Le Président Erdogan est un cas très particulier. Je n’ai de diplômes ni en psychologie ni en psychiatrie, je crois cependant que mon diagnostic est assez sérieux.
Pour commencer, jetez un coup d’oeil sur le palais qu’il s’est construit. Comptez le nombre de journalistes dans les prisons turques. Ajoutez-y deux des plus célèbres dessinateurs humoristiques qui ont fait fausse route récemment en « insultant le Chef d’Etat » par leurs caricatures d’Erdogan.
Un garçon de 16 ans a été condamné pour avoir crié dans la rue « Erdogan est un voleur ! ».
Miss Turquie est actuellement mise en examen pour un poème qu’elle a diffusé sur Instagram.
Depuis qu’Erdogan s’est élevé de Premier ministre à Président, au cours des élections générales de l’été dernier, il y a eu, sur Twitter, environ 500 demandes de censure pour des propos que ses sbires trouvaient peu flatteurs. La semaine dernière, pour bien signifier que ces requêtes devaient être prises au sérieux, Twitter fur bloqué dans toute le Turquie.
Et ainsi de suite. Le gentil lecteur peut en apprendre plus sur ce clown malveillant, qui est le Chef d’Etat de la Turquie, tout simplement en consultant Google, et ceci même en Turquie.
C’est peut-être par la recherche d’images que l’on peut trouver les témoignages les plus sinistres. Une simple photo peut donner une fausse impression, mais quand on en regarde une centaine d’ Erdogan, on est au coeur du sujet. Bien plus qu’un homme impassible, c’est un sinistre individu.
Alors que je sévissais parmi les huiles de quotidiens respectables, je me souviens d’une réflexion que je m’étais faite. Je comparais Erdogan à Poutine. On dirait qu’ils souffrent d’un même trouble mental .
Certes, il ne serait pas juste de sous-entendre qu’il est anormal, selon les normes classiques observées en histoire. La plupart des politiciens sont formatés, d’une certaine façon. Ce qui frappe chez ces deux, c’est la difficulté qu’ils ont, l’un et l’autre, à cacher leur vraie nature derrière un exercice de charme superficiel. Même Staline savait sourire aux photographes, et Hitler embrasser des bébés (aryens de préférence).
Malcolm Muggeridge, fort de sa grande expérience journalistique, avait coutume de dire que les politiciens étaient fous, que le pouvoir leur montait toujours à la tête; ce qui ne veut pas dire qu’ils n’étaient pas déjà déjantés avant d’accéder aux premier rang de l’administration.
Des témoins pensaient souvent que M. Muggeridge, amuseur public à la télévision, plaisantait. On croit souvent que quelqu’un qui parle sur un ton léger, et même blague parfois, n’est pas sérieux. Comme je le tiens de feu son fils John, l’aîné était bel et bien sérieux. Il était aussi très conscient de la suffisance des journalistes. On peut dire que, dans une démocratie, les deux groupes finissent par s’épauler mutuellement.
Au fait, la Turquie est bien une démocratie. Recep Tayyip Erdogan était premier ministre pendant douze ans avant de décider qu’il serait plus correct qu’il devienne président. Avant cela, il a été le maire d’Istanbul – autre ressemblance avec le parcours de Vladimir Vladimirovitch Poutine, qui sortit des rangs du KGB pour se hisser à celui de maire de St Pétersbourg, à la faveur des « évènements », avant de faire la navette entre premier ministre et président, en tirant sagement parti de la constitution russe.
La Russie est aussi une démocratie. Ces deux hommes sont extrêmement populaires. Les Occidentaux, qui ne peuvent comprendre pourquoi, et les journalistes occidentaux qui n’y comprennent rien, continuent à s’attendre à ce qu’ils perdent les élections. Au lieu de quoi ils gagnent à tous les coups. Et plus ils mènent un jeu dangereux, plus ils deviennent populaires.
