La véritable épée d’honneur - France Catholique
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Funérailles catholiques : un temps de conversion
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La véritable épée d’honneur

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Un vrai chrétien doit, entre autres, se préoccuper avec dévouement des souffrances et des besoins de ceux que la société néglige trop souvent. Les Ecritures sont remplies d’exhortations qui définissent bien nos priorités. Par exemple, la Bible dit que Dieu « rend justice à l’orphelin et à la veuve et aime l’émigré en lui donnant du pain et un manteau. Vous aimerez l’émigré, car au pays d’Egypte vous étiez des émigrés. » (Dt. 10, 1-19) Les vieillards, les enfants à naître, les orphelins, les demandeurs d’asile et les réfugiés doivent autant faire l’objet de notre mission que les personnes éloignées de l’Eglise.

Ce travail n’a rien de prestigieux. Pour une Mère Teresa et une Dorothy Day, il y a des milliers de prêtres, religieuses et laïcs qui ne seront jamais canonisés ni encensées par les médias. En outre, notre monde matérialiste et utilitaire juge une grande partie de ces efforts déroutants, voire attentatoires à nos idoles : la liberté individuelle et le libertinage. Il nous faut aujourd’hui revenir continuellement à la vie chrétienne discrète, sans éclat et faite de sacrifices dont parle saint Paul et qui se définit par l’amour, l’humilité et un dur labeur.
Cela peut sembler nous éloigner du sujet, mais la célèbre trilogie du romancier britannique Evelyn Waugh Sword of Honor [L’épée d’honneur, ouvrage non traduit en français] constitue une illustration poignante de ces vertus qui peut nous aider à affronter un monde grouillant d’adversaires hostiles à notre vocation chrétienne.

Cette trilogie constitue le couronnement de la carrière littéraire de Waugh. Ecrits pendant les années 1950 et au début des années 1960 (l’écrivain est mort en 1966), ces ouvrages ont été portés aux nues. Mais ils ont été ultérieurement éclipsés par Retour à Brideshead et même ses autres romans. Et pourtant L’épée d’honneur est l’œuvre d’un Evelyn Waugh parvenu à maturité qui contient des descriptions pénétrantes (voire cyniques) de la culture aristocratique anglaise en plein déclin, ainsi que l’expression de sa spiritualité la plus profonde.

L’ouvrage raconte l’histoire de Guy Crouchback, héritier d’une honorable famille catholique anglaise sur le déclin. Guy est un « loser » : il a été marié à Virginia, une femme belle et brillante qui s’est vite lassée de lui et embarquée dans une longue quête de maris et d’amants non-catholiques. Accablé de chagrin, Guy gaspille quelques-unes de ses meilleures années, vivant seul dans une petite propriété familiale en Italie et refusant de se remarier à cause de son catholicisme. Il frise la quarantaine quand l’Angleterre se retrouve en guerre avec l’Allemagne nazie.

La guerre redonne un coup de jeune à Guy qui a l’impression de marcher sur les traces d’un de ses ancêtres, un saint croisé, en s’engageant dans l’armée britannique. Il s’attache rapidement aux traditions et disciplines militaires, mais est fréquemment démoralisé par la paresse, l’égoïsme et la couardise du corps aristocratique des officiers. La narration accumule ensuite ses espérances déçues, surtout en ce qui concerne les missions sur la ligne de front.

Au lieu de cela, le héros participe à une expédition peu importante au large des côtes du Sénégal et à l’évacuation désordonnée, voire peu honorable, de la Crète par les Britanniques au moment de l’invasion de l’île par les nazis.

Les derniers mois de la guerre sont consacrés à fournir un soutien en matériels à des guérillas communistes en grande partie inactives qui passent leur temps à harasser des unités croates fascistes et contrer ce qu’il reste de l’Eglise catholique. Rien à voir avec une épopée héroïque opposant les bons et les méchants comme Patton ou Il faut sauver le soldat Ryan ; le récit retrace sur un mode ironique et teinté d’un profond cynisme la bureaucratie et les objectifs du Royaume-Uni.

En dépit de tout cela, la fin du livre ne se complait pas dans la désillusion existentielle typique des ouvrages portant sur la deuxième guerre mondiale. Au contraire, Guy demeure un catholique fidèle et calme malgré tous les échecs et les déceptions qui l’ont marqué.

