La Trinité créatrice - France Catholique
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Funérailles catholiques : un temps de conversion
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La Trinité créatrice

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Introduction

Essayons de pénétrer les secrets de Dieu dans son acte créateur. Cela nous conduira à une certaine relecture des textes bibliques, mais surtout, nous retrouverons les problèmes qui ont été soulevés par l’approche du mystère trinitaire, avec les écueils qui l’ont accompagnée.

– I – Données bibliques.

Nous avons déjà signalé dans la communication précédente, quelques affleurements qui seront exploités dans un sens trinitaire par les Pères de l’Église. Genèse 1,1 : « l’esprit qui plane sur les eaux ». Même s’il ne s’agit pas encore de l’Esprit divin révélé par le Christ, on s’en approche. De même « Dieu dit ». Là, il s’agit bien de la Parole créatrice. Genèse 1,26 : « Faisons l’homme. »introduit une sorte de délibération en Dieu.

On n’oubliera pas le verset du psaume 32 :

Le Seigneur a fait le cieux par sa parole, l’univers par le souffle de sa bouche. (v.6)

De même, les grands textes de Proverbes 8 et de Siracide 24 qui mettent en scène un personnage, la Sagesse, sorte de double de Dieu dans son activité créatrice. C’est une compréhension du monde, avec sa logique intérieure, sa « rationalité », qui est ainsi attribuée au Créateur. On sait qu’à cause de cela, cette Sagesse sera identifiée, dans le Nouveau Testament, soit au Fils, soit à L’Esprit.

Le mot « λογοσ », logos, est à étudier de près. Certains ont voulu qu’il provienne du néo-platonisme. Il est plus vraisemblable que saint Jean, qui est le seul à employer ce mot pour désigner le Christ, se réfère à l’AT, à la Parole créatrice, la Davar. On trouve aussi ce mot dans Philon d’Alexandrie, juif hellénisant un peu antérieur au Christ. Pour lui, le logos est l’image du Dieu créateur transcendant, mais il n’est pas en Dieu. Il conçoit les idées archétypes (héritage de Platon), devient une sorte d’exemplaire dans la création dont il va être médiateur. En particulier, il va devenir l’archétype de l’homme authentique. On s’éloigne de la conception vétéro-testamentaire qui est en arrière-fond dans saint Jean. Il y a plutôt pour celui-ci la perception d’une vie intérieure en Dieu, d’une expression de Dieu à l’intérieur de lui-même.

On a fait le rapprochement avec le Timée de Platon. Le démiurge fait passer du monde des idées au monde empirique en regardant le logos. Plusieurs Pères de l’Église, et surtout saint Augustin, y ont vu une affirmation de la création par le logos. D’autres ont tellement valorisé ce discours de Platon qu’ils ont affirmé que c’était un plagiat de la connaissance biblique.
En grec, le mot de logos comporte deux aspects : ce qui est pensé, et ce qui est dit. Le premier aspect nous oriente vers la Trinité, le second vers la création.

Inconvénient, ce mot de logos, qui a un triple sens : parole, raison et même proportion, a été utilisé par les stoïciens pour signifier la rationalité du monde. On mesure l’audace de saint Jean d’oser prendre ce mot mais en lui donnant plutôt sa consonance de dédoublement de Dieu et de Parole créatrice que de rationalité du monde, même si celle-ci apparaît en fin de compte pour expliquer que l’homme peut comprendre quelque chose au monde car celui-ci est imprégné de cette rationalité donnée par le Logos créateur.

Le prologue de l’Évangile de Jean porte :

C’est par lui (le Verbe) que tout est venu à l’existence et rien de ce qui s’est fait ne s’est fait sans lui. (1,3)

Saint Paul dit, en écho, dans son hymne au Christ, au début de la lettre aux Colossiens :

En lui tout fut créé dans le ciel et sur la terre. (1,16)

Ailleurs, Paul utilisera beaucoup, mais sans jamais la nommer, la Sagesse, comme archétype du monde créé.

