La vertu malmenée par la contre-culture * - France Catholique
Edit Template
La justice de Dieu
Edit Template

La vertu malmenée par la contre-culture *

Copier le lien

L’extrait ci-dessous est tiré de l’œuvre de Shakespeare, Troïlus et Cressida, lu par le combattant troyen Hector. Dans ce passage anachronique, puisqu’il cite Aristote quelques siècles avant sa naissance, l’auteur se réfère au célèbre passage de l’excellent travail d’Aristote concernant la philosophie morale, l’Ethique à Nicomaque :

Vous avez raisonné sur l’affaire et la question maintenant en discussion ; mais bien superficiellement, et comme des jeunes gens qu’Aristote jugerait incapables de comprendre la philosophie morale.

Dans cet extrait, Aristote explique que les jeunes, pas forcément jeunes en âge d’ailleurs, ne sont pas en mesure d’étudier l’éthique et la politique car ils manquent d’expérience, et ont tendance à suivre leur instinct plutôt que la raison.

Selon Aristote, la morale catholique et l’enseignement politique ont accepté cela.

Si l’étude de l’éthique et de la politique était simplement un problème de compréhension des débats de leur part, le manque d’expérience et d’une certaine immaturité ne devraient pas être des obstacles insurmontables pour ces jeunes. Lorsqu’il s’agit d’étudier l’arithmétique, aucun professeur n’attend de ses étudiants de connaître le monde ou de devenir plus mature. Les enfants peuvent commencer à étudier l’arithmétique dès six ou sept ans, voire avant, car elle a pour but seul d’améliorer la compréhension de l’élève.
Ce qui n’est pas vraiment le cas pour l’éthique et la politique. Réussir dans ces domaines demande de la part de l’étudiant, de venir en classe avec une certaine expérience, et une formation morale, déjà assimilées.

Et si on essayait d’enseigner l’Ethique à Nicomaque à un gangster comme Michael Corleone ou Tony Soprano, comment prendraient-ils les propos d’Aristote sur la vertu, le courage, la tempérance et la justice ? Ils trouveraient probablement que ce qu’Aristote dit, est énigmatique, ou même carrément étrange et naïf, s’ils n’étaient pas ennuyés par ces propos.

Un vieux proverbe dit : qu’importe ce que l’on reçoit, l’important, c’est la manière dont il nous est donné, ou autrement dit : « Un livre est comme un miroir; si un singe s’y mire, d’évidence il n’y verra point un apôtre. »
C’est la même chose avec l’étude de l’éthique et de la politique. Un cours d’un de ces domaines n’ a pas pour but de créer un bon étudiant. Son but est d’aider l’étudiant à atteindre ses objectifs.

Les observations d’Aristote devraient nous mettre en garde pour que les formations sur la morale et la politique ne deviennent pas plus intellectuelles qu’elles ne devraient l’être. Il est vrai que l’on vit dans une époque d’images. On nous le rappelle souvent. En revanche, nous vivons aussi dans une époque de persuasion des médias, où nous « nageons » dans les mots et les opinions et les débats, exactement comme ce que vous lisez en ce moment. A cause de cela, nous pouvons être amenés à penser que le débat moral et politique, la lettre d’opinion perspicace, l’article émouvant d’un blog, ou le nouveau livre qui enflamme les foules, sont les maîtres outils dont nous avons besoin pour changer le monde. Mais il n’en est rien.

Si on suit le raisonnement d’Aristote, nous avons surtout besoin d’expériences réelles et de formation, ceux qui nous permettront à nous et à d’autres de grandir pour devenir vertueux. Mais où apprendre tout cela?

Le philosophe et moraliste catholique Alasdair MacIntyre a argumenté ses propos en disant que les vertus se révèlent dans un contexte social spécifique qu’il appelle pratique. Pensez à la pratique comme l’activité d’une communauté qui cherche ensemble pour le bien commun. Une famille est une pratique, comme l’est l’école, une équipe de sport, une troupe de théâtre, le soutien d’un groupe politique, et certaines autres activités.

Le but d’une pratique est de s’assurer du bien commun. Les biens communs sont uniques dans le sens où on les reçoit par l’action commune des membres impliqués dans une pratique. On ne peut les obtenir sans cette action commune. Par exemple, la vérité est un des biens communs d’une école. Tous en profitent et ce, grâce à la vertu des enseignements scolaires et à l‘apprentissage que fournissent les membres d’une école.

Encore une fois, MacIntyre veut nous montrer que les vertus se développent lorsqu’on les met en pratique. Un enfant apprend d’abord la tempérance lorsque lui sont enseignées les bonnes manières et la bonne quantité de nourriture et de boisson par ses parents, bien avant que cet enfant ne puisse réfléchir sur des débats philosophiques ou théologiques, à propos de cette dite tempérance. Les enfants assimilent plus sur ce qu’est un être humain décent en observant ses parents et sa famille, plutôt qu’en écoutant ou en écoutant à moitié, les instructions morales que leur donnent ces mêmes personnes.

Ce dont nous avons besoin pour mener à bien changements politique et moral, sont les pratiques, tout d’abord celles de la propre famille des enfants.
Notre environnement moral et politique actuel ne récompense pas vraiment les vertus ou les pratiques qui sont nécessaires pour soutenir ces jeunes, bien au contraire. Les biens individuels, comme la richesse, la beauté, le rang social, l’honneur et la santé sont plus importants que les biens communs et les pratiques de notre société actuelle. De plus en plus, nos efforts pour construire et aider de telles pratiques deviennent des actes de résistance culturelle.

Parfois, le choc entre les pratiques et la culture est évident et dramatique, comme lorsqu’un régime politique redéfinit le mariage comme une institution qui ne requiert pas nécessairement un homme et une femme. D’autres fois, le choc est plus subtile. Nous entendons souvent que les institutions éducatives politiques justifient les maigres salaires des enseignants en disant qu’ils sont en compétition avec les familles. Et cela est probablement vrai.

Mais le décalage entre l’actuel prix du marché et le salaire des enseignants n’est pas le seul point que ces institutions devraient considérer, c’est-à-dire la rémunération des enseignants, puisque c’est moins important que leur enseignement. Ils devraient plutôt penser aux bienfaits que la pratique dans les écoles apportent aux principes fondamentaux des pratiques familiales. Une telle réflexion pourrait leur montrer qu’il est judicieux de rémunérer ces enseignants qui leur permettraient de rester à la maison avec leurs enfants, de payer un salaire à des professeurs qui permettraient à un des parents de rester à la maison avec les enfants, faudrait-t-il encore qu’ils déterminent ce qu’il y a de mieux pour leur famille.

Ce genre de réflexion contre-culturelle sur les pratiques devrait être une seconde nature pour les institutions catholiques, et pour tous les fidèles catholiques qui cherche à vivre dans la vertu.

* Ensemble des manifestations culturelles hostiles ou étrangères aux formes de la culture dominante.

http://www.thecatholicthing.org/2015/08/14/the-countercultural-practice-of-virtue/

A propos de Daniel McInerny (Photo)

Daniel McInerny est un auteur et philosophe de fiction pour adultes et enfants. Vous pouvez en savoir plus sur lui et son travail sur son site : danielmcinerny.com.