Q : Madame Siebrecht, qu’avez-vous pu observer à propos des préparatifs de la visite du Saint-Père?
R : Les différentes Églises sont très occupées par les préparatifs. Naturellement, les chrétiens se réjouissent de la venue du Saint-Père. Par exemple, on voit beaucoup de pancartes annonçant la visite du Pape. À Nazareth, on a même construit une sorte d’amphithéâtre où la messe avec le Pape aura lieu. À Bethléem aussi, quelque chose avait déjà été érigé, dans le camp de réfugiés d’Aida, que le Pape va également visiter. Cependant, la tribune des responsables était bien trop proche du mur qui divise la Terre Sainte, elle a donc été déplacée. Vous voyez, il y a encore beaucoup de petits problèmes, mais les gens sur place continuent de travailler avec confiance et espèrent que le voyage sera une réussite.
Q : Est-ce que chaque chrétien qui veut voir le Saint-Père en aura réellement la possibilité ?
R : Non, probablement pas. En tout cas, pas les gens de Gaza et pas ceux de Bethléem. Au moins, le Pape sera à Bethléem. Mais pour assister à la grande messe à Nazareth ou à Jérusalem, beaucoup n’obtiendront pas l’autorisation.
Q : C’était justement parmi les chrétiens de Gaza que des voix s’étaient fait entendre après la guerre au début de l’année qui doutait, à savoir si c’était le bon moment pour une visite du Pape. Comment voyez-vous cela ?
R : Mais alors, quel sera le « bon moment » pour une visite du Pape en Terre Sainte ? C’est une grande question. Il y a toujours quelque chose qui ne va pas dans la région. Je peux seulement dire ce que j’ai vu et entendu : les gens attendent beaucoup de cette visite du Pape. Peut-être trop même. Car le Pape ne résoudra certainement pas tous les problèmes.
Q : Qu’est-ce que les gens attendent exactement et qu’est-ce que le Pape peut vraiment faire ?
R : À vrai dire, le Pape ne peut que montrer sa bonne volonté et essayer de parler avec les responsables politiques et ecclésiastiques. Mais je sais par expérience à quel point cela est difficile en Israël. En outre, il veut surtout voyager en Terre Sainte en tant que pèlerin. Il veut aussi dire aux gens : « Je suis avec vous ! » Toutefois, que peut-il changer en profondeur ? Il est probable qu’il ne pourra guère raser ce terrible mur* par sa visite, ni même éliminer les problèmes qu’il y a entre le Vatican et l’État d’Israël. Par contre, c’est déjà un signe important qu’il vienne. Je suis curieuse de savoir ce qu’il dira. Nous devons attendre pour savoir quelles seront les orientations de ses discours, ainsi que pour voir comment les gens le recevront. De ce point de vue aussi, tout est encore très brumeux en ce moment en Terre Sainte.
Q : La situation de l’Église sur place est moins brumeuse, vous l’avez vécu de très près lors de votre voyage la semaine dernière. Quelles rencontres y avez-vous faites?
R : J’ai naturellement rendu visite avant tout aux partenaires des projets de l’Aide à l’Église en Détresse. Par exemple, j’ai été en Galilée, où la situation des chrétiens est naturellement, comparativement, bien meilleure que celle de la Cisjordanie, donc, que la situation de la région de Bethléem. Malgré tout, en Israël, ces gens sont considérés comme des citoyens de seconde classe, ce qui veut dire qu’ils n’ont pas la liberté qu’ont les autres israéliens. Ils n’ont pas le droit de voyager comme les autres citoyens israéliens. Il y a quand même 73 000 chrétiens grecs-catholiques en Galilée, ce n’est pas rien ! Et les paroisses sont très vivantes. Les gens s’y engagent pour les maintenir en vie. Cela m’a paru particulièrement positif. En effet, là-bas on n’a pas simplement entendu « donnez s’il vous plait ». Les gens ont certes l’espoir que l’AED apporte une aide, mais ils sont également prêts à offrir leur contribution afin que l’aide porte du fruit. Et cette contribution des chrétiens locaux est loin d’être négligeable.
Q : Quelles ont été vos impressions dans la région de Bethléem et en Cisjordanie ?
R : C’est surtout à Bethléem que j’ai trouvé les plus grands problèmes. À cause du mur, les gens y vivent comme dans une prison ! Ils ne peuvent ni rentrer ni sortir. Ils se sentent comme des prisonniers, et effectivement, ils le sont ! La problématique est claire chez les jeunes couples chrétiens. Par exemple, un jeune homme avait une carte d’identité pour Jérusalem et pouvait y travailler. Mais sa femme n’avait pas le droit de quitter Bethléem pour vivre avec lui. De son côté, il n’avait pas non plus le droit d’habiter à Bethléem. Le résultat de cette situation est naturellement qu’ils tentent tous les deux de frauder avec de faux papiers. Ces gens vivent tous dans la peur, en se demandant s’ils pourront rentrer chez eux à la fin de chaque journée, ou si les membres de leurs familles pourront rentrer du travail ou d’une visite. C’est vraiment très difficile pour les chrétiens de la région de Bethléem – c’est un poids énorme qui pèse sur les épaules de ces gens. Nous, Européens en visite en Terre Sainte, nous ne comprenons pas cela et ne le remarquons pas non plus. Car nous pouvons aller partout, et le parcours de Bethléem à Jérusalem est un saut de puce pour des étrangers. Par contre pour les Palestiniens – et la plupart des chrétiens de Terre Sainte sont Palestiniens – c’est un problème douloureux.