J’ai déjà émis l’idée que, dans toute société, la majorité est composée de gens dénués de culture. Nous savons tous que cela était vrai dans le cadre féodal du moyen-âge, par exemple, mais beaucoup comprennent que cela continue à être vrai, et pas seulement dans des pays étrangers. Avec ou sans élections régulières, le politicien avisé le comprendra. Il apprendra à lancer ses appels démagogiques au niveau de caniveau de « politique identitaire ». Ses opposants ne se risqueraient pas à le contester.
C’était la sagesse de la chrétienté, y compris celle dont curieusement se recommandent les Pères Fondateurs des USA, d’admettre la brutalité d’une telle réalité. « Le peuple » peut ne représenter aucun danger, jusqu’au jour où il se mobilise comme une foule déchaînée. Ma préférence personnelle va aux arrangements héréditaires: tenir à l’écart les hommes avides de pouvoir.
Ou, comme nous l’a enseigné Shakespeare: les rois sont une sale engeance, mais bien pire qu’eux sont les hommes qui les renverseraient.
Tout compte fait, on doit se débrouiller avec les Erdogan, les Poutine, et même avec les Obama et Hillary qui vont inévitablement se hisser au pouvoir dès que l’ordre constitutionnel commencera à se désintégrer dans les acides de la post-modernité. Ils savent que ce que veulent les « bouseux » c’est un « leader », et ne pas s’embarrasser de détails.
Cette année marquant l’anniversaire du plus grand des massacres arméniens, l’Union Européenne a proposé à la Turquie, qui frappe éternellement à sa porte pour en devenir membre, de reconnaître la réalité des faits. Notre pape bienaimé a eu bien raison d’ajouter son grain de sel en associant à cette commémoration celle de la destruction de cette ancienne communauté chrétienne, au cours de la dernière période de l’empire ottoman islamique.
Même si, comme je l’ai déjà dit ici, je n’aime pas le mot « génocide », je recommande fortement que l’on soit sincère. Les faits doivent être reconnus, y compris et plus particulièrement les plus gênants.
Les USA ont lutté pour exorcisé l’héritage de l’esclavage; l’Allemagne a lutté avec l’héritage nazi; les Japonais, eux aussi, ont admis qu’il y avait quelque raison à l’humiliation qu’ils ont subie.
Echapper au Mal – qu’il s’agisse de calamité nationale ou propre à une collectivité- commence par la reconnaissance de faits très dérangeants. Les Turcs ne l’ont jamais fait en ce qui concerne les Arméniens (et bien d’autres qu’eux, pour des crimes parfois moins graves). Qu’ils n’en soient pas capables, un siècle après révèle simplement la misère spirituelle de leur nation.
En vérité, la tradition judéo-chrétienne est très supérieure aux autres traditions moins en référence à l’affranchissement du péché que par l’importance accordée au sentiment de honte; tandis que les autres traditions, elles, se débarrassent facilement de ce sentiment de honte. En occident, l’homme, s’il s’éloigne de la tradition chrétienne, perd cette référence et les conséquences ne peuvent qu’en devenir détestables.
A cela j’ajoute ma petite dose de paradoxe. Je pense qu’il ne sert à rien d’accuser les Turcs, ou d’incriminer Erdogan. Il a réagi exactement comme nous devions attendre de lui qu’il réagisse, avec une confirmation de l’esprit malin.
http://www.thecatholicthing.org/2015/04/17/turkey-the-pope-and-the-renewal-of-malice/
Photo : Des dirigants durs de la casquette…
Pour aller plus loin :
- Liste des ouvriers pastoraux, Evêques, Prêtres, Religieux, Religieuses et Laics tués en 2011 et 2010
- Le défi du développement des peuples et le pacte de Marrakech - la fuite en avant des Nations Unies
- Quand le virtuel se rebelle contre le réel, l’irrationnel détruit l’humanité
- Vladimir Ghika : le contexte politique avant la guerre de 1914-1918
- SYRIE : ENTRE CONFLITS ARMES ET DIALOGUE INTERNE