Est-ce que la réalité compte ? Est-elle le point de référence nécessaire et décisif pour découvrir ce qui est et ce qui n’est pas, ce qui est vrai et ce qui est faux ? Ou bien la réalité est-elle sujette à révision, fondée sur les préférences ou les désirs de chacun, ou sur quelque autre facteur ? Ces questions viennent à l’esprit lorsque l’on considère le compte rendu stupéfiant sur les remarques faites par le cardinal Francesco Coccopalmerio sur la question de la validité des ordres anglicans.
Selon Christopher Lamb dans The Tablet, Coccopalmerio caractérise l’enseignement de l’Église sur la question des ordres anglicans comme suit : « Nous avons eu, et nous avons toujours, une compréhension très rigide de la validité et de l’invalidité : ceci est valide et cela est invalide. On devrait pouvoir dire : « Ceci est valide dans un certain contexte, et cela est valide dans un autre contexte ». »
Le cardinal spécule sur les implications doctrinales des gestes passés d’amitié et de respect du pape en déclarant : « Que signifie le don d’un calice par le pape Paul VI à l’archevêque de Canterbury ? Si c’était pour célébrer la Cène du Seigneur, cela signifiait que c’était valide, non ? » Il poursuit : « C’est plus fort que la croix pectorale, parce qu’un calice n’est pas seulement utilisé pour boire mais pour célébrer l’Eucharistie. Avec de tels gestes, l’Église catholique sait déjà intuitivement, elle reconnaît une réalité. »
Ces remarques sont publiées dans un nouvel ouvrage, dont le titre n’est pas fourni par Lamb qui en a présenté le contenu lors d’une réunion du Groupe de conversation de Malines qui s’est tenue près de Rome en avril de cette année. L’émission de Radio Vatican comprend des commentaires par le père Tony Currer du Conseil pontifical pour la promotion de l’unité chrétienne. Sur les ordres anglicans, il commente : « Je pense qu’il est vrai de dire que nous n’utilisons plus le langage « nul et non avenu », car ce n’est clairement pas ce que disent les gestes, la générosité et la chaleur que nous voyons à nouveau maintes fois. »
Validité est un autre mot pour réalité lorsque l’on parle des sacrements. L’Église enseigne de manière claire ce qui est nécessaire pour la célébration valide – c’est-à-dire vraie et réelle – des sacrements. En invoquant l’expression péjorative à la mode « compréhension rigide » en parlant de validité et d’invalidité, Coccopalmerio réduit la détermination de l’Église de ce qui compte pour qu’un sacrement soit valide à l’expression d’une attitude psychologique malsaine enracinée dans l’ignorance ou dans la peur irrationnelle.
La question de la validité est simple : l’Église considère-t-elle une ordination anglicane comme l’administration valide du sacrement de l’ordre ? La réponse est non, ainsi que l’a déterminé avec autorité le pape Léon WIII dans son encyclique Apostolicae Curae. L’ordination anglicane ne fait pas d’un homme un prêtre catholique. Cette détermination est objective, fondée sur une étude attentive et raisonnée de l’histoire, des doctrines et des pratiques de l’Église catholique et de la Communion anglicane.
Coccopalmerio déclare également : « Lorsque quelqu’un est ordonné dans l’Église anglicane, et devient prêtre de paroisse dans une communauté, nous ne pouvons pas dire que rien ne s’est passé, que tout est « invalide ». » Le choix présenté dans cette assertion est que, lors d’une ordination anglicane, soit un homme est validement ordonné comme prêtre, soit il ne s’est rien passé. Mais il y a une troisième possibilité : l’ordination anglicane a pour résultat que quelqu’un est devenu prêtre anglican, pas prêtre catholique.
Fr. Gerald E. Murray
Rome, Paul VI, et l’archevêque de Canterbury, Michael Ramsey, 1966
L’Église enseigne qu’une telle ordination n’est pas une ordination catholique valide. L’homme ordonné lors d’une cérémonie anglicane ne reçoit pas le sacrement de l’ordre. Le sacrement de l’ordre n’est pas administré. (Je laisse de côté la question des anglicans ordonnés par des évêques qui ont eux-mêmes reçu une consécration épiscopale valide par des évêques catholiques ou orthodoxes.)
Apparemment, Coccopalmerio et Currer résistent à cette vérité. Le cardinal prétend que le don papal d’un calice à l’archevêque de Canterbury signifie que le pape Paul VI considérait la célébration de la communion anglicane comme la célébration valide de la messe parce qu’« elle était censée être faite validement ». Mais le pape Paul n’a jamais dit ce que déduit Coccopalmerio. Un geste n’est pas équivalent à une déclaration doctrinale.
Le père Currer allègue que « nous n’utilisons plus les termes de « nul et non avenu » ». Si ce « nous » signifie l’Église catholique, il se trompe. La détermination du pape Léon XIII n’a jamais été contestée par aucun de ses successeurs. Le fait que le père Currer et d’autres soient mécontents que les ordres anglicans furent trouvés nuls et non avenus est évident.
L’insatisfaction de Currer vis-à-vis de cet exercice du magistère papal ne signifie cependant pas que l’Église ne maintienne pas l’invalidité des ordres anglicans.
Coccopalmerio cherche à écarter la vérité objective de ce qui constitue la validité sacramentelle dans l’Église catholique en la rendant modifiable selon le « contexte ». N’est-ce pas là du relativisme pur et simple ? Le cardinal ne prétend pas que les critères pour déterminer la validité ou l’invalidité de l’administration du sacrement de l’ordre aient été mal appliqués par Léon XIII lorsqu’il a examiné les ordres anglicans. (Peut-être traite-t-il cette question ailleurs dans les remarques qu’il a publiées.) Il se contente de dire que ces critères ne devraient pas s’appliquer parce qu’ils sont « rigides ». La détermination du pape Léon XIII que les ordres anglicans sont invalides est vilipendée comme rigide lorsqu’on n’aime pas la vérité particulière dont il est question. La rigidité d’un homme est la solidité d’un autre. Dans cette affaire, l’Église est-elle têtue ou constante ? Je dirais qu’elle est les deux à la fois. C’est ce qu’exige la vérité, indépendamment de tout contexte. Si elle a fait une grosse erreur ici, quoi d’autre va être mis sur le billot ?
Dans son essai Le détrônement de la vérité, Dietrich von Hildebrand écrit : « l’irrespect de la vérité – lorsque ce n’est pas une thèse théorique mais une attitude vécue – détruit clairement toute moralité, et même tout caractère raisonnable et toute vie de communauté. Toutes les normes objectives sont dissoutes par cette attitude d’indifférence vis-à-vis de la vérité ; de même que la possibilité de résoudre objectivement n’importe quelle discussion ou controverse. La paix entre les individus ou les nations et toute confiance en d’autres personnes sont également impossibles. La base même d’une vie véritablement humaine est renversée. »
La vérité est rejetée, c’est un grand péril pour nous.
https://www.thecatholicthing.org/2017/05/18/the-truth-is-real-not-rigid/
Le révérend Gerald E. Murray, J.C.D. est le curé de l’église de la Sainte Famille à New-York (État de New York). Il est également canoniste.