Enfin, la Lettre aux Hébreux :

Dieu ….. nous a parlé par son Fils qu’il a établi héritier de toutes choses et par qui il a créé les mondes. (1,2)


– II – La Tradition

Le credo commence bien par : « Le Père tout-puissant, créateur du ciel et de la terre.» Il s’agit de savoir si Père est pris au sens de Dieu, dans sa réalité unique sans distinction des personnes ou comme Père de Jésus-Christ. Ce n’est que saint Thomas d’Aquin qui va distinguer et préciser les deus sens.
Origène a une position originale, qui ne sera pas retenue par la suite : le Père est le créateur de tous les êtres, le Fils, logos, celui des êtres raisonnables, «logiques », et le Saint-Esprit, celui des êtres porteurs de l’Esprit, les êtres spirituels.

Les choses vont se compliquer avec la querelle arienne. Pour dire la divinité du Fils, saint Athanase, va éviter les termes philosophiques, toujours inadaptés et en discussion, et préférera employer des termes bibliques, par exemple ceux que l’on a vu dans le Prologue de Jean ou dans les Colossiens. D’où cette utilisation des particules pour signifier l’unité d’action créatrice de Dieu, mais aussi la part de chaque personne : « ek », c’est l’action du Père ; « dia », celle du Fils et « ev » celle de l’Esprit. Chaque personne divine agit selon son être propre.

Saint Hilaire de Poitiers, un peu après, polémique lui aussi avec les ariens au sujet de la divinité du Christ. Il va reprendre le récit de création pour étayer l’affirmation de foi.

Reprenons donc le récit de la création du monde…..Je te le demande : en quoi ce même récit nie-t-il que le Fils de Dieu est vrai Dieu, Car il n’est plus permis d’en douter : tout a été fait par le Fils, selon l’Apôtre (cf Colossiens 1,16).Si tout est par lui, si toutes les créatures ont été tirées du néant, et si rien n’existe, sinon par lui, je voudrais bien savoir pourquoi il ne serait pas « vrai Dieu », celui qui jouit à la fois de la nature et de la puissance de Dieu. Car le Fils a mis en œuvre la puissance propre à sa nature divine, pour donner l’être à ce qui n’existait pas et pour créer toutes choses selon son bon plaisir. ( De Trinitate, livre 5, § 4)

On remarquera l’absence de réflexion sur le rôle de l’Esprit créateur, car ce n’est pas son propos.

Saint Grégoire de Nysse, dans sa Grande Catéchèse, affirme que le Verbe est créateur, pour affirmer la divinité du Fils, il ne prononce pas le mot Esprit créateur, mais il reprend Psaume 32,6 pour conclure :

Qu’il existe un Verbe de Dieu et un Esprit de Dieu, forces douées d’une substance personnelle, créatrices de tout ce qui a été fait et qui contiennent en elles toutes la réalité, les Écritures inspirées de Dieu le montrent clairement ( Chapitre 1, § 4)

Mais, ailleurs, il évite d’entrer dans des distinctions d’action, pour ne pas entamer l’unité divine. Manière de montrer que Dieu, dans sa vie trinitaire est vraiment à part.

Au contraire, saint Basile, pour mieux affirmer la divinité du Saint Esprit, va multiplier les affirmations de leur union dans l’acte créateur.

Revenons au point de départ : le Saint Esprit est en toutes choses inséparable du Père et du Fils…On peut apprendre par là qu’en toute action le Saint Esprit est uni au Père et au Fils et n’est est pas divisible (citation de 1 Corinthien 14,4-6, sur la distribution des charismes)…

Et à propos de la création des anges : Saisis-donc, dans l’acte qui les a créés, le Père comme cause « principielle », le Fils comme cause « démiurgique », l’Esprit comme cause « perfectionnante »….. Ne me faites pas dire qu’il y a trois principes, ni que l’acte du Père est imparfait. Il n’ y a qu’un seul principe des êtres, qui crée par le Fils et parfait dans l’Esprit. (Traité du Saint Esprit, ch. 16, col.136)

Il ne parle donc pas de l’essence divine, comme le feront certains après lui, mais il cerne le rôle des personnes.

