Quelques années de vie publique à Fatima et une vie cachée jusqu’à sa « naissance au Ciel » à 97 ans, à Coimbra : voilà ce dont témoigne le carmel où la petite bergère d’Aljustrel, Lucie dos Santos, a vécu à l’école de la Vierge Marie et de sainte Thérèse.
Aujourd’hui encore les baptisés ne s’y trompent pas : les groupes de visiteurs se succèdent de demi-heure en demi-heure dans la chapelle de bois brun rehaussé d’or par le baroque portugais et « au mémorial », ce petit musée de la vie quotidienne d’une carmélite si simplement extraordinaire.
Pour la soustraire aux curieux qui ne laissaient en paix ni elle ni sa famille, l’évêque de Fatima, Mgr José Aves Correira da Silva, avait confié son éducation au collège de Porto des sœurs de Sainte-Dorothée – fondées par sainte Paola Frassinetti au XIXe siècle. Lors d’une septième apparition, la Vierge Marie confirma à Lucie le choix de l’évêque.
Elle quitta définitivement son village d’Aljustrel, aux portes de Fatima, le 16 juin 1921, après quatre ans que l’on pourrait appeler de « vie publique ». La séparation fut douloureuse.
Et c’est pendant ses trois années de collège qu’elle donna toute sa vie à Dieu définitivement par un vœu de chasteté perpétuelle, le 26 août 1923. C’est avec la canonisation de sainte Thérèse de Lisieux, par le pape Pie XI, le 17 mai 1925, qu’elle entendit l’appel au carmel. Mais la République portugaise interdisait les communautés qui n’avaient pas d’engagement social. Alors Lucie pensa apprendre le français et postuler au carmel de Lisieux.
Finalement, elle apprendra l’espagnol, au noviciat des sœurs de Sainte-Dorothée en Galice, à Pontevedra, où elle entra à dix-huit ans et demi.
Mais l’appel au carmel sera plus fort. Les carmélites avaient été expulsées du carmel de Coimbra en 1910. Elles ne purent revenir à Coimbra qu’en 1933, et au carmel, jusque-là occupé par des militaires, qu’en 1946. Il fallut deux interventions du pape Pie XII lui-même pour que Lucie ait la permission de l’évêque de les rejoindre, après plus de 21 ans de vie religieuse apostolique, le 25 mars 1948, à 5h30. C’était l’Annonciation et le Jeudi saint. Elle prit l’habit deux mois plus tard, le 13 mai 1947, trente ans après la première apparition à la Cova da Iria. Elle avait 41 ans. On peut demander son intercession pour les vocations qui tâtonnent sur le lieu où incarner l’appel de Dieu.
Elle y vivra 57 ans d’une vie cachée, à part les quatre visites d’un pape à Fatima, à chaque fois un 13 mai : Paul VI en 1967, et Jean-Paul II en 1982, 1991 et 2000.
Le petit musée consacré à sœur Lucie à Coimbra permet de saisir un peu de cette écume des jours autour de la vie de prière de la communauté mais l’essentiel doit encore être révélé : on attend beaucoup du procès en béatification qui est entré dans sa phase romaine.
Le procès diocésain, ouvert le 30 avril 2008, moins de 5 ans après la mort de sœur Lucie, grâce à une dispense de Benoît XVI, s’est conclu le 13 février 2017, douzième anniversaire de sa mort. Il a permis de rassembler 15 483 pages de documents, ordonnés dans 19 caisses scellées de cire rouge et expédiées à Rome, à la Congrégation pour les causes des saints.
Pour rassembler ces documents il a fallu le travail de deux évêques, de deux postulateurs, de trois vices-postulateurs, de huit personnes pour la commission historique. On a recueilli 61 témoignages dont ceux d’un cardinal, de quatre évêques, de trente-quatre laïcs et de carmélites.
La cérémonie de clôture a été présidée par l’évêque de Coimbra, Mgr Virgilio Antunes. Le postulateur, le père carme Romano Gambalunga, a cité la béatitude des cœurs purs pour décrire sœur Lucie.
La phase romaine du procès doit d’abord porter sur l’examen des vertus humaines et chrétiennes de la petite bergère devenue carmélite, à la lumière de ses nombreux écrits, dont une abondante correspondance. Il aboutira à la rédaction d’une positio, une biographie spirituelle de sœur Lucie.
Au Mémorial de Coimbra, on découvre mille objets de la vie de Lucie dos Santos, devenue carmélite sous le nom de sœur Marie Lucie de Jésus et du Cœur Immaculé, comme son chapelet offert par Jean-Paul II, son premier cahier manuscrit, une cape blanche et un habit brun de carmélite, ses ouvrages brodés d’or, des photos, sa machine à écrire électronique, des valises de courrier, une copie du fax dans lequel Jean-Paul II lui dit son affection et sa prière. Elle allait s’éteindre le lendemain.
Pour préparer la révélation du « troisième secret » en l’an 2000, Jean-Paul II avait envoyé le futur cardinal Tarcisio Bertone – alors « numéro deux » à la Doctrine de la foi – rencontrer sœur Lucie. Elle confirmera que la demande de la Vierge Marie a été satisfaite par la consécration du monde à son Cœur Immaculé le 25 mars 1984, que le secret publié est complet – « je n’en connais pas d’autre » 1– et que l’interprétation qui en a été donnée est juste. Le cardinal Joseph Ratzinger présentera son commentaire théologique avec Mgr Bertone au Vatican le 26 juin 2000 et la documentation – y compris le facsimilé des écrits de Lucie – est en accès libre sur le site du Vatican*.
Elle repose en attendant la résurrection de la chair dans la basilique de la Trinité de Fatima, sa tombe est à côté de celle de sainte Jacinthe, et en face de celle de saint François Marto.
Elle avait six ans, lorsqu’elle fit sa première confession, à voix haute, ne sachant pas qu’il fallait murmurer pour le prêtre seulement. Le prêtre, l’abbé Cruz, lui recommanda d’aller ensuite demander à Marie la grâce d’avoir toujours Jésus dans sa pensée. Elle choisit une des statues de la Vierge, s’agenouilla et dit cette prière plusieurs fois. Et elle vit alors la Vierge lui sourire.
Au carmel, à la fin de sa vie, en 2003, elle verra aussi les larmes de la Vierge. La statue de la Vierge qui a pleuré se trouve dans la chapelle du carmel, entourée des petites statues des saints pastoureaux Jacinthe et de François.
On pourrait dire que la vie de la petite bergère portée, pour sa première communion dans les bras de son frère, depuis leur village d’Aljustrel jusqu’à l’église de son baptême, pour ne pas salir sa belle robe blanche, a vécu toute sa vie sous le signe du sourire et des larmes de la Vierge Marie. Et qu’elle enseigne à faire de même pour l’amour de Dieu qui faisait battre son cœur depuis l’enfance et le salut des « pauvres pécheurs ». Et aussi pour l’amour du Saint-Père qu’ils aimaient tant tous les trois.
- Cela n’interdit pas d’aller voir le passionnant film-enquête de Pierre Barnérias, M et le 3e secret, sorti en 2014 mais actuellement à nouveau projeté dans quelques salles, à Paris (cinéma St-André des Arts) et en province, ainsi que dans des paroisses. Il faut voir aussi le film de Ian & Dominic Higgins, Le 13e jour, par exemple au théâtre de l’Ouest parisien, 1, place Bernard-Palissy à Boulogne-Billancourt, le 8 juin 2017 à 20h30.