Il y a quand même un sérieux paradoxe dans le fait de manifester pour protester contre la violence, en se montrant soi-même très violent. Je songe évidemment à ce qui s’est passé à Nantes et à Toulouse, le samedi de la Toussaint, et à Paris hier. Bien sûr, il y a lieu de distinguer ceux qui s’expriment pacifiquement comme à Sivens ou sur le Champ-de-Mars, et ceux qui veulent affronter directement les forces de l’ordre. D’un côté les précautions sont prises pour conférer à la protestation son style apaisé. De l’autre, on veut absolument en découdre. À Stalingrad, 75 interpellations ont eu lieu pour expulser du cortège les éléments les plus vindicatifs. On a trouvé sur certains d’entre eux des marteaux, des poings américains et des projectiles.
Je ne puis m’empêcher d’établir des comparaisons avec les immenses cortèges de La Manif pour tous, toujours parfaitement maîtrisés. S’il y eut en soirée des affrontements avec la police, ceux-ci furent toujours très limités et il n’y eut jamais de dégâts matériels, de voitures brûlées, de vitrines brisées. Pourtant, le ministre de l’Intérieur de l’époque, un certain Manuel Valls, avait employé contre des cortèges pacifiques, des moyens disproportionnés, en procédant à de multiples arrestations arbitraires. C’est qu’il s’agissait d’un mouvement réfractaire à toute violence et dont le propre service d’ordre suffisait à contrer tout débordement, sans que le préfet de police doive s’en mêler. Cela m’a rappelé ce qui s’était déjà passé au moment des manifs pour la liberté scolaire, avec le service d’ordre organisé sous l’autorité de Claude Massacrier.
Il est vrai que nous nous trouvons face à des réalités sociales très différentes. Le journal Libération a procédé à une analyse fort intéressante de ce que le quotidien appelle « l’écosystème zadiste ». « Zadiste » renvoie à « zone à défendre », comme la zone âprement défendue contre la construction d’un aéroport à Notre-Dame-des-Landes, et la zone maintenant bien connue, dévolue à la construction d’un barrage à Sivens dans le Tarn. Tout un monde militant s’y retrouve, s’y fédère, s’y confronte dans une volonté déterminée de s’opposer à des projets anti-écologiques. C’est une forme de guerre qui se fomente en ces lieux. On espère qu’elle dépassera sa logique violente pour entrer dans une concertation constructive en vue du bien commun.