Le président de la République est intervenu hier en première page du Monde en réaction à l’affaire des minarets. Mais le titre même de l’article indique que Nicolas Sarkozy a trouvé dans le référendum helvétique, l’occasion de préciser sa pensée à propos du fameux débat sur l’identité nationale.
Un de ses adversaires politiques a trouvé bien écrite cette intervention et il est vrai qu’elle est particulièrement claire, argumentée, son style modéré apparaît bienvenu pour établir un certain calme dans les esprits. Pourtant, le président n’esquive pas les difficultés et ne craint pas, par exemple, de reprendre à rebrousse-poil l’opinion de beaucoup de commentateurs qui ont condamné sévèrement la réaction de nos voisins helvétique. C’est vrai qu’une certaine arrogance à l’égard du peuple coupable d’avoir mal voté de la part d’une élite soit disant éclairée expose à de graves déboires. Non que Nicolas Sarkozy approuve le verdict helvétique, il dit vouloir le comprendre, en dehors de toute arrogance, et je crois qu’il a sur ce point assez raison.
Ce que les Suisses ont refusé – on l’oublie un peu vite – ce n’est pas la construction de nouvelles mosquées, c’est une sorte d’atteinte à leur identité. Faut-il ajouter que certains sondages, de ces jours derniers montrent que l’opinion française, ou tout du moins une part très importante de celle-ci, manifeste non seulement son hostilité aux minarets mais à la construction de mosquées. C’est singulièrement plus grave. Et Nicolas Sarkozy se devait d’expliquer que les musulmans ont le droit dans nos pays de prier dans des lieux dignes, dans de véritables édifices religieux.
C’est sur ce terrain-là que le bien-fondé de ce qu’Émile Poulat appelle notre laïcité publique apparaît, de la façon la plus convaincante. La laïcité, c’est ou ce devrait être, le respect des consciences et la possibilité donnée à chacun de pratiquer la religion de ses convictions. Le Président insiste beaucoup sur l’identité nationale qui permet la reconnaissance de l’autre et l’unité à l’encontre de toute fragmentation communautariste Là encore il suscite mon adhésion. De même que je lui suis reconnaissant de ne pas considérer l’héritage chrétien de notre pays comme négligeable.
Il est un point cependant sur lequel je ferais entendre, sinon un désaccord total, du moins une différence. C’est sur la notion de discrétion, une discrétion que le président recommande à tous ceux qui professent une religion dans notre pays. Bien sûr Nicolas Sarkozy note que la discrétion ne signifie pas la tiédeur des convictions – et je l’admets très bien – toutefois, il me paraît retrouver là l’ambiguïté qui recouvre la distinction habituelle entre espace public et espace privé. Le religieux ne concerne pas seulement le domaine purement privé, la conscience. Il a nécessairement une expression publique et celle-ci est d’ailleurs nécessaire au bien commun, à l’échange des richesses spirituelles infiniment précieuses pour l’équilibre moral d’une nation. C’est pourquoi je préfère parler, comme le fait d’ailleurs aussi le Président, de respect. Un respect de soi mais aussi à l’égard des autres.
Chronique lue sur Radio Notre-Dame, le 9 décembre.
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La tribune de Nicolas Sarkozy :
Par référendum, le peuple suisse vient de se prononcer contre la construction de nouveaux minarets sur son territoire. Cette décision peut légitimement susciter bien des interrogations. Le référendum impose de répondre à la question posée par oui ou par non. Peut-on répondre par oui ou par non à une question aussi compliquée, qui touche à des choses aussi profondes ? Je suis convaincu que l’on ne peut que susciter des malentendus douloureux, un sentiment d’injustice, blesser les âmes en apportant une réponse aussi tranchée à un problème qui doit pouvoir être résolu au cas par cas dans le respect des convictions et des croyances de chacun.
Mais comment ne pas être stupéfait par la réaction que cette décision a suscitée dans certains milieux médiatiques et politiques de notre propre pays ? Réactions excessives, parfois caricaturales, à l’égard du peuple suisse, dont la démocratie, plus ancienne que la nôtre, a ses règles et ses traditions, qui sont celles d’une démocratie directe où le peuple a l’habitude de prendre la parole et de décider par lui-même ?
Derrière la violence de ces prises de position se cache en réalité une méfiance viscérale pour tout ce qui vient du peuple. La référence au peuple, c’est déjà, pour certains, le commencement du populisme. Mais c’est en devenant sourd aux cris du peuple, indifférent à ses difficultés, à ses sentiments, à ses aspirations, que l’on nourrit le populisme. Ce mépris du peuple, car c’est une forme de mépris, finit toujours mal. Comment s’étonner du succès des extrêmes quand on ne prend pas en compte la souffrance des électeurs ?
