Je serais bien le dernier à regretter que, dans notre cher pays, les événements culturels soient souvent privilégiés dans les médias. Que la mort d’un Patrice Chéreau soit annoncée en premier titre à la une de nos quotidiens nationaux est bien le signe d’une certaine primauté dont il faut se louer, car elle contredit d’autres hiérarchies de valeurs liées à la puissance matérielle et à l’argent. Mais, par ailleurs, ne soyons pas naïfs. La culture ne constitue pas un milieu neutre, incontestable, consensuel. Elle met en scène des affrontements souvent cruels, des conceptions opposées de la vie. Elle est polémique en son essence, c’est une arme de guerre redoutable pour inculquer ses conceptions, son idéologie. J’en veux pour preuve l’accueil fait en ce moment au film qui a obtenu la dernière palme d’or du festival de Cannes et qui vient de sortir dans les salles.
L’événement est tellement important qu’il suscite par exemple rien moins qu’un éditorial du Monde, où le rédacteur manifeste un enthousiasme débordant. La vie d’Adèle du réalisateur franco-tunisien Abdellatif Kechiche est salué comme un chef-d’œuvre absolu, dont la beauté bouleversante devrait s’imposer universellement. Il nous est dit que le cinéaste « peut légitimement se prévaloir d’une lignée qui va de Marivaux à Pialat, en passant par Jean Renoir ». Libération est aussi enthousiaste. Le couac vient du côté du Figaro, dont un des rédacteurs n’hésite pas à se moquer de certaines scènes. Au total, Éric Neuhoff démolit sans pitié ce que son confrère du Monde porte aux nues.
C’est aussi une chance de ne pas être réduit à un art officiel. C’est une chance surtout de pouvoir décrypter le sens d’une œuvre, l’intention de son auteur. Sur des sujets aussi sensibles et engagés que ceux ciblés par La vie d’Adèle, c’est encore la liberté de l’esprit qui doit pouvoir éventuellement triompher des stéréotypes les plus subtils et les plus insidieux.