukraine et des Ukrainiens est très difficile : c’est la guerre, et en même temps la situation économique est très dégradée. Le pays est comme enfermé, bloqué entre l’Europe et la Russie. Il est aussi comme amputé avec une jambe en moins, la Crimée occupée, et une blessure dans le flanc, les séparatistes du Donbass. C’est très dur chaque jour pour la population qui a témoigné par le chant et la prière pour la démocratie et contre la corruption. En Crimée notamment, les écoles ukrainiennes ont toutes été fermées, comme en Russie où l’enseignement de l’ukrainien n’est pas autorisé, tout comme la fondation de paroisses gréco-catholiques ukrainiennes.
■ Quelles sont les relations avec la Russie ? Comment percevez-vous l’action de cette dernière ?
Avec cette guerre, ce sont de vieilles blessures qui se sont rouvertes. D’abord le souvenir de la famine causée par le stalinisme en 1932 et 1933 : nous faisons mémoire des quatre millions de victimes chaque année lors d’un office à Notre-Dame de Paris. Nous nous souvenons aussi de la persécution des communistes contre tous les chrétiens : ainsi notre Église a été notamment interdite de 1946 à 1989 et ses prêtres martyrisés.
■ Les églises gréco-catholiques ont été confisquées et données aux orthodoxes pendant l’ère communiste, et les relations ont souvent été tendues entre les deux communautés. Qu’en est-il aujourd’hui ?
Beaucoup de choses ne sont pas retransmises par les médias occidentaux : nous sommes aussi confrontés à une guerre de l’information. Pendant les événements de la place Maïdan, les chrétiens catholiques et orthodoxes se retrouvaient la nuit pour prier ensemble toutes les heures, dans l’obscurité et par un froid de moins quinze degrés. Et ceci pendant trois mois.
La Déclaration commune de toutes les confessions ukrainiennes du 10 décembre 2014 proclame que la rhétorique de la division du pays est immorale, que le dialogue est nécessaire, et qu’il faut lutter contre la corruption. Orthodoxes et catholiques l’ont signée. Ainsi Poutine a fait beaucoup pour l’unité des chrétiens de toutes confessions et pour l’unité du peuple d’Ukraine…
■ Quels sont, selon vous, les objectifs de Vladimir Poutine à l’égard de l’Ukraine ?
Historiquement, l’Ukraine et la Russie sont étroitement liées, depuis le royaume Rus qui s’étendait de Kiev à Novgorod. La Russie, privée de l’Ukraine, se sent donc comme amputée. Mais je pense que ce que veut Vladimir Poutine aujourd’hui, c’est d’abord punir le mouvement de liberté qui a commencé en Ukraine. Ici, la société civile existe, elle aspire à plus de liberté, et ceci n’est actuellement pas envisageable en Russie : c’est un défi pour un régime autoritaire, voire une menace.
Vladimir Poutine veut donc montrer aux Russes que de telles évolutions ne sont pas possibles chez eux. Par ailleurs, Poutine, qui est un ancien officier du KGB — il ne faut jamais l’oublier — est resté attaché aux mythes de l’ancienne Union soviétique. Il l’a d’ailleurs dit à plusieurs reprises : la plus grande catastrophe du XXe siècle, c’est l’effondrement de l’URSS. Il a comme rêve de reconstruire l’empire soviétique, on l’a vu en Géorgie ces dernières années. Et la Russie sans l’Ukraine ne peut, à ses yeux, être un empire, une superpuissance.
■ Quels sont vos espoirs pour l’Ukraine ?
Je souhaite bien sûr la paix et la justice pour l’Ukraine. Nous allons fêter cette année le millénaire du martyre des saints ukrainiens Borys et Hlib : ils sont pour tous les Ukrainiens des modèles en tant que défenseurs de la paix, eux qui ont refusé la violence contre leur frère qui voulait leur ravir le trône. J’ai une totale confiance dans la Providence divine. De grands changements moraux s’opèrent en Ukraine : la reconquête de la dignité a commencé.
Le peuple ukrainien est modéré et veut la démocratie : il a déjà fait, et fait encore, de grands sacrifices ; et là où il y a un vrai sacrifice, il y a des fruits. L’Ukraine a une vocation pour l’Ouest et l’Est. Les Ukrainiens donnent leur vie pour les principes qui sont à la base de la culture européenne. L’Ukraine a aussi une vocation pour l’Est : partager avec la Russie cette dignité donnée par Dieu, fondée dans l’intériorité, dans les relations entre les personnes, avec ses conséquences constitutionnelles, spirituelles et psychologiques : une dignité fondée dans l’authenticité des relations. Après l’autoritarisme du XXe siècle, comment favoriser la paix ?
La réconciliation de la France et de l’Allemagne a été un modèle pour celle de l’Allemagne et de la Pologne. Il faut continuer cette transmission. Nous devons avoir pour objectif la paix entre l’Ukraine et la Russie dans une perspective ouverte au futur.
■ Quel peut être le rôle de votre éparchie dans cette ouverture ?
Je souhaite que notre éparchie [gréco-catholique ukrainienne] devienne un vrai témoin pascal, qu’elle soit un laboratoire pour la recherche contemporaine de la joie et de la paix dans l’Évangile.
Le Seigneur veut notre vie, il nous a donné la vie, il donne la vie éternelle à travers sa Pâque. C’est la plus grande vérité de l’existence humaine, la bonne nouvelle : nous voulons vivre cette vérité et en témoigner. ■