Ce qui vient de se passer me rappelle comment fut accueilli le rejet de la Constitution européenne en 2005. Je me souviens des paroles parfois blessantes qui ont été proférées contre cette majorité de Français qui avait choisi de dire non. C’était opposer irréductiblement la France du oui à celle du non, ouvrir une fracture qui, si elle avait dû se creuser davantage, n’aurait jamais permis à la France de reprendre sa place en Europe.
Pour réconcilier la France du oui et celle du non, il fallait d’abord essayer de comprendre ce qu’avaient voulu exprimer les Français. Il fallait admettre que cette majorité ne s’était pas égarée, mais qu’elle avait, comme la majorité des Irlandais ou la majorité des Néerlandais, exprimé ce qu’elle ressentait et rejeté en toute connaissance de cause une Europe dont elle ne voulait plus parce qu’elle donnait le sentiment d’être de plus en plus indifférente aux aspirations des peuples.
Ne pouvant changer les peuples, il fallait changer d’Europe. La France du non a commencé à se réconcilier avec celle du oui à partir du moment où, au lieu de la juger, on a cherché à la comprendre. C’est alors que, dépassant ce qui la divisait, la France a pu prendre la tête du combat pour changer l’Europe.
RIEN NE SERAIT PIRE QUE LE DÉNI
Alors, au lieu de vilipender les Suisses parce que leur réponse ne nous plaît pas, mieux vaut nous interroger sur ce qu’elle révèle. Pourquoi en Suisse, pays qui a une longue tradition d’ouverture, d’hospitalité, de tolérance, un tel rejet peut-il s’exprimer avec tant de force ? Et que répondrait le peuple français à la même question ?
Au lieu de condamner sans appel le peuple suisse, essayons aussi de comprendre ce qu’il a voulu exprimer et ce que ressentent tant de peuples en Europe, y compris le peuple français. Rien ne serait pire que le déni. Rien ne serait pire que de ne pas regarder en face la réalité des sentiments, des préoccupations, des aspirations de tant d’Européens.
Comprenons bien d’abord que ce qui s’est passé n’a rien à voir avec la liberté de culte ou la liberté de conscience. Nul, pas plus en Suisse qu’ailleurs, ne songe à remettre en cause ces libertés fondamentales.
Les peuples d’Europe sont accueillants, sont tolérants, c’est dans leur nature et dans leur culture. Mais ils ne veulent pas que leur cadre de vie, leur mode de pensée et de relations sociales soient dénaturés. Et le sentiment de perdre son identité peut être une cause de profonde souffrance. La mondialisation contribue à aviver ce sentiment.
La mondialisation rend l’identité problématique parce que tout en elle concourt à l’ébranler, et elle en renforce en même temps le besoin parce que plus le monde est ouvert, plus la circulation et le brassage des idées, des hommes, des capitaux, des marchandises sont intenses, et plus on a besoin d’ancrage et de repères, plus on a besoin de sentir que l’on n’est pas seul au monde. Ce besoin d’appartenance, on peut y répondre par la tribu ou par la nation, par le communautarisme ou par la République.
L’identité nationale c’est l’antidote au tribalisme et au communautarisme. C’est pour cela que j’ai souhaité un grand débat sur l’identité nationale. Cette sourde menace que tant de gens dans nos vieilles nations européennes sentent, à tort ou à raison, peser sur leur identité, nous devons en parler tous ensemble de peur qu’à force d’être refoulé ce sentiment ne finisse par nourrir une terrible rancœur.
Les Suisses comme les Français savent que le changement est une nécessité. Leur longue histoire leur a appris que pour rester soi-même il faut accepter de changer. Comme les générations qui les ont précédés, ils savent que l’ouverture aux autres est un enrichissement. Nulle autre civilisation européenne n’a davantage pratiqué, tout au long de son histoire, le métissage des cultures qui est le contraire du communautarisme.
Nicolas SARKOZY
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Réactions :
Martine AUBRY
Réaction du recteur de la Grande Mosquée de Paris :
Intervention de Dominique Souchet, député vendéen, au Parlement,
Réaction de Bertrand Renouvin à propos du référendum sur l’Europe : « Un mensonge de Nicolas Sarkozy »
http://www.bertrand-renouvin.fr/?p=2056
Réaction du Parti communiste :
« Les propos de Sarkozy indignes de la France et de ses valeurs »
http://www.pcf.fr/spip.php?article4286
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