La théologie médiévale va faire un pas avec le problème des appropriations. Mais celui-ci va susciter bien des remous.

Abélard au lieu d’affirmer que Dieu, Père, Fils et Saint Esprit est tout entier puissance sagesse et bonté, juste opposition à toute forme de tri-théisme, va chercher à spécifier les qualités et l’action de chaque personne à l’intérieur de cette unité. Saint Bernard va s’y opposer fortement et réussira à faire condamner Abélard au Concile de Sens, en 1140. Voici les propositions qui furent condamnées : « Le Père est puissance pleine, le Fils a une certaine puissance, l’Esprit saint n’a aucune puissance » (Denzinger 721) et aussi : « Au Père, parce qu’il n’est d’aucun autre, appartient au sens propre et spécial la toute puissance, mais non pas également la sagesse et la bonté » (D. 734)
On réfléchit alors sur ce qui est commun aux trois personnes et sur ce qu’on peut attribuer à chacune, en fonction de son rôle à l’intérieur de la Trinité. On attribuera au Père, puisqu’il est l’origine de tout, la puissance, au Fils, la sagesse et à l’Esprit, l’amour. D’autres préféreront dire, pour éviter ce qui pourrait se rapprocher du tri-théisme, que c’est Dieu dans son essence qui est créateur et que les appropriations aux personnes ne sont que des manière de parler. Inconvénient : la disparition de la place et de l’importance des personnes. On ne s’en sortira que si on précise que ce qu’on dit des personnes est de l’ordre de la relation.

Le 12° concile œcuménique Latran IV, en 1215, va redonner cette affirmation :

(La Trinité) unique principe de toutes choses, créateur de toutes choses visibles et invisibles, spirituelles et corporelles qui, par sa toute puissance, a tout créé de rien dès le commencement du temps.

(Au paragraphe suivant) Cette sainte Trinité est indivisible selon son essence commune et distincte selon les propriétés des personnes….(D. 800)
On rapporte donc la création à l’ensemble indivisible de Dieu, mais le souci de présenter le rôle de chacune des personnes risque de s’effacer. On ne pourra garder ces appropriations, « le Père créateur, le Fils rédempteur, l’Esprit sanctificateur », que si l’on affirme en même temps que chacune des personnes divines a son rôle dans la création, la rédemption et la sanctification, en fonction de ce qu’elle est dans le jeu d’amour des relations intra-divines.

– III – Essai de synthèse

Tout notre discours sur la Trinité créatrice est guetté par les déformations, les hérésies, qui ont jalonné l’élaboration de la juste compréhension du mystère de Dieu en lui-même.

Si on insiste sur l’unité d’action, on risque de ne voir qu’un seul sujet en Dieu. Nous versons alors dans le sabellianisme, ou modalisme, qui n’attribue au Fils et à l’Esprit que des manières de parler de Dieu et non une distinction des personnes.

Si on force les attributions à chaque personne, on peut tomber dans le tri-théisme, un dieu créateur, un dieu rédempteur, un dieu sanctificateur.
En refusant que le Fils soit pleinement participant de la nature divine, l’arianisme a été obligé de donner un rôle secondaire au Fils dans la création. De même pour le Saint Esprit.

Le symbole, dit « Quicumque » à cause de son premier mot, est un texte originaire du sud de la France entre 430 et 500. On l’attribue de plus en plus à saint Césaire d’Arles. Il insiste lourdement sur l’unité divine : pas trois Seigneurs, mais un seul Seigneur, pas trois incréés mais une seul incréé. Chose curieuse, il ne pousse pas l’affirmation jusqu’à dire pas trois créateurs mais un seul créateur, tellement c’est sous-entendu.

