Le miracle de 1998 s’est donc renouvelé ! Vingt ans après. Et c’est tout un pays qui s’est trouvé ainsi soulevé dans un halo de gloire. Oubliés les doutes d’hier, les perplexités. Didier Deschamps, à l’égal d’Aimé Jacquet, en dépit de sa modestie, est honoré comme un héros national, et toute son équipe propulsée dans la légende. Il fallait entendre dimanche, dans les dernières minutes de la finale, les envolées des commentateurs qui ne pouvaient pas crier assez fort leur joie, parce qu’ils se savaient en totale symbiose avec une émotion unanime. La victoire se traduit ainsi en métaphores qui transposent la compétition sportive en épopée.
Il y a une dimension sacrale dans ce type de métamorphose, que le sociologue Paul Yonnet avait bien mise en évidence, en rappelant le précédent du stade d’Olympie. Certes, nous ne vivons plus dans le climat de la Grèce antique, mais il y a une constante, à laquelle Régis Debray a consacré ses travaux sur la nécessaire transcendance du politique. Aucune cité ne se construit sans relation à une forme de religion. Et celle-ci n’est pas forcément idolâtrique, même si elle s’accompagne de projections superlatives. La Grèce avait ses héros, demi-dieux. Nous n’en sommes plus là, quelle que soit la vénération qui s’est attachée à un Zinédine Zidane. Ce qui persiste néanmoins, c’est, pour un peuple, la nécessité d’éprouver un sentiment exaltant d’unité dans un moment privilégié, grâce aux exploits réalisés par une équipe, en qui elle a investi ses espoirs.
Nos adversaires croates n’ont pas démérité. Bien au contraire. Et c’est aussi un autre miracle du mondial que d’avoir propulsé au sommet les représentants d’une petite nation de quelque quatre millions d’habitants. Le sport permet parfois cette redistribution des mérites, au-delà des critères habituels de l’économie et de la puissance politique. Et par ailleurs, c’est à l’échelle d’une compétition mondiale – le football a conquis la presque totalité des continents – que se distinguent les spécificités nationales. Compétition toute pacifique qui nous éloigne des périls habituels des rivalités entre peuples.
Cette dimension sacrale du sport serait-elle le substitut à la religion dans une culture moderne que l’on prétend sécularisée ? Sûrement pas ! Car la religion répond à des critères anthropologiques qui recouvrent les aspirations fondamentales de l’existence humaine. Les héros du mondial peuvent susciter l’enthousiasme, ils ne donnent pas les clés des énigmes et des secrets les plus profonds de notre existence. La sacralité qu’ils expriment n’est qu’un aspect nécessaire de la cohésion de la cité. Une cité humaine qui deviendra cité de Dieu au prix de métamorphoses d’un tout autre ordre !