Cette attitude se manifeste surtout dans la détermination de Guy de sauver une centaine de vieux juifs essayant de sortir de Yougoslavie, tandis que d’autres officiers britanniques s’occupent de leur promotion ou simplement de leur survie.

Il cherche des vêtements pour les réfugiés ce qui agace les partisans communistes. Un officier britannique lui pose cette question rhétorique : « Comment allons nous expliquer que ces vieux qui ne servent nullement notre cause devraient recevoir ces dons ». Guy répond : « peut-être en disant qu’ils sont vraiment vieux et ne servent aucune cause. Leurs besoins sont plus grands que ceux d’un jeune enthousiaste ».

Guy visite ensuite un camp improvisé de réfugiés juifs en Italie, où un officier britannique lui dit : « Personne ne veut d’eux. Les sionistes ne s’intéressent qu’aux jeunes. Je présume qu’ils vont rester ici jusqu’à leur mort… n’en faites-vous pas toute une histoire ? » Effectivement, un officier représentant les intérêts sionistes dit plus tard à Guy : « nous devons d’abord créer un Etat… ensuite ce sera un refuge pour tous. Il y a des priorités à respecter ».

A l’opposé du pragmatisme sioniste et britannique, Guy possède un sens chrétien du devoir et de l’amour, même si celui-ci n’aura que peu d’effet sur les objectifs géostratégiques. Ce qui ressort d’un débat antérieur entre Guy et son père déjà âgé, Gervase, sur les décisions de la hiérarchie catholique : « Mon cher enfant, tu es vraiment en train de te planter, tu comprends. Ce n’est pas du tout la voie de l’Eglise. Ce n’est pas à cette fin qu’elle existe ».

Une lettre ultérieure de son père développe cette opinion :

« Quand tu as parlé du Traité du Latran [signé entre le Saint-Siège et Mussolini] as-tu pensé au nombre d’âmes qui ont été réconciliées et sont mortes en paix à la suite de celui-ci ? Combien d’enfants qui auraient vécu dans l’ignorance ont pu être élevés dans la foi ? Les jugements quantitatifs ne s’appliquent pas. Si une seule âme a été sauvée, cela compense largement le fait d’avoir perdu la face ».

Cette lettre produit l’effet désiré et la conscience de Guy s’en imprègne. Ce devoir, apparemment illogique, vis-à-vis des pauvres et des bouches inutiles l’amène à prendre une autre décision. Vers la fin de la trilogie, son épouse qui l’a abandonné découvre qu’elle est enceinte des œuvres d’un des camarades officiers de Guy. Ne réussissant pas à se faire avorter, elle supplie humblement Guy de les prendre, elle et l’enfant d’un homme que Guy déteste, sous sa protection.

Des choix de ce genre ont pour sanction le ridicule et l’exclusion sociale. Guy constate qu’accepter n’était pas « la conduite normale d’un officier et d’un gentleman ». Sans le Christ, le monde ne saurait comprendre un choix fondé sur l’humilité, la souffrance et l’abnégation, presque sans compensations sociales. Waugh écrit : « dans un monde de haine et de gâchis, il avait l’occasion d’accomplir un seul petit acte pour la rédemption de son temps. »
Dans une lettre qu’Evelyn Waugh écrivit à la fin de sa trilogie, il explique l’un de ses principaux thèmes : « l’idée que Dieu en le créant assigne à chaque homme sa propre mission ». Ces missions peuvent être obscures, peu prestigieuses. Mais elles nous permettent de vivre une vie pleine de vertu et de sens qui répand de la grâce dans un monde en guerre inhumain et sinistre.

Nous, les chrétiens, plaçons les victimes de cette guerre sur un piédestal, en sachant que nous sommes, nous aussi, des orphelins et des réfugiés, qui seraient perdus à jamais s’il n’y avait un Dieu qui nous choisit, non pas à la manière du monde, mais en vertu d’un amour inlassable.

Samedi 14 janvier 2017


Casey Chalk, un écrivain résidant en Thaïlande, est rédacteur en chef du site œcuménique « Called to Communion » et un doctorant de la Notre Dame Graduate School of Theology (Christendom College, Front Royal, Virginie). Il a également écrit sur la communauté des demandeurs d’asile pakistanais de Bangkok pour la New Oxford Review et Ethika Politika.

Photographie : M. Evelyn Waugh

https://www.thecatholicthing.org/2017/01/14/the-real-sword-of-honor/