Le 24 avril, Jean-François Kahn, le créateur de L’Événement du jeudi puis de Marianne, s’est déclaré opposé à l’entrée de la Turquie dans l’Union européenne par souci d’affirmer l’identité du continent — allant jusqu’à parler de « patriotisme européen » — à laquelle il ne faut pas mêler « une autre grande culture ». Ce propos n’est pas surprenant de la part de quelqu’un qui cultive en toutes occasions le « politiquement incorrect ». Sa position se révèle d’ailleurs tout à fait proche de celui dont il va conduire la liste dans le Grand Est aux prochaines européennes, François Bayrou ; ce dernier a rappelé, à plusieurs reprises ces dernières années, qu’on ne pouvait pas élargir l’Union à l’infini et qu’il convenait, au contraire, de promouvoir son « identité » et sa « différence ».
En se gardant de tout ostracisme et de tout mépris vis-à-vis de la Turquie, on ne peut donc que noter sa propre singularité, laquelle s’étend d’ailleurs à plusieurs de ses voisins, qui sont en fait ses cousins car issus du même rameau de l’humanité. On trouve en effet des Turco-Mongols dans nombre d’États : Chine, Mongolie, Russie, Kazakhstan, Kirghizstan, Tadjikistan, Turkménistan, Ouzbékistan, Azerbaïdjan, Arménie et Géorgie. Cela permet de comprendre que l’héritier d’une des plus grandes traditions européennes, l’archiduc Otto de Habsbourg, ait insisté en 2005 sur deux aspects : « La Turquie, c’est une orientation totalement différente, ce sont des grandeurs différentes. C’est surtout une tradition différente ». Propos très semblables à ceux tenus l’année précédente par Laurent Fabius, qui considérait que son « centre de gravité est ailleurs ».
Malgré sa capacité à profiter de toutes les occasions pour se présenter de façon avantageuse, notamment dans des salons et des foires, la Turquie n’a pas encore adopté tous les comportements qui caractérisent la vie de l’Europe. Qu’il s’agisse de la place faite aux chrétiens ou aux Kurdes, de la reconnaissance du génocide arménien ou de la conception du rôle de l’État dans les questions religieuses, pour ne rien dire de ses rapports avec l’armée, le gouvernement d’Ankara n’apparaît pas sur la même longueur d’ondes que ses partenaires européens. On ne peut enfin oublier qu’il entretient des relations officielles l’administration chypriote-turque chez laquelle il maintient un fort contingent militaire, perpétuant son occupation sur le territoire d’un État membre de l’Union européenne ! La victoire, le 26, des nationalistes du parti Ubp augure d’ailleurs mal de l’avenir des discussions avec les autorités de Nicosie pour mettre fin à une séparation de 35 ans.
Pourtant, grâce à la ténacité des Suisses qui ont organisé des négociations secrètes à Berne, le processus de normalisation avec l’Arménie est entré le 22 avril dans une phase de « progrès concrets ». Il n’est pas anodin que la manifestation de cette nouvelle « compréhension mutuelle » soit intervenue l’avant-veille de la commémoration du fameux génocide de 1915, toujours nié par la Turquie. Les Arméniens de l’étranger se montrent d’ailleurs inquiets devant ces pourparlers, tout comme, pour des raisons inverses, les Azerbaïdjanais en conflit territorial avec l’Arménie.
Jean-Gabriel Delacour