Je laisse à mes deux éminents collègues le soin de commenter les résultats électoraux d’hier, avec la poussée de la gauche, la nouvelle composition de la dite gauche pour m’interroger un instant sur la disparition d’un homme, un chanteur, un poète qui a incarné si longtemps une certaine mentalité de gauche dans ce pays. Tout a été déjà dit sur Jean Ferrat, ses origines familiales, le drame de la mort du père en camp d’extermination, l’engagement sinon au Parti Communiste, du moins dans la mouvance de ce qu’on appelait les « compagnons de route ». Et Dieu sait s’ils ont été nombreux dans cette génération d’artistes, de Yves Montand et Simone Signoret jusqu’à Gérard Philippe. Cela s’explique évidemment par le climat idéologique, l’emprise intellectuelle du communisme et aussi les suites de la guerre, le rôle joué par le parti dans la Résistance, ainsi que l’adhésion massive d’un quart de l’électorat à la formation dirigée alors par cet homme charismatique qu’était Maurice Thorez.
Pourquoi Jean Ferrat était-il si à l’aise dans ce milieu et si reconnu ? Il incarnait une certaine sensibilité à la fois généreuse, révoltée, mais aussi en phase avec ce qu’il y avait de connivences au courant de la culture française que Louis Aragon représentait alors et qui pouvait se réclamer d’une vraie tradition littéraire, peut-être celle de Victor Hugo. Ce n’est pas pour rien que Ferrat a interprété des poèmes d’Aragon. Reconnaissons-le, cela avait quand même de l’allure et une résonance qui dépassait la mouvance communiste. Qui d’entre nous n’a pas chanté du Jean Ferrat ? Qui n’a pas été ému en l’écoutant interpréter « Que la montagne est belle ! » A sa façon, il aura aussi précédé l’écologisme depuis son joli village ardéchois.
Mais du point de vue de l’histoire, Ferrat aura été marqué par le tournant des années 80 qui sonna le déclin sans retour du Parti Communiste, alors dirigé par Georges Marchais, une personnalité emblématique elle aussi, même si le secrétaire général du parti communiste n’avait pas la dimension de Thorez. Pour notre chanteur-poète, ce fut un déchirement. La révélation désormais indiscutable de l’horreur stalinienne rendait insupportable ce que Marchais avait osé appeler « le bilan globalement positif de l’expérience soviétique » ! Mais en même temps, il lui était impossible de renier sa famille politique, cet ancrage à gauche qui signifiait pour lui combat pour la justice. Lorsqu’on a chanté la gloire des marins du Potemkine, comment accepter un adieu définitif à ce qui a été le rêve de millions d’hommes et le combat de tant de militants ?
Le monde a changé, la France a changé, les nouvelles générations ne peuvent plus se reconnaitre dans un parcours politique qui relève de l’ordre ancien. Mais cet ordre ancien appartient à notre histoire. Et puis Jean Ferrat survivra à sa propre trajectoire. Il s’inscrit dans un magnifique moment de la chanson française, celui où Brassens, Brel, Bécaud, Ferré, et quelques autres, conféraient à cette chanson une poésie que l’on n’oubliera pas. Il est entré dans notre patrimoine, celui de notre mémoire et de notre identité, celui qui survit à toutes les joutes électorales, aux soirées alternées de poussées de la gauche et de ses défaites, des alternances et des retournements. Ici bas les poètes ne meurent pas.
Lire aussi les chroniques de Serge Plenier et Jean Étèvenaux sur Jean Ferrat (avec un dessin inédit de Chaunu !)
http://www.france-catholique.fr/Jean-Ferrat-une-voix-s-en-est.html
Ecouter des chansons de Jean Ferrat :
http://www.jukebo.fr/jean-ferrat
Jean Ferrat – Potemkine – Palmares 1966
envoyé par marxattaque.
Ecouter le commentaire des élections du dimanche 14 mars 2010 (et la chronique de Gérard Leclerc sur la mort de Ferrat)