Une autre sorte de récifs nous guette. Nous devons refuser une sorte de nécessité de la création, variante de l’émanation de Dieu : celle par exemple que Hegel présentera. Mais sous prétexte de sauvegarder la transcendance de Dieu, nous ne pouvons pas pour autant éloigner la Trinité, dans la richesse de ses personnes, de toute implication dans la création.

En premier lieu, nous devons maintenir l’absolue liberté de Dieu dans l’acte créateur. Dieu n’a pas besoin de la création pour exister. Il n’est pas suspendu à son œuvre au point qu’elle lui soit nécessaire. C’est nous qui devons reconnaître que nous dépendons de Dieu.

Pour tenir compte de la distinction des personnes, on peut dire que Dieu crée comme il est. Dieu est amour. La création ne peut se comprendre que comme un acte d’amour. C’est une affirmation chère aux Pères cappadociens du 4° siècle, comme le dit brièvement Grégoire de Nysse dans sa Grande catéchèse :
La puissance éternelle de Dieu crée ce qui existe, invente ce qui n’est pas, comprend en elle-même les choses créées et prévoit celles qui ne sont pas encore. Ce Dieu le Verbe, sagesse et puissance, est le créateur de la nature humaine ; aucune nécessité ne l’a amené à former l’homme, c’est la surabondance de son amour qui lui a fait donner naissance à un tel être. (2,5)

Voyons comment la création va garder la trace de cette vie intime de Dieu.
Le Père, source de tout, donne tout à son Fils pour avoir un vis-à-vis dans son éternité de relation et d’amour. Le Fils lui est semblable, mais pas identique. C’est une première séparation qui annonce celle de la création. Mais la création sera séparation d’avec la source, tandis que le Fils reste dans cette intimité d’amour avec le Père. On voit là l’importance que l’auteur de la Genèse donne à cette action de séparer (1,6 ; 14 ; 18). Il n’y a pas d’existence sans ce premier mouvement de séparation. Et c’est vrai aussi de la génération humaine. De même que la distinction du Père et du Fils va être source de lumière et de fécondité (voir ci-après l’Esprit), de même cette séparation de la réalité créée d’avec son créateur sera source de lumière et de fécondité.
Le Fils, est le logos, à la fois parole, raison et proportion. Il va imprimer à la création ces caractéristiques d’intelligibilité, de proportion et d’équilibre : « Mais toi, Seigneur, tu as tout réglé avec mesure, nombre et poids (Sagesse 11,20). »

L’union, la communion des personnes divines se fait par la production (procession) de l’Esprit saint, Esprit d’unité et d’amour. Il va insuffler à la création cet élan vers la communion, pour dépasser la dualité et aussi, pour la création humaine, l’orienter vers l’introduction dans la vie divine.

Conclusion

Nous retrouvons dans cette étude du lien entre la Trinité et la création, le grand débat entre l’Orient et l’Occident. Il est banal de dire que les Orientaux, la théologie grecque, pour faire court, est plus sensible aux personnes et a parfois du mal à affirmer l’unité divine. La théologie occidentale, disons latine, est partie de l’unité divine et a eu occasionnellement des difficultés à placer la distinction des personnes.

Nous retrouvons ces deux pistes avec leurs dangers : à trop insister sur l’unité de l’action créatrice , on a parfois du mal à percevoir le rôle des personnes divines dans la création. Réciproquement, l’attention aux personnes et à leur rôle propre risque toujours de verser dans une mauvaise compréhension de l’unité divine dans l’acte créateur.

Mais, comme disait saint Jean-Paul ll, l’Église a toujours eu besoin de ces deux approches complémentaires, de ces deux « poumons » de l’Église et de leur théologie.