Q : Ces mauvaises conditions de vie des chrétiens sont connues déjà depuis longtemps. À votre avis, n’y a-t-il aucune solution, aucun mouvement capable d’enlever ce poids de sur les épaules des gens? Le Pape peut-il ici déclencher quelque chose ?
R : Nous espérons que le Pape abordera ce problème. À mon avis, cela sera et doit être une priorité de ses conversations et discours. Maintenant, que doit-on faire si les conversations n’aboutissent à aucun résultat satisfaisant ? Il est aussi question, entre autres, des règlements en matière de visa pour les ordres catholiques, pour les prêtres, les religieuses et les religieux. Pour les pasteurs, ça représente beaucoup de travail d’obtenir un visa. Par ailleurs, une discussion est en cours pour savoir si l’État d’Israël va exiger de l’Église le paiement d’un impôt. J’ai parlé avec beaucoup de Juifs d’Israël qui m’ont dit – et je ne fais que citer sans donner mon opinion personnelle ni celle de l’Aide à l’Église en Détresse – : « Notre nouveau gouvernement est raciste ». C’est accablant.
Q : L’Aide à l’Église en Détresse est là pour aider – quelle que soit « l’oppression » sous laquelle se trouvent les chrétiens. Quels projets avez-vous visités en Terre Sainte lors de votre voyage ?
R : Nous avons rendu visite à quelques projets de construction dans le nord d’Israël, en Galilée. Par exemple, nous soutenons la construction d’un centre pastoral pour l’Église maronite. Pour l’Église melkite, nous soutenons la construction de salles paroissiales dans quelques villages. Là-bas, c’est très important pour les gens. Cela fait partie de leur mentalité de se rassembler dans des salles paroissiales et d’y célébrer les baptêmes, les communions, les mariages et aussi les enterrements. On le remarque aussi au fait que les gens investissent beaucoup de temps et d’argent dans ces salles paroissiales. Nous avons aussi quelques projets par lesquels nous soutenons les étudiants en théologie et les candidats au sacerdoce par des bourses d’études. En Cisjordanie aussi, nous aidons à la reconstruction et à la rénovation des églises et des monastères. Entre autres, nous aidons la bibliothèque universitaire de Bethléem à se procurer de nouveaux livres. Par ailleurs, nous soutenons les chrétiens à Bethléem pour qu’ils deviennent autonomes grâce à la vente de produits en bois d’olivier. Les gens nous en sont reconnaissants, et grâce à cette aide à l’autonomie, nous avons pu convaincre beaucoup de chrétiens de rester, sans quoi ils auraient émigré.
Q : Que pouvons-nous faire ici en Europe, ou ailleurs en Occident, pour accompagner les voyages du Pape de façon à ce qu’ils améliorent aussi la situation des gens sur place ?
R : Les chrétiens de Terre Sainte souhaitent surtout notre prière. Nous avons entendu cela partout, et même le Patriarche nous a encore dit avant notre départ : « J’ai demandé à tous les monastères de Terre Sainte de prier pour le voyage du Pape, afin qu’il soit une étape vers l’avant pour les chrétiens. » Je suis d’accord avec cela et j’ajoute : la prière est la contribution la plus importante que nous puissions apporter de l’étranger.
De plus, celui qui voyage en Terre Sainte devrait veiller à ne pas visiter que les lieux saints. On devrait aussi absolument rendre visite aux « pierres vivantes ». Car les gens sont si heureux quand ils remarquent que d’autres chrétiens prennent part à la leurs peines et à leurs joies. Parce que malgré tous les déboires, ce sont toutes des paroisses très vivantes !
*Mur construit entre l’État d’Israël et la Cisjordanie, également appelé « Mur de la honte » par ses détracteurs. Ce mur, long de 700 km, sépare parfois des cours privées en deux, ou encore prive des familles palestiniennes des terres arables, qu’elles cultivaient parfois depuis plusieurs générations. Pour sa part, le gouvernement israélien affirme que le mur a réduit de façon significative le nombre d’attentats suicides perpétrés en Israël, ce qui est vérifiable. Par contre, plusieurs voix – israélienne, palestinienne et internationales – continuent à se faire entendre pour en condamner la construction.
Adaptation : Mario Bard, AED